La conférence des donateurs doit accorder la priorité aux droits humains en cette période critique
L’Afghanistan se trouve à un tournant et la communauté internationale doit rester pleinement mobilisée s’agissant de défendre et de s’appuyer sur les avancées importantes mais fragiles obtenues en matière de droits humains, a déclaré Amnistie internationale à l’approche de la grande conférence des donateurs prévue les 23 et 24 novembre.
La Conférence quadriennale des donateurs pour l’Afghanistan à Genève, co-organisée par les Nations unies et les gouvernements afghan et finlandais, réunira des représentant·e·s de plus de 70 pays et d’organisations et d’agences internationales. La conférence fixera des objectifs de développement et établira des engagements de financement pour l’Afghanistan sur la période 2021-2024.
« L’Afghanistan se trouve à un tournant. Même si des pourparlers de paix sont en cours, les violences se poursuivent, faisant des centaines de morts parmi la population civile, la protection des droits humains est absente de l’agenda politique et la COVID-19 se propage à grande vitesse dans un pays doté d’un des systèmes de santé les plus fragiles au monde. Il n’est plus temps pour les donateurs internationaux de réduire leur contribution ni de se retirer, a déclaré Omar Waraich, directeur du programme Asie du Sud à Amnistie internationale.
« Le financement international s’avère crucial pour les progrès limités mais essentiels que nous avons pu constater en matière de droits humains en Afghanistan au cours des 20 dernières années. Cependant, il reste encore beaucoup à faire. Pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de retour en arrière, la Conférence de Genève doit maintenir l’accent sur les objectifs relatifs aux droits humains.
« De son côté, le gouvernement afghan doit faire la preuve de sa détermination à défendre les droits fondamentaux, à garantir la liberté d’expression et à protéger les groupes minoritaires. »
Amnistie internationale appelle les participant·e·s à la Conférence de Genève à définir des objectifs et à s’engager à financer des domaines clés, notamment les droits des femmes et des filles, les victimes civiles dans le cadre du conflit, les personnes déplacées à l’intérieur du pays, les défenseur·e·s des droits humains et l’accès à la justice.
Les femmes et les filles
La situation pour les femmes et les filles en Afghanistan s’est grandement amélioré en comparaison de leur situation sous le régime des talibans. Aujourd’hui, 3,3 millions de filles sont scolarisées et les femmes se mobilisent dans les sphères politiques, économiques et sociales. Toutefois, des obstacles et des défis majeurs demeurent.
La violence contre les femmes est monnaie courante, la participation des femmes à tous les niveaux du gouvernement reste limitée et, selon l’UNICEF, 2,2 millions de filles afghanes ne vont toujours pas à l’école. En outre, 20 années de progrès en matière de droits des femmes risquent d’être compromises par les pourparlers de paix.
« Le gouvernement afghan et ses partenaires donateurs doivent s’appuyer sur les avancées gagnées de haute lutte par les femmes afghanes ces 20 dernières années et prendre le ferme engagement de soutenir les programmes visant à éradiquer les violences faites aux femmes, de renforcer la participation des femmes à tous les niveaux du gouvernement et d’accroître l’accès des filles à l’éducation à travers le pays », a déclaré Omar Waraich.
Conflit et victimes civiles
Le conflit qui ravage l’Afghanistan depuis 40 ans n’a rien perdu de son intensité. Au cours des neuf premiers mois de 2020, la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a recensé 5 939 victimes civiles dans le pays, dont 2 117 morts et 3 822 blessés. Dans le contexte des pourparlers de paix, les combats opposant le gouvernement afghan aux talibans se sont durcis ces derniers mois, faisant des centaines de morts parmi les civils. La Cour pénale internationale (CPI) enquête actuellement sur les crimes de guerre qui auraient été commis dans le pays depuis 2003.
« La population civile en Afghanistan paie un lourd tribut à ce conflit sanglant. Les participant·e·s à la Conférence de Genève doivent faire en sorte que la protection des civils et le respect du droit international humanitaire soient au cœur des négociations de paix en cours, a déclaré Omar Waraich.
« La conférence doit aussi mettre l’accent sur la nécessité de mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes pour les graves violations des droits humains et du droit humanitaire imputables à toutes les parties au conflit. »
Personnes déplacées à l’intérieur du pays
Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays en Afghanistan ne cesse d’augmenter, environ quatre millions de personnes ayant été déplacées à cause du conflit. Elles vivent dans des camps densément peuplés, où l’accès à l’eau potable, aux soins de santé, aux installations sanitaires et à l’emploi est limité.
La distanciation sociale étant impossible dans ces camps, la situation des personnes déplacées s’est aggravée depuis que la pandémie de COVID-19 frappe l’Afghanistan. Vivant dans de petites pièces avec de nombreux membres de leur famille, ceux qui sont testés positifs ne peuvent pas se mettre réellement en quarantaine. Ceux qui gagnent leur vie grâce à un travail journalier ont également perdu leurs revenus en raison des mesures de confinement.
Amnistie internationale demande aux participant·e·s à la Conférence de Genève de définir des objectifs et de prendre des engagements de financement afin de soulager le calvaire des personnes déplacées à l’intérieur du pays en fournissant des logements sûrs et un accès aux services de base au même titre que l’ensemble de la population.
Défenseur·e·s des droits humains
La communauté de défense des droits humains en Afghanistan, courageuse et active, continue de subir menaces, harcèlement et attaques. Malgré les promesses faites par le gouvernement afghan en janvier, aucun mécanisme applicable et permettant d’amener à rendre des comptes n’a été mis en place pour protéger les défenseur·e·s des droits humains.
« Le gouvernement afghan a promis au début de l’année de mettre sur pied un mécanisme chargé de protéger les défenseur·e·s des droits humains, mais ils continuent de risquer leur vie lorsqu’ils s’expriment. La Conférence de Genève doit inciter le gouvernement afghan à tenir sa promesse et s’engager à contribuer à financer la mise en place de ce mécanisme à travers le pays », a déclaré Omar Waraich.
Accès à la justice
Malgré les millions dépensés pour améliorer l’accès à la justice de la population en Afghanistan, le système judiciaire et légal demeure faible et inactif. Les Afghan·e·s sont en butte aux retards, à l’intimidation et à la corruption lorsqu’ils font appel aux mécanismes officiels de justice, tandis que l’application de la loi est au mieux fragmentaire, les auteurs d’actes criminels restant bien souvent impunis et leurs agissements faisant rarement l’objet d’investigations.
Amnistie internationale invite la Conférence de Genève à prendre l’engagement d’améliorer le système judiciaire afghan. Il doit être renforcé afin de fournir un soutien immédiat aux victimes, d’enquêter sur les crimes commis et de traduire les responsables présumés en justice.
« La Conférence de Genève est une occasion clé pour réaffirmer le rôle central que doivent jouer les droits humains dans l’avenir de l’Afghanistan. Pour ce faire, elle doit s’engager sur des critères crédibles et mesurables afin de suivre de près les avancées en matière de droits humains et, surtout, faire clairement savoir à toutes les parties prenant part aux pourparlers de paix que ces droits ne sont pas négociables », a déclaré Omar Waraich.