• 9 déc 2020
  • Canada
  • Communiqué de presse

Le projet de loi sur la responsabilité climatique doit être revu pour protéger les droits humains

L’annonce par le Canada d’un projet de loi sur la responsabilité climatique (projet de loi C-12 : Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité) représente un pas dans la bonne direction, mais s’avère insuffisante pour garantir la protection des droits humains face aux changements climatiques.

Pour respecter ses obligations internationales en matière de droits humains, le Canada doit s’assurer que la transition vers une économie carboneutre et une société plus résiliente soit juste et équitable pour tous et toutes; crée des conditions pour réduire les inégalités, combatte la discrimination, et fasse la promotion de la justice de genre, de classe, raciale et intergénérationnelle; offre une transition juste pour les travailleurs et travailleuses et les communautés affectées par la fin d’une économie fondée sur les énergies fossiles; et respecte, protège et réalise les droits humains. Ces principes devraient être clairement énoncés dans le préambule du projet de loi.

L’objectif de carboneutralité, d’ici 2050, de ce projet de loi ne permet pas de respecter les engagements du Canada en matière de droits humains. Selon le droit international relatif aux droits humains, tous les États doivent prendre toutes les mesures possibles, à la hauteur de leurs compétences, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le plus court laps de temps possible, sur le plan national et par la coopération internationale, afin de limiter le plus possible la hausse de la température mondiale, et jamais à plus 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels. À défaut de cela, les États seront tenus légalement responsables de graves préjudices envers les droits humains. 

Il est vrai que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat recommande de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, afin de limiter la hausse de la température mondiale à un maximum de 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Toutefois, ce ne sont pas tous les pays qui pourront réduire leurs émissions au même niveau. Il serait déraisonnable par exemple de demander aux pays en développement de réaliser cette transition au même rythme que les pays plus riches. Selon les obligations découlant du droit international en matière d’environnement et de droits humains, les pays riches et industrialisés comme le Canada, qui ont une plus grande responsabilité pour avoir causé les changements climatiques et qui disposent de plus de ressources et de capacité technologique, devraient viser la carboneutralité d’ici 2030 ou aussitôt que possible après cette date. Il est crucial que les cibles visées puissent être atteintes par la réduction des émissions, en évitant les mécanismes d’élimination du carbone et autres mesures de compensation qui violent les droits humains. 

Selon ce nouveau projet de loi, le gouvernement du Canada s’engage à réaliser et même à dépasser sa cible pour 2030. Il est bon d’entendre cela puisque le Canada est l’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre au monde et que sa cible actuelle pour 2030 est loin d’être suffisante face aux besoins. Amnistie internationale prie le gouvernement canadien de faire preuve de plus d’ambition, non seulement à long terme, mais aussi à court et moyen terme, puisque les cibles actuelles du pays ne répondent vraiment pas à l’impératif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. Amnistie recommande aussi que le Canada adopte une cible pour 2025 afin de s’assurer, avant qu’il ne soit trop tard pour ajuster le tir, que les progrès accomplis sont suffisants.  

Selon l’Accord de Paris, les États doivent soumettre leurs cibles révisées pour 2030 d’ici le 31 décembre 2020, ce que le Canada n’a pas encore fait, même si la fin de l’année arrive à grands pas. Amnistie demande au gouvernement du Canada d’annoncer, d’ici la fin de l’année, une nouvelle et ambitieuse Contribution déterminée au niveau national (CDN) qui soit cohérente avec ses engagements internationaux. Cette CDN augmentée devra respecter nos obligations relatives aux droits humains et fixer une cible compatible avec l’impératif du 1,5 °C.

Amnistie apprécie que le projet de loi C-12 reconnaisse le besoin d’une approche basée sur les droits humains en relation avec les droits des peuples autochtones. Le projet de loi devrait s’assurer que les mesures pour le climat respectent totalement les droits des peuples autochtones et de toutes les communautés affectées par ces mesures. Plus particulièrement, les plans pour une transition juste devraient être pilotés par les peuples autochtones qui ont l’obligation de sauvegarder leurs territoires. Les plans pour une transition juste doivent aussi contribuer au respect, à la protection et à la mise en œuvre des droits inhérents aux peuples autochtones, de ceux découlant de traités, des droits constitutionnels et internationaux à la terre, aux territoires et aux ressources, et inclure l’obligation du consentement préalable, juste et éclairé des peuples autochtones avant l’approbation de tout projet de transition qui pourrait affecter leurs droits.

