• 13 jan 2020
  • Canada
  • Communiqué de presse

Une lettre ouverte exhorte les gouvernements du Canada, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta à tenir compte de l'appel du Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale à respecter les droits des Autochtones

 

Le très honorable Justin Trudeau

Premier ministre du Canada

Ottawa, Ontario

 

L’honorable John Horgan

Premier ministre de la Colombie-Britannique

Victoria, Colombie-Britannique

 

L’honorable Jason Kenney

Premier ministre de l’Alberta

Edmonton, Alberta

 

Le 13 janvier 2020

 

Monsieur le Premier Ministre Trudeau et messieurs les Premiers Ministres Horgan et Kenney,

C’est dans l’urgence que nous vous envoyons cette lettre ouverte concernant la décision 1 (100) émise par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) le 13 décembre 2019 dans le cadre des mesures d’alerte rapide et d’intervention d’urgence. La décision demande l’arrêt des travaux de construction du projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain, du barrage du site C et du projet de gazoduc de Coastal GasLink, ainsi que l’arrêt des expulsions forcées des camps sur les lieux dont l’objectif est la défense du territoire, afin d’assurer le plein respect des droits des peuples autochtones. Cette lettre vous est adressée conjointement, car certains aspects de la décision entraînent des répercussions importantes pour vos gouvernements respectifs ou nécessitent une prise de décision urgente accompagnée d’actions concrètes. Il est impératif que vous agissiez sans délai afin de vous conformer à cette importante décision concernant les droits humains adoptée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies.

Plus précisément, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale a demandé au Canada de prendre urgemment les mesures suivantes. Bien que le message de la décision du Comité soit destiné au gouvernement du Canada, la responsabilité d’assurer la conformité à la décision revient assurément en partie aux provinces : 

Cesser immédiatement les travaux de construction du projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain et annuler tous les permis jusqu’à ce que le consentement préalable, libre et éclairé soit donné en toute connaissance de cause par les Secwepemc.

Suspendre immédiatement les travaux de construction du barrage du Site C jusqu’à ce que le consentement préalable, libre et éclairé soit donné en toute connaissance de cause par les Premières Nations de West Moberly et de Prophet River.

Cesser immédiatement les travaux de construction et suspendre tous les permis et les autorisations pour la construction du gazoduc Coastal GasLink sur les terres et territoires traditionnels non cédés des Wet’suwet’en, jusqu’à ce qu’ils donnent leur consentement préalable, libre et éclairé.

Cesser immédiatement l’expulsion forcée des Secwepmc et des Wet’suwet’en.

Donner la garantie qu’aucune force ne sera utilisée contre les Secwepmc et les Wet’suwet’en et que la Gendarmerie royale du Canada ainsi que les services de sécurité et de maintien de l’ordre associés seront retirés des territoires traditionnels.

Interdire l’utilisation d’armes meurtrières, notamment par la Gendarmerie royale du Canada contre les peuples autochtones.

Dans tous les cas, le consentement préalable, libre et éclairé exige une obligation de consultation.

La décision du CEDR repose sur une préoccupation de longue date au sujet de l’incapacité, dans l’ensemble du Canada, à respecter le droit important des peuples autochtones d’être consultés sérieusement, tout en permettant à d’importants projets de développement d’aller de l’avant sans le consentement préalable, libre et éclairé de ceux-ci. Pendant de nombreuses années, le Comité a souligné à plusieurs reprises de sérieuses lacunes relatives à des décisions particulières prises sans le consentement préalable, libre et éclairé ou relativement aux processus de consultation qui ont été inadéquats, ainsi qu’à des situations requérant une réforme importante des lois et des politiques. Ces préoccupations ont été exprimées de façon constante dans les observations finales du CEDR, adoptées dans le cadre de nombreux examens du bilan du Canada en matière de respect de ses obligations en vertu de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale.

Notamment, et par conséquent, le Comité a réitéré une nouvelle fois dans sa récente décision l’importance de procéder à des réformes plus vastes, dont :

Élaborer, en consultation avec les peuples autochtones, un cadre juridique et institutionnel visant à assurer une consultation adéquate, ayant pour objectif d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé relativement à l’ensemble des dispositions législatives ayant un impact sur les peuples autochtones.

Prendre les mesures nécessaires, en consultation avec les peuples autochtones, afin d’inclure le consentement préalable, libre et éclairé dans la législation nationale.

Mettre un frein à l’approbation présente et future des projets de développement à grande échelle qui n’ont pas eu l’obtention du consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones touchés par ces projets.

Au minimum, nous souhaitons obtenir de la part de vos gouvernements l’assurance d’un arrêt immédiat des travaux de construction sur ces trois importants projets pendant la tenue des consultations, conformément aux dispositions internationales relatives au respect des droits humains, notamment sur le consentement préalable, libre et éclairé. 

Il est primordial que le Canada se conforme  à cette décision, et ce, pour deux raisons fondamentales. D’abord et avant tout, il est urgent de poser les gestes nécessaires compte tenu de la gravité des violations des droits humains en jeu. Vos gouvernements ont reconnu qu’il est nécessaire d’apporter des changements significatifs permettant de réaliser la réconciliation avec les peuples autochtones, dans le plein respect de leurs droits au regard de la Constitution et en vertu du droit international. Si ces promesses ne se réalisent pas par des mesures concrètes, incluant la prise de décisions difficiles telle que la situation l’exige, alors il ne restera que des paroles vaines. Le Canada se doit de mettre fin à cette histoire honteuse.

En second lieu, se conformer à cette décision revêt une très grande importance dans les circonstances, car il s’agit d’une façon pour vos trois gouvernements de faire preuve de respect absolu envers le système international relatif aux droits humains. À une époque où un nombre croissant de pays bafouent régulièrement leurs obligations internationales relativement aux droits humains, il importe plus que jamais, que des pays comme le Canada s’engagent fermement envers les normes établies par les institutions internationales relatives aux droits humains comme le CEDR, auxquelles les gouvernements ont confié la responsabilité de veiller au respect de ces normes.

À travers le monde, des gouvernements tentent souvent de justifier leur incapacité à respecter leurs obligations internationales relativement aux droits humains en donnant comme excuse le coût de la protection de ces droits, qu’ils jugent trop élevé, affirmant que les lois et les processus nationaux en place servent adéquatement à protéger ces droits ou sacrifiant les droits d’un groupe en particulier (qui dans de nombreux pays sont les peuples autochtones) au profit de gains économiques d’autres groupes. Le Canada ne doit en aucun cas tomber dans de telles justifications ; il doit au contraire démontrer que les habitants de ce pays ont à cœur de placer les droits humains au premier plan et, ce faisant, s’attendre à ce que d’autres États agissent de la même façon.

En attente de votre réponse, nous donnant l’assurance que le Canada se conformera sans délai à la décision du CEDR relativement aux projets d’agrandissement du réseau Trans Mountain, du barrage du site C et du gazoduc de Coastal GasLink, et prendra les mesures nécessaires à la mise en œuvre de l’ensemble des recommandations émises par le Comité.

Cordialement,

 

Alex Neve                                                                            

Secrétaire général                                                                

Amnistie internationale Canada                                            

(section anglophone)                                                           

 

France-Isabelle Langlois

Directrice générale

Amnistie internationale Canada

(section francophone)