Russie/Tadjikistan. Il faut empêcher l’expulsion de migrants tadjiks ayant simplement participé à une manifestation pacifique
Les autorités russes doivent immédiatement empêcher l’expulsion d’au moins 17 ressortissants du Tadjikistan arrêtés lors d’une manifestation pacifique organisée à Moscou le 2 avril pour protester contre la « restitution » d’un de leurs concitoyens aux autorités de leur pays, a déclaré Amnistie internationale vendredi 16 avril.
Les personnes arrêtées, travailleurs et travailleuses migrant·e·s pour la plupart, avaient participé à une manifestation pacifique contre le retour forcé au Tadjikistan d’Izzat Amon (également connu sous le nom d’Izatullo Kholov), défenseur de premier plan des droits des migrant·e·s, avocat et directeur de l’organisation de défense des droits humains Tojikon à Moscou. La manifestation a eu lieu devant l’ambassade du Tadjikistan.
« Les autorités russes doivent cesser immédiatement d’aider les autorités du Tadjikistan à faciliter les retours forcés illégaux. En l’absence des garanties d’une procédure régulière, des personnes sont privées de leur droit de contester leur expulsion en faisant valoir leurs craintes d’être persécutées par les autorités tadjikes uniquement parce qu’elles ont participé à une manifestation pacifique », a déclaré Maisy Weicherding, chercheuse sur l’Asie centrale à Amnistie internationale.
Certains manifestant·e·s ont fait état de menaces émanant de diplomates tadjiks, notamment de pressions exercées sur des membres de leur famille au Tadjikistan, et de demandes les sommant de dénoncer publiquement la manifestation et Izzat Amon. On leur a également affirmé qu’ils seraient poursuivis pour terrorisme au Tadjikistan s’ils ne collaboraient pas.
« Les autorités du Tadjikistan emploient régulièrement le chantage et les menaces pour intimider leurs ressortissants qui ont quitté le pays. Il s’agit d’une tactique aujourd’hui tristement célèbre visant à faire taire leurs détracteurs vivant à l’étranger en menaçant la santé et le bien-être de leurs proches, en utilisant la violence contre leurs enfants et leurs parents âgés, et en les détenant arbitrairement, a déclaré Maisy Weicherding.
« En se rendant complice de ces retours forcés, le Kremlin contribue à mettre en danger plus d’une quinzaine d’hommes, qui risquent des poursuites pénales pour terrorisme, simplement parce qu’ils ont protesté contre une injustice. »
Izzat Amon vivait et travaillait en Russie depuis 2009 et avait la nationalité russe. Il a été arrêté par des policiers à Moscou le 25 mars et soumis à une disparition forcée, avant de réapparaître deux jours après à Douchanbé, la capitale du Tadjikistan. Officiellement, il a été renvoyé par les autorités russes vers son pays d’origine pour avoir enfreint les règles de séjour en Russie et obtenu illégalement la nationalité russe.
Cependant, Amnistie internationale craint qu’il n’ait été enlevé par la police russe et remis aux autorités tadjikes dans le cadre d’une opération de « restitution ». Selon ses soutiens, Izzat Amon a réussi à contacter une connaissance pour l’informer de sa détention et lui demander de diffuser un message vidéo préenregistré adressé au président russe, Vladimir Poutine. Dans cette vidéo, il indiquait que son passeport russe avait été annulé « sur ordre des autorités tadjikes » et exprimait sa crainte d’être enlevé et renvoyé de force au Tadjikistan.
« Depuis des années, les autorités russes se rendent complices de retours forcés de personnes au Tadjikistan et dans d’autres pays d’Asie centrale, où celles-ci risquent la torture et d’autres mauvais traitements. Elles continuent de le faire de façon éhontée », a déclaré Maisy Weicherding.
Complément d’information
D’après OVD-Info, une organisation indépendante qui surveille les actions de la police russe, plus de 100 participant·e·s à la manifestation ont été arrêtés. La plupart ont été accusés d’avoir enfreint la législation russe relative aux rassemblements, qui est excessivement restrictive, et condamnés à des amendes de 10 000 à 15 000 roubles (environ 130 à 200 dollars américains). Plusieurs ont en outre été poursuivis pour « houliganisme simple ». Au moins 25 d’entre eux ont également été jugés pour violation de la réglementation relative à l’immigration, parmi lesquels au moins 17 ont été condamnés à une expulsion du territoire russe.
Amnistie internationale a appelé à plusieurs reprises la Russie à mettre fin aux enlèvements et aux retours forcés, qui constituent des violations flagrantes des obligations du pays en matière de droits humains. Le principe de « non-refoulement », qui est absolu, interdit aux États de renvoyer une personne dans un pays où il existe un risque réel qu’elle soit soumise à la torture ou à d’autres graves violations des droits humains. La Russie est partie à la Convention contre la torture depuis 1987, le Tadjikistan depuis 1995, et les deux pays doivent respecter leurs obligations qui en découlent.