Cambodge/Thaïlande | Un an après, justice n’a toujours pas été rendue à Wanchalearm Satsaksit
Les autorités cambodgiennes ont manqué à leur obligation juridique de mener une enquête en bonne et due forme sur la disparition forcée du dissident thaïlandais Wanchalearm Satsaksit, a déclaré Amnistie internationale ce vendredi 4 juin, un an après le jour où ce militant a été vu pour la dernière fois à Phnom Penh.
L'organisation appelle les autorités thaïlandaises à lancer leur propre enquête indépendante sur la disparition de ce ressortissant thaïlandais, l'enquête cambodgienne n’ayant manifestement pas permis d’établir le sort réservé à Wanchalearm Satsaksit ni le lieu où il se trouve.
« Cette enquête déficiente est au point mort. L'année écoulée a été marquée par des lenteurs, des accusations et l'absence de tout effort crédible pour examiner ce qui est réellement arrivé à Wanchalearm Satsaksit. Cette prétendue enquête est une insulte à Wanchalearm Satsaksit et à sa famille et les investigations doivent être relancées », a déclaré Ming Yu Hah, directrice régionale adjointe pour le travail de campagne à Amnistie internationale.
« Le manquement persistant des autorités cambodgiennes à mener une enquête en bonne et due forme sur la disparition forcée de Wanchalearm Satsaksit constitue une violation flagrante des obligations qui incombent au Cambodge en vertu du droit international relatif aux droits humains. »
Amnistie internationale est profondément préoccupée par le fait que les autorités cambodgiennes aient jusqu’ici manqué à leur obligation de mener sans délai une enquête approfondie, impartiale et indépendante sur cette affaire et de déterminer le sort réservé à Wanchalearm Satsaksit et le lieu où il se trouve, conformément à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, à laquelle le Cambodge est partie.
Une enquête pénale sur la disparition forcée de Wanchalearm Satsaksit est officiellement en cours au Cambodge depuis le mois de septembre 2020. En décembre 2020, Amnistie internationale a condamné l'absence de progrès dans cette enquête et a appelé à l’adoption de diverses mesures urgentes pour mettre l'enquête en conformité avec le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales en la matière. Depuis lors, aucune de ces mesures n'a été mise en œuvre et, chose alarmante, l'enquête semble complètement bloquée.
En mars 2021, les autorités cambodgiennes n'ont fait état d’aucun progrès notable de l'enquête dans leur dernière réponse à une communication conjointe d'une série de procédures spéciales des Nations unies, dont le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Leur réponse semblait également faire peser la charge de l'enquête sur la famille de Wanchalearm Satsaksit, bien que cette obligation, en vertu du droit international relatif aux droits humains, incombe clairement aux autorités cambodgiennes.
Depuis que Sitanun Satsaksit, la sœur de Wanchalearm, a témoigné devant un tribunal siégeant à Phnom Penh en décembre 2020, les autorités n'ont signalé aucun progrès de l’enquête dans le cadre de cette affaire. La réponse inadéquate des autorités cambodgiennes, ainsi que le défaut de diligence raisonnable pour réagir aux nouveaux éléments de preuve communiqués par la sœur de Wanchalearm Satsaksit, renforcent les doutes qui pèsent sur la crédibilité de l'enquête.
Il est temps que la Thaïlande et l'ASEAN lancent des enquêtes indépendantes
Compte tenu des défaillances flagrantes de l'enquête cambodgienne jusqu’ici, Amnistie internationale enverra le 4 juin une lettre ouverte au procureur général de Thaïlande. Elle y mettra en avant les échecs de l'enquête cambodgienne et y demandera au procureur général de confier immédiatement au Service des enquêtes spéciales une enquête officielle sur la disparition forcée de Wanchalearm Satsaksit, au titre de l'article 21 de la Loi n° 2547 relative au Service des enquêtes spéciales.
Pour que l'indépendance et la crédibilité de l'enquête soient mieux garanties, Amnistie internationale recommande que la Commission nationale des droits humains de Thaïlande soit étroitement associée aux investigations.
« Compte tenu des insuffisances flagrantes de l'enquête cambodgienne, il est grand temps que les autorités thaïlandaises intensifient leurs efforts et qu’elles mènent une enquête approfondie, impartiale et indépendante sur la disparition forcée de leur propre citoyen à l'étranger », a déclaré Ming Yu Hah.
