Lettre à Justin Trudeau | Justice et reddition de comptes pour les enfants des Premières Nations, Inuit et Métis et les Peuples autochtones au Canada
Monsieur le premier ministre,
Nous vous écrivons au nom des 600 000 sympathisant.e.s d'Amnistie internationale Canada pour vous demander de prendre des mesures plus fermes et plus rapides, de rendre justice et d'exiger des comptes au nom des enfants autochtones, mais aussi de tous les Métis, les Inuit et les membres des Premières nations du Canada.
Le 27 mai, les restes de 215 enfants autochtones ont été découverts sur le site de l'ancien pensionnat indien de Kamloops, en Colombie-Britannique. Ces enfants n'auraient jamais dû être enlevés à leur famille.
Ces pensionnats faisaient partie d'une politique coloniale visant à détruire les cultures, les langues et les communautés autochtones. Bien que le dernier pensionnat ait fermé en 1996, les traumatismes intergénérationnels, les préjudices permanents et les pratiques discriminatoires envers les peuples autochtones se poursuivent de nos jours.
En raison des politiques coloniales discriminatoires, les enfants métis, inuit et des Premières nations sont toujours représentés de façon disproportionnée dans le système de protection de l'enfance. Les enfants des Premières nations vivant dans les réserves reçoivent moins d'argent pour les soins de santé et l'éducation que ceux du reste du Canada. Les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones subissent des taux de violence extrêmement élevés. Les Inuit, les Métis et les membres des Premières nations sont trop souvent victimes de racisme lorsqu'ils utilisent des services publics tels que la police et les soins de santé, ou qu'ils interagissent avec eux. Le gouvernement approuve fréquemment des projets industriels en territoire autochtone sans obtenir leur consentement préalable, libre et éclairé, ou sans reconnaître leurs lois et savoirs ancestraux.
Les rapports de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, de la Commission de vérité et réconciliation en 2015, de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2019, ainsi que de nombreux travaux des Nations unies et d'autres instances internationales de défense des droits humains, tous documenté l'ampleur des torts qu’ont subis les Peuples autochtones au Canada et formulé de nombreuses recommandations à l'intention du Canada afin de garantir la justice et la reddition de comptes envers eux.
Nous sommes heureux de constater que le projet de loi C-15 visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a finalement reçu la sanction royale, et nous avons favorablement accueilli l'augmentation du financement destiné à lutter contre la violence envers les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones.
Pourtant, malgré de nombreuses recommandations qui exposent clairement la voie à suivre et que certains engagements ont été pris, le Canada continue de faire obstacle à une justice et à une reddition de comptes réelles.
Votre gouvernement poursuit sa contestation judiciaire contre les enfants des Premières nations vivant dans les réserves afin qu’ils reçoivent le même financement pour les services de base que les autres enfants du Canada. Votre gouvernement se bat encore contre les survivants des pensionnats et des externats devant les tribunaux. Votre gouvernement continue de résister aux appels des Peuples autochtones à respecter leur droit à l'autodétermination et à appliquer le principe du consentement libre, préalable et éclairé en matière de développement industriel sur leurs territoires.
Pour assurer la justice et la reddition de comptes, envers les 215 enfants dont les corps ont été enterrés au pensionnat indien de Kamloops et envers tous les membres des Premières nations, les Métis et les Inuit, votre gouvernement se doit de prendre des mesures concrètes sans délai. Le Canada est responsable d’avoir créé et mis en œuvre des lois et politiques coloniales, et doit assumer la responsabilité de remédier aux préjudices intergénérationnels permanents découlant de ces lois et politiques.
Monsieur le premier ministre, nous vous avons entendu reconnaître les violations passées et présentes des droits humains des peuples autochtones. Nous avons entendu votre engagement à agir. Mais nous voyons toujours trop peu de mesures de lutte contre le racisme systémique à l'égard des Peuples autochtones au Canada.
La découverte des restes de 215 enfants autochtones à Kamloops a uni la population du Canada dans la douleur, et elle demande un changement. On ne peut plus attendre pour agir.
Nous vous appelons à agir de toute urgence et à :
- mettre pleinement en œuvre les 94 appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation et partager avec le public un calendrier de leurs mises en œuvre;
- mettre pleinement en œuvre les 213 appels à la justice de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées;
- abandonner toutes les procédures à l’encontre des enfants des Premières Nations et à vous conformer à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne de 2020 sur le financement du service de protection de l'enfance et le principe de Jordan;
- mettre en œuvre les recommandations du plan Spirit Bear de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations du Canada;
- coopérer pleinement dans les enquêtes internationales sur les violations des droits humains subies par les Peuples autochtones au Canada;
- mettre en œuvre les recommandations des Nations unies pour arrêter les projets d'exploitation des ressources qui ne reçoivent pas le consentement libre, préalable et éclairé des communautés concernées;
- financer la totalité des soins de santé mentale et d’autres services pour aider les Peuples autochtones à surmonter les traumatismes causés par les politiques et pratiques coloniales, conformément à leurs souhaits;
- financer entièrement les examens des lieux d’inhumation des autres anciens pensionnats et externats sur demande des communautés touchées, et à veiller à ce que les populations autochtones contrôlent l'accès à ces sites conformément à leurs propres lois et coutumes;
- enquêter sur les décès d’enfants autochtones dans les pensionnats autochtones, et à traduire en justice les responsables;
- nommer un rapporteur spécial et créer un cadre juridique pour protéger les sites funéraires;
- continuer d’inciter l’Église catholique à rendre publics tous les dossiers et photos liés aux pensionnats, et à tenter à nouveau d’obtenir des excuses et des réparations pour les victimes et leurs familles.
Sincèrement,
France-Isabelle Langlois
Directrice générale
Amnistie internationale Canada francophone
Ketty Nivyabandi
Secrétaire générale
Amnesty international Canada (anglais)