• 23 oct 2020
  • Canada
  • Communiqué de presse

Lettre à l'attention du Premier Ministre François Legault

Objet : Invitation urgente à reconnaître l’existence du racisme systémique et d’adopter rapidement une politique et un plan d’action afin de le contrer. 

Monsieur le Premier Ministre, 

C’est au nom des 70 000 membres, sympathisantes et sympathisants au Québec d’Amnistie internationale, que je vous écris aujourd’hui pour demander que votre gouvernement reconnaisse l’existence du racisme systémique au Québec et se dote d’une politique et d’un plan d’action de lutte contre le racisme systémique. 

À titre de section Canada francophone d’Amnistie internationale, nous sommes appelés à veiller spécifiquement aux droits humains au Québec et dans le reste du Canada francophone. 

Comme vous le savez, la mission d'Amnistie internationale est de veiller à la pleine et entière réalisation des droits humains énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des autres textes internationaux relatifs aux droits humains, dont est partie le Canada, et conséquemment le Québec. Rappelons d’ailleurs, que le Québec s’est lui-même déclaré lié à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dès 1978. 

Le racisme systémique est présent au Québec au sein de plusieurs de nos institutions. Cela a été démontré, avec chiffres et données à l’appui, dans de nombreux rapports officiels. Des centaines de témoignages douloureux ont été compilés. Nier ce fait, c’est nier la réalité que vivent 15 % de notre population parce que ces personnes sont autochtones, noires ou racisées. 

Il s’agit d’un enjeu gravissime, ayant des conséquences terribles dans la vie de plusieurs de nos concitoyennes et concitoyens, pouvant aller jusqu’à la mort, comme cela a été le cas pour Madame Joyce Echaquan, lundi 28 septembre, à l’hôpital de Joliette 

Quoique nous apprécions votre préférence pour des solutions concrètes et que nous considérions, tout comme vous, que l’heure n’est plus aux débats sémantiques, la première chose à faire n’en demeure pas moins de reconnaître officiellement l’existence d’un problème si nous désirons sincèrement le régler. Les mots sont donc importants. Votre déni de l’existence du racisme systémique au Québec est non seulement trompeur et blessant, mais il freine notre progrès en tant que société. 

Amnistie internationale tient à souligner et à soutenir le travail des organisations à travers le Québec qui luttent depuis de nombreuses années contre le racisme systémique perpétué par nos institutions, nos pratiques et nos lois, la plupart du temps inconsciemment. 

Vous avez l’opportunité de faire preuve de leadership dans la mise en place d’une politique québécoise de lutte contre le racisme systémique et d’un plan de mise en oeuvre tenant compte des réalités particulières des personnes autochtones, noires et racisées. 

Un tel plan d’action devrait inclure, sans toutefois s’y limiter : 

  • Procéder à la collecte et la publication de données désagrégées fiables, uniformisées et anonymisées, axées sur l’identité raciale et les origines autochtones, et ce dans toutes les institutions publiques (forces policières, systèmes de santé et de services sociaux, de justice, d’éducation, etc.), afin d’obtenir des statistiques fiables concernant les impacts des discriminations raciales dans nos institutions. 

  • Interdire de manière définitive des pratiques d’interpellation qui ciblent les personnes racisées et autochtones de façon disproportionnée, telles que les contrôles d’identité, les règlements et contraventions pour les petites incivilités, les ressources policières disproportionnées investit dans les quartiers et milieux avec forte représentation de groupes racisés, et l’utilisation de technologies de reconnaissance faciale pour la surveillance et ce, tant pour la Sûreté du Québec que pour les corps policiers municipaux. 

  • Veiller à ce que les organes de surveillance des services de police et correctionnels soient complètement indépendants et incluent dans leur composition des membres des communautés autochtones, noires et racisées. 

  • Adopter des mesures efficaces pour s'attaquer aux causes de la surreprésentation des enfants et des jeunes noirs et autochtones au sein des services d’accueil et de protection de l’enfance et de la jeunesse, y compris les centres de réadaptation, et déployer tous les efforts nécessaires pour favoriser le maintien des enfants et des jeunes dans leur milieu familial. 

  • Développer et mettre en oeuvre des politiques et des programmes efficaces d’accès à l’équité en emploi dans les secteurs public et privé, au vu de la discrimination systémique persistant à l’embauche envers les personnes racisées et autochtones. 

  • Financer de façon soutenue les organismes ethnoculturels menés par des personnes racisées qui desservent des populations spécifiques et luttent contre la marginalisation et le racisme systémique, afin de remédier le sous-financement chronique auquel ces organismes sont assujettis depuis la fin des années 1980. 

Le Comité d’action sur le racisme dispose de plusieurs rapports et de leurs recommandations en la matière. Ainsi, vous disposez des outils qu’il vous faut pour la rédaction et la mise en oeuvre d'une politique et d’un plan d’action contre le racisme systémique*i, lequel devra être élaboré en consultation et concertation avec les communautés et les groupes concernés, et les organisations et institutions qui les représentent. 

Je vous prie, monsieur le Premier Ministre, d’agréer mes sincères salutations, 

France-Isabelle Langlois 
Directrice générale
Amnistie internationale Canada francophone