Dans une approche fondée sur la reconnaissance des droits, il est essentiel, en termes de participation publique, que les populations puissent participer de manière significative aux décisions qui les concernent. Le projet de loi C-12 stipule que le ministre offrira aux gouvernements provinciaux, aux peuples autochtones, à l’organisme consultatif et aux personnes intéressées, incluant tout expert que le ministre jugerait approprié de consulter, la possibilité de présenter des observations. La notion de « personnes intéressées » n’est pas très claire, mais cela devrait inclure des organisations de la société civile et le public en général, et surtout les personnes et communautés les plus affectées par les changements climatiques et les mesures pour les atténuer. Toutefois, la possibilité de présenter des observations n’entraîne pas nécessairement une participation significative. Les personnes et communautés les plus affectées par les changements climatiques et les mesures pour y remédier doivent avoir la possibilité de participer à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation des plans pour le climat. Enfin, une participation significative doit être soutenue par l’éducation et des informations adéquates. Tout frein à la participation devra être identifié et pris en compte. 

Le projet de loi C-12 annonce la mise en place d’un organisme consultatif dont le mandat sera de conseiller le ministre pour l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050. Le projet de loi ne donne pas de détails quant à la composition de cet organisme. Il sera important d’y inclure une personne offrant une expertise en matière de droits humains pour s’assurer que l’approche fondée sur la reconnaissance des droits est respectée.

Le projet de loi C-12 bénéficierait d’un mécanisme de reddition de compte rigoureux pour s’assurer que les objectifs et les cibles de la loi sont atteints. À ce jour, le Canada n’a jamais atteint aucune de ses cibles d’émissions. Il n’y a plus une seconde à perdre pour combattre la crise climatique au niveau mondial. Nous ne pouvons pas nous permettre de rater encore nos cibles. Il est impératif que le Canada prenne très au sérieux sa responsabilité, envers les communautés vulnérables au climat au Canada et partout dans le monde, et envers les prochaines générations, de « décarboniser » rapidement son économie, de manière cohérente avec les droits humains.

Enfin, le projet de loi C-12 devra être complété par d’autres actions pour s’attaquer aux impacts de la crise climatique sur les droits humains, tant au Canada qu’à l’étranger. Pour cela, le gouvernement du Canada devra mettre en place :

  • Des mesures d’adaptation et de réduction des risques de désastre, adéquates et respectueuses des droits humains, afin de protéger toutes les communautés du Canada, et plus particulièrement les groupes affectés de manière disproportionnée par la crise climatique, des impacts prévisibles et inévitables des changements climatiques;
  • Des mesures pour garantir l’accès à des recours efficaces, y compris des compensations, aux personnes et communautés, incluant les peuples autochtones, dont les droits ont été affectés par des pertes et des dommages causés par les changements climatiques, y compris lorsque des actions à l’intérieur de leur juridiction affectent les droits humains à l’extérieur de leurs frontières;
  • Une stratégie économique globale pour garantir que chaque secteur est transformé et outillé pour mieux protéger les droits humains face à la crise du climat.

Amnistie internationale demande encore au gouvernement canadien d’augmenter de façon substantielle le financement et le soutien aux pays en développement afin de les aider à réduire leurs émissions et à protéger leurs populations face aux impacts de la crise climatique, entre autres par des mesures d’adaptation renforcées. Dans les négociations sur le climat, le Canada devrait soutenir la mise en place de mécanismes permettant de mobiliser des formes nouvelles et additionnelles de financement afin de fournir des moyens, du soutien et des recours, incluant des compensations, aux personnes et communautés, y compris les peuples autochtones, dont les droits ont été affectés négativement suite à des pertes et dommages causés par la crise climatique dans les pays en développement vulnérables au climat.