Madagascar. Les dirigeant·e·s mondiaux doivent agir de toute urgence pour sauver des vies et protéger les droits menacés par la crise climatique
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L’un des pires épisodes de sécheresse qu’ait jamais connue le pays cause des morts
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Amnistie internationale appelle la communauté internationale à intensifier les initiatives de secours
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Les dirigeant·e·s mondiaux doivent rapidement réduire les émissions de CO2 afin d’empêcher d’autres crises humanitaires dues au changement climatique, et les pays riches doivent considérablement accroître les fonds liés au climat versés aux pays en développement, y compris pour indemniser les populations affectées
La crise climatique mondiale a aggravé la sécheresse dévastatrice qui touche le sud de Madagascar et qui a amené près d’un million de personnes au bord de la famine, souligne Amnistie internationale dans son nouveau rapport rendu public le 27 octobre. Madagascar subit l’un des pires épisodes de sécheresse de son histoire, ce qui montre que le changement climatique cause déjà de terribles souffrances et aussi des morts.
Dans son rapport intitulé Il sera trop tard pour nous aider quand nous serons morts, Amnistie internationale expose les conséquences de la sécheresse sur l’exercice des droits humains pour les Malgaches qui vivent dans la région du Grand Sud, où 91 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’organisation demande à la communauté internationale de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour faire face à la crise climatique et protéger les populations des pays comme Madagascar qui sont fortement menacés par les effets du changement climatique.
« Madagascar se trouve en première ligne de la crise climatique. Cela se traduit par le fait qu’un million de personnes sont confrontées à une sécheresse d’une ampleur catastrophique et en butte à des violations de leurs droits à la vie, à la santé, à la nourriture et à l’eau. Cela implique le risque de mourir de faim. Voilà ce qui est en train de se produire. Les projections actuelles concernant le changement climatique indiquent que les sécheresses vont s’aggraver et qu’elles vont affecter de façon disproportionnée les populations des pays en développement. À l’approche de la COP 26, ces avertissements concernant la crise climatique devraient alarmer les dirigeant·e·s mondiaux et les amener à cesser de traîner les pieds, a déclaré Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnistie internationale.
« La communauté internationale doit immédiatement apporter à la population de Madagascar touchée par la sécheresse une aide humanitaire accrue et des fonds supplémentaires pour les pertes et préjudices subis. Ensuite, les pays qui ont le plus contribué au changement climatique et ceux qui ont le plus de ressources disponibles doivent également fournir une aide financière et technique supplémentaire pour aider les personnes à Madagascar à mieux s’adapter aux conséquences du changement climatique, notamment aux épisodes de sécheresse de plus en plus longs et intenses. »
Amnistie internationale demande également à tous les dirigeant·e·s mondiaux de prendre des mesures concrètes et courageuses pour réduire collectivement les émissions de CO2 d'au moins 45 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici 2030, et pour atteindre le niveau zéro d'émissions d’ici 2050, conformément aux données scientifiques.
Madagascar fait partie des pays les plus vulnérables au changement climatique. Les données scientifiques montrent que le changement climatique mondial a probablement contribué à l’élévation des températures et à des précipitations de plus en plus irrégulières dans la région semi-aride du Grand Sud, où depuis cinq années consécutives les précipitations sont inférieures à la moyenne. L’ONU a déclaré que Madagascar est sur le point de subir la première famine due au changement climatique.
L’ampleur de la sécheresse
Le Programme alimentaire mondial de l’ONU (PAM) et l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont déclaré en mai qu’environ 1,14 million de personnes étaient confrontées à un niveau élevé d’insécurité alimentaire aiguë dans le sud du pays, et que près de 14 000 personnes se trouvaient en état de « catastrophe », c’est-à-dire la phase la plus grave d’insécurité alimentaire selon le classement en cinq phases établi par le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). C’est la première fois que cette phase est déclarée depuis l’introduction à Madagascar, en 2016, de la méthode de l’IPC.
Selon la FAO, 95 % des personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë dans le sud de Madagascar vivent de l’agriculture, de l’élevage de bétail et de la pêche. Ces dernières années, la région a connu des saisons des pluies inférieures à la moyenne qui ont conduit à une baisse sévère de la production de denrées alimentaires de base, notamment de riz et de manioc, ainsi qu’à une diminution de la taille et une dégradation de l’état des troupeaux. La sécheresse a aussi décimé des troupeaux, ce qui n’a fait qu’aggraver la disparition des moyens de subsistance de la population.
