L’Entente sur les tiers pays sûrs : dernières impressions
Après une semaine mouvementée à Toronto, à la fois captivante, émouvante, épuisante, et inspirante, l’occasion est maintenant bonne pour quelques réflexions.
Nous avons eu la chance de voir neuf avocat-es d’exception agir au nom des parties plaignantes, Amnistie internationale, le Conseil canadien des réfugiés, le Conseil canadien des églises, et 9 demandeurs d’asile, tout au long de la contestation judiciaire de l’Entente sur les tiers pays sûrs.
L’équipe juridique a fait preuve d’intelligence, d’éloquence et d’empathie remarquable. Ces avocats ont passé plus de deux ans à travailler de longues heures, à peaufiner leurs arguments juridiques, à interroger et contre-interroger des experts, et recueillir des témoignages. Pour donner une idée de l’ampleur de leur engagement, cinq bébés ont eu le temps de naître dans l’équipe juridique durant cette période ! Cela vaut donc la peine de répéter leurs noms, et de les remercier pour le temps et l’énergie qu’ils ont consacrés et pour leur dévouement à cette cause: Prasanna Balasundaram, Joshua Blum, Michael Bossin, Andrew Brouwer, Heather Neufeld, Leigh Salsberg, Erin Simpson, Kate Webster et Jared Will.
Du point de vue juridique, les positions des parties plaignantes et du gouvernement tout au long du procès étaient pratiquement irréconciliables. Ultimement, la tâche peu enviable de rendre une décision reviendra à la juge Ann Marie McDonald, qui aura à lire de milliers de pages d’arguments, d’expertises et de preuves. Difficile ainsi de prévoir la date d’un éventuel jugement, mais il est clair qu’il sera attendu avec impatience par des nombreux intéressés.
Au-delà des arguments légaux, ce qui restera gravé dans nos souvenirs de cette semaine ce sont les récits personnels entendus tout au long du procès.
Comme l’histoire bouleversante de la famille de réfugiés syriens, avec deux jeunes enfants âgés de 2 et 3 ans, détenue par les autorités américaines, et séparée à de nombreuses reprises durant la nuit alors que les enfants, effrayés et confus, pleuraient pour leurs parents.
Mais aussi l’histoire inspirante de Me Balasundaram, qui a partagé avec le tribunal l’expérience de sa propre famille, qui s’était présentée il y a des dizaines d’années au même poste frontalier entre les États-Unis et le Canada qu’une des parties plaignantes (avant l’entrée en vigueur de l’Entente) pour faire une demande d’asile. Me Balasundaram a exhorté la cour à faire preuve d’empathie, expliquant à la juge comment lui-même s’était senti à l’époque, pris entre espoir et désespoir en attendant de rentrer au Canada.
Où se dirige-t-on à partir d’ici? Il est clair que le combat contre l’Entente sur les tiers pays sûrs ne peut pas se poursuivre uniquement dans une salle d’audience. Les militant-es, les activistes et les citoyen-nes doivent se faire entendre par leurs élu-es, et par tous ceux et celles qui ont le pