Le verdict concernant les chauffeurs d’Uber est « une grande victoire pour les droits des travailleurs »
La Cour suprême a statué que les chauffeurs d’Uber doivent bénéficier des droits des salariés :
« Aucun modèle économique ne devrait reposer sur des types d’emploi précaires et s’apparentant à de l’exploitation » - Kate Allen
La décision historique qui classe un groupe de chauffeurs Uber dans la catégorie des salariés et non des travailleurs indépendants est une « grande victoire pour les droits des travailleurs », a déclaré Amnistie internationale le 19 février 2021.
Le 19 février, des chauffeurs d’Uber ont remporté une bataille juridique qui durait depuis six ans au sujet de leurs droits : les juges de la Cour suprême britannique ont statué qu’ils pourront prétendre à bénéficier des droits des salarié·e·s, notamment le salaire minimum national, les congés payés et le droit de fonder un syndicat.
Amnistie internationale salue cette décision, « étape cruciale » pour faire évoluer l’économie des petits boulots (gig economy) au Royaume-Uni, qui permet de garantir que les protections des droits du travail s’étendent aux travailleurs des plateformes numériques.
Uber doit désormais embaucher ses chauffeurs en tant que « salariés », ce qui signifie qu’ils ont droit à un salaire minimum, aux garanties inscrites dans la législation sur le temps de travail et les lancements d’alerte, à la protection contre toute discrimination et, pour ceux dont les revenus ouvrent des cotisations sociales, à l’indemnité maladie statutaire.
La décision rendue ce jour a rejeté le recours d’Uber et affirmé que les chauffeurs étaient des « salariés » au titre de la loi britannique. La Cour a statué que « les services de transport effectués par les chauffeurs et rendus aux passagers via l’application Uber sont étroitement définis et contrôlés par Uber » et que, de ce fait, les chauffeurs ont droit à une protection au titre de la loi du travail. Surtout, la Cour a conclu que les requérants travaillaient pour l’entreprise dès que leur application Uber était allumée, et pas seulement lorsqu’ils conduisent les passagers d’une destination à l’autre.
Cependant, au titre de la législation britannique, les personnes classées dans la catégorie des « salariés » n’ont pas droit aux mêmes protections que les employés, et à ce titre, n’ont toujours pas pleinement droit aux congés maladie, aux congés maternité et paternité, ni à la protection contre un renvoi abusif.
Kate Allen, directrice d’Amnistie internationale Royaume-Uni, a déclaré :
« Cette décision sans précédent est une immense victoire pour les droits des travailleurs et une étape cruciale pour faire évoluer l’économie des petits boulots au Royaume-Uni.
« La pandémie de la COVID-19 a mis en exergue le besoin vital de protéger et de respecter les travailleuses et travailleurs qui se trouvent en première ligne et continuent de nous fournir des biens et services essentiels.
« Cette pandémie expose les dangers du travail précaire, les personnes exerçant des emplois précaires étant souvent contraintes de continuer de travailler malgré les risques sanitaires parce qu’elles manquent de protections élémentaires, telles que le droit à un salaire minimum ou à des jours d’arrêt maladie payés.
« Aucun modèle économique ne devrait reposer sur des types d’emploi précaires et s’apparentant à de l’exploitation.
« Après cette décision et d’autres, les droits de nombreux travailleurs précaires à travers le monde ne sont toujours pas dûment protégés et ils ne peuvent pas prendre les congés maladie nécessaires qui leur permettront de s'auto-isoler s’ils contractent la COVID-19.
« La décision rendue ce jour établit un précédent décisif qui aura une influence plus large au Royaume-Uni mais aussi dans le monde s’agissant de mettre en place les protections auxquelles les employé·e·s précaires ont droit. »
Les chauffeurs d’Uber : six années de bataille
En 2015, un groupe de chauffeurs d’Uber a intenté une action en justice contre l’entreprise au Royaume-Uni, en faisant valoir qu’ils avaient été classés à tort dans la catégorie des travailleurs indépendants alors qu’ils travaillent dans les faits comme des salariés. Les chauffeurs, soutenus par le syndicat de chauffeurs et coursiers (App Drivers and Couriers Union), ont affirmé qu’ils devraient jouir des mêmes protections que les salariés, comme les salaires minimum et les congés payés. Le tribunal du travail a statué en faveur des chauffeurs et la décision a été confirmée par la cour d’appel du travail, puis par la cour d’appel.
Tendance internationale à protéger les employé·e·s précaires
La décision de ce jour s’inscrit dans la campagne internationale qui prend de l’ampleur et vise à protéger les droits des travailleurs précaires et conteste le classement de salariés dans la catégorie des sous-traitants. La pratique est au cœur du modèle économique de nombreuses entreprises dans l’économie de plateforme et aggrave les conditions d’emploi de nombreux travailleurs précaires qui ne jouissent pas de protections suffisantes.
En juin 2020, le gouvernement espagnol a annoncé qu’il avait lancé le processus visant à adopter une loi sur le statut des travailleurs indépendants des plateformes numériques à la suite de multiples actions en justice ; des projets de loi sont attendus de manière imminente.
En août, une cour d’appel de Californie a confirmé la décision ordonnant à Uber et Lyft de considérer ses chauffeurs comme des employés, après l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi de l’État qui étend le statut d’employé aux travailleurs précaires.
Cependant, trois mois plus tard, lors d’un scrutin, les électeurs californiens ont soutenu la « Proposition 22 », un texte appuyé par les entreprises des plateformes numériques qui leur permet de contourner la loi. Ainsi, les livreurs en Californie n’ont pas de salaire minimum garanti, pas d’heures supplémentaires rémunérées, pas de jours d'arrêt maladie rémunérés, pas de régime de santé parrainé par l’employeur ni autres avantages. Des actions en justice réussies sur ce sujet ont aussi été intentées par des travailleurs précaires dans plusieurs pays, notamment au Brésil, en France, en Italie, aux Pays-Bas et dans les États américains de New York et de Pennsylvanie.