« Étant donné les chefs d’inculpation que les autorités thaïlandaises avaient retenus contre Wanchalearm Satsaksit, et le phénomène profondément inquiétant des disparitions forcées d'exilés thaïlandais dans les pays voisins ces dernières années, une enquête véritablement indépendante, sans ingérence du gouvernement, est éminemment nécessaire. »
Amnistie internationale appelle à nouveau la Commission intergouvernementale des droits de l'homme de l'ASEAN (CIDHA) à jouer un rôle plus actif, en facilitant la coopération entre les différents pays de l'ASEAN pour qu’ils apportent collectivement la plus grande assistance possible aux victimes de disparition forcée en Asie du Sud-Est, et que celles-ci soient recherchées, localisées et libérées.
« Le silence de l'ASEAN et de la CIDHA face aux disparitions forcées transfrontalières dans la région est une honte. La coopération régionale est en l’espèce totalement inopérante. L'impunité généralisée, les injustices et les violations des droits humains sont facilitées par la passivité de cet organisme régional. Il est plus que temps que l'ASEAN adopte une position de principe sur les disparitions forcées. »
Complément d’information
Wanchalearm Satsaksit, qui est âgé de 37 ans, est un militant thaïlandais en exil au Cambodge. Sa sœur, Sitanun, a signalé son enlèvement le 4 juin 2020. Les enregistrements de vidéosurveillance diffusés par les médias après l’enlèvement montrent une Toyota Highlander bleue quitter juste après les lieux où Wanchalearm Satsaksit a été vu pour la dernière fois. Les images montrent également deux hommes qui semblent avoir été témoins de l'enlèvement.
Les autorités thaïlandaises avaient précédemment porté des accusations contre Wanchalearm Satsaksit, le plus récemment en 2018 au titre de la Loi sur la cyberdélinquance, affirmant qu’il avait diffusé des propos hostiles au gouvernement sur une page Facebook satirique. Les autorités thaïlandaises auraient réclamé l’extradition de Wanchalearm Satsaksit aux autorités cambodgiennes à l’époque, bien que celles-ci n’aient pas reconnu publiquement avoir reçu de requête en ce sens. Auparavant, les autorités thaïlandaises l’avaient inculpé pour n’avoir pas donné suite à une convocation adressée en 2014 à un grand nombre de militant·e·s et personnalités politiques après le coup d’État militaire de mai 2014.
En décembre 2020, six mois après la disparition forcée de Wanchalearm Satsaksit, Amnistie internationale a exprimé de vives inquiétudes au sujet du rythme et de la rigueur de l'enquête cambodgienne et a appelé les autorités cambodgiennes à identifier et à interroger les témoins pertinents visibles sur les images de vidéosurveillance accessibles au public. L'organisation a également appelé les autorités cambodgiennes à communiquer à la famille de Wanchalearm Satsaksit des informations sur la progression et les résultats de l'enquête d'une manière qui garantisse également l'efficacité des investigations. Aucune de ces recommandations ne semble avoir été suivie depuis décembre 2020.
Amnistie internationale a déjà exprimé des préoccupations pour la sécurité des ressortissants thaïlandais qui se sont exilés dans des pays voisins de la Thaïlande et dont l’extradition a été demandée par les autorités thaïlandaises. La disparition forcée de Wanchalearm Satsaksit s’inscrit dans une tendance profondément alarmante, puisque depuis juin 2016 au moins neuf militants thaïlandais en exil ont été enlevés et tués par des inconnus dans des pays voisins, à savoir le Laos et le Viêt-Nam.
Dans chacun de ces cas, les autorités thaïlandaises avaient demandé l'arrestation ou l'extradition des personnes concernées sur la base de chefs d’inculpation liés à leur exercice du droit à la liberté d'expression, souvent en ligne et dans certains cas en exil.
Face à ces disparitions et homicides répétés, et à l’impunité qui prévaut dans la région, Amnistie internationale a demandé à plusieurs reprises à la Commission intergouvernementale des droits de l'homme de l’ASEAN (CIDHA), le principal organe de défense des droits humains de l’ASEAN, d’exercer son mandat lui permettant d’« obtenir des informations de la part des États membres de l’ASEAN sur la promotion et la protection des droits humains », afin de faire la lumière sur les disparitions forcées telles que celle de Wanchalearm Satsaksit.