Mohamed Tadjadit - Livres comme l'Air
PORTRAIT DE l'auteur
Surnommé le « poète du Hirak », Mohamed Tadjadit est originaire du quartier H'raoua à Alger. Connu pour ses œuvres poétiques en derdja, il est l'une des figures de proue de la jeunesse engagée au sein du mouvement populaire. Il a été poursuivi en justice à plusieurs reprises depuis novembre 2019 et a été emprisonné à quatre reprises. Toutes ses poursuites judiciaires sont liées à son implication dans les manifestations du Hirak et à son opposition au gouvernement.
Le 20 janvier 2025, quatre jours seulement après son arrestation, un tribunal d’Alger a condamné le célèbre militant du Hirak, à cinq ans de prison à l’issue d’une procédure accélérée qui a bafoué son droit à un procès équitable.
JUMELÉ À jean-pierre pelletier
Né à Montréal. Auteur, traducteur. Actif depuis plus de trente ans dans le milieu de la poésie, de la traduction et de l’édition de périodiques culturels du Québec et de l’étranger, il est l’auteur de onze livres, dont cinq sont des traductions. Son livre de poésie précédent, Le crâne ivre d’oiseaux (Écrits des Forges), a vu le jour en 2016. Cofondateur, au début des années 1990, de la revue Ruptures, la revue des 3 Amériques, il est depuis 2019 coresponsable de la section « Poésie et création » de Possibles. A paru chez Pierre Turcotte Éditeur la traduction de l’espagnol du roman de Gloria Macher, Le vol des artères de don Fernando (2025). Une poignée de vent (prosèmes) a paru cette année chez Pierre Turcotte Éditeur et paraîtra en 2026 une édition bilingue (anglais-français) d’une traduction de l’auteur d’origine singapourienne, Goh Poh Seng : Home & Away/Ici et ailleurs. Entre autres projets, sont en chantier une anthologie bilingue du poète uruguayen, Jorge Palma, un livre de poésie, Aucun, ainsi que deux romans : Stalag, ô doux stalag! et Le Paradis sur Terre.
Autres informations
Retrouvez Jean-Pierre Pelletier à un évènement Livres comme l'air qui se tiendra le 19 novembre 2025 à 18h30 au Salon du Livre de Montréal
Mon cher Mohamed,
En réalité, je sais fort peu de choses à ton sujet. PEN international, de concert avec Amnistie internationale, confie à des plumes d’ici, une fois par an, la tâche d’écrire quelques mots sur un auteur ou une autrice avec qui l’on est jumelé.e.
Je sais que tu te bats pour la liberté d’expression en tant que patriote algérien, que tu es un poète et un militant, que tu écris dans la langue populaire de ton quartier natal d’Alger, le derdja, que tu es proche des gens du quotidien et que ces mêmes gens te le rendent bien, car ils sentent que tu es un homme sincère, comme le chantait à sa manière le grand poète et patriote cubain José Martí.
Et je sais que tu as depuis des années des «démêlées» avec la justice de ton pays. Peut-être ce mot de « démêlées » est-il trop faible?... Je ne sais pas, Mohamed. D’un poète à un autre, le moyen, peut-être le seul véritable, consisterait à te faire parvenir par l’intermédiaire d’Amnistie internationale un exemplaire de mon tout dernier ouvrage, ‒ « Une poignée de vent ».
Aussi, j’ai pensé à toi ainsi qu’à d’autres prisonniers politiques par le monde qui, au péril de leur vie, risquez souvent beaucoup en ayant l’audace, le courage d’interpeler les puissants d'ici-bas pour qui une parole libre et critique demeure un scandale.
Jean-Pierre Pelletier
Le prisonnier, par Jean-Pierre Pelletier (Novembre 2025)
Ma peur a disparu :
suis-je devenu fou?
Mes sens me trahissent?
L’écho m’est revenu :
suis-je étourdi?
Qui m’a secoué, m’a soulagé
du poids de la nuit et de ce mur de cauchemar?
Depuis des lustres la fenêtre est bouchée,
les fissures des murs calfeutrées de poussière.
Mais qu’est-ce que ceci?
Maintenant la lumière du jour se scinde
et un écho m’invite à prendre la fuite!
Le soleil qui filtre par la brèche, le rire des enfants,
des vestiges de vie dans un champ dévasté
qui reconnaissaient mon ombre, ma peine,
ma main qui fait au blé un chant, un poème –
tout m’invite à prendre la fuite.
Cet écho en proie au délire est de retour?
C’est encore ma tête qui tourne?
Combien de fois cet écho m’a trompé?
Combien de fois les ongles ont passé au peigne fin,
raclé les murs de la cellule,
se sont cassés sur cette paroi de pierres?
Combien de fois ai-je été dupe?
Fermez la porte du pénitencier à la lumière du jour.
Autrefois, une porte était une promesse
de pardon et d’évasion :
avant les secondes s’oxydaient dans mon cœur,
il y avait un écho pour en faire le compte,
l’attente était fébrile,
l’obscurité de la cellule m’avalait
et la poussière grugeait mes paupières,
les membres de mon corps contractés
tombaient, décomposés, mes os
pulvérulents laissés à pourrir
éparpillés par les pattes des souris.
Et comment à présent se recomposer,
retrouver leur souplesse, et vivre –
et rêver d’un retour?
Que ferait à cette créature débile le retour de la mort?
Quelles visions meurent dans la fumée d’un café?
Quelle fuite d’un piège à l’autre?
La langue obscène du geôlier remue le poison dans mes blessures.
Le désir du phénix s’est éteint dans les cendres,
lui et le monde se cachent leur haine réciproque.
Comment faire pour se recomposer, retrouver sa souplesse, et vivre?
Quelle absurdité marmonne ce geôlier insolent?
Il m’a apporté le pardon et l’a troqué contre un châtiment
maintenant que mes os pourrissent depuis des années.
Devrais-je les laisser là et aller mon chemin,
sans visage, les membres vides,
un fantôme fouetté par le vent,
déshonoré par la lumière du soleil
et le rire des enfants
s’esquivant entre les murs?
Fermez la porte du pénitencier à la lumière du jour :
il y a longtemps que je rêve
de pardon et d’évasion.
LIVRES COMME L'AIR
Dans le cadre du projet Livres comme l’Air, des écrivains québécois témoignent leur solidarité à des écrivains emprisonnés ou menacés à travers le monde en leur rédigeant des dédicaces.