Il n’existe pas de statistiques officielles sur les morts dues à la sécheresse, qui a débuté en novembre 2020, mais plusieurs des personnes interrogées par Amnistie internationale dans le Grand Sud ont dit que, dans leur communauté, des gens étaient morts de faim.
En mars, Votsora, un fermier âgé d’une cinquantaine d’années, a dit à Amnistie internationale que 10 personnes étaient mortes dans son village un mois plus tôt, et que cinq personnes appartenant au même foyer étaient mortes de faim le même jour.
Une femme interrogée en mars a déclaré que deux de ses enfants étaient morts de faim. « Ils ont souffert de la faim […] et ils sont morts. On mange presque rien », a-t-elle dit.
Un homme a quant à lui déclaré avoir perdu deux enfants en bas âge : « Le premier avait un an et deux mois, et l’autre huit mois. Ils sont morts il y a un an [...] Parce que nous n’avions rien à manger. »
Impact sur les droits humains
La sécheresse constitue un risque imminent pour le droit à la vie, ainsi que pour d’autres droits tels que les droits à la santé, à l’eau, à l’assainissement et à la nourriture des populations du sud de Madagascar.
En raison de cette crise, de nombreuses personnes ont été obligées de migrer pour pouvoir trouver de la nourriture.
Les enfants se voient privés de leur avenir, car la faim contraint beaucoup d’entre eux à abandonner l’école et à chercher du travail pour venir en aide à leur famille. Les parents hésitent aussi à envoyer leurs enfants à l’école le ventre vide.
La crise a également un impact disproportionné sur les femmes et les foyers ayant une femme à leur tête, qui vivent souvent de l’agriculture.
« Nous ne pouvons plus accepter que les populations les plus pauvres et les plus marginalisées soient celles qui payent le prix le plus fort pour les agissements et les défaillances des plus gros émetteurs de CO2, a déclaré Agnès Callamard.
« Et d’après les prévisions, les épisodes de sécheresse vont devenir de plus en plus sévères dans cette région de Madagascar, ce qui ne peut conduire qu’à une érosion persistante de la protection des droits humains. La communauté internationale doit intensifier ses efforts et veiller à ce que toutes les personnes jouissent de leur droit à un environnement propre, sain et durable, ce qui est essentiel pour l’exercice de nombreux autres droits. »
À l’approche de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques COP 26 qui doit se tenir le mois prochain, Amnistie internationale appelle tous les pays :
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à s’engager en faveur d’objectifs de réduction des émissions à la fois ambitieux et respectueux des droits humains, afin de maintenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 1,5°C ;
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à s’engager à abandonner rapidement les énergies fossiles, au lieu de compter sur des mesures de compensation qui retardent l’action pour le climat et risquent d’avoir des conséquences néfastes pour les droits fondamentaux ;
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à mettre en place un mécanisme mondial pour soutenir les personnes dont les droits ont été affectés, les États riches en assurant le coût via un financement nouveau, additionnel et non assujetti à un remboursement ;
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à garantir le droit à l’information et à la participation concernant les prises de décisions liées au climat pour les personnes affectées à tous les niveaux.
De plus, Amnistie internationale demande aux pays riches d’accroître de façon substantielle leurs contributions financières pour les mesures respectueuses des droits humains de réduction des émissions et d’adaptation climatique dans les pays moins riches.
Informations complémentaires
Le sud de Madagascar a subi quatre épisodes consécutifs de sécheresse, qui ont anéanti les récoltes et entravé l’accès des populations à la nourriture. Le dernier épisode de sécheresse en date a commencé en novembre 2020 et s’est poursuivi jusqu’en janvier 2021. La saison creuse, entre les semailles et les récoltes, est arrivée tôt cette année, ce qui a aggravé la pénurie alimentaire dans le sud du pays. La sécheresse a eu de considérables répercussions sur les communautés affectées, exposant les gens à la faim, à la malnutrition et à la mort.
Selon le dernier bulletin du PAM sur la sécurité alimentaire et la nutrition qui couvre la période allant d’avril à septembre, 1,14 million de Malgaches vivant dans le Grand Sud subissaient des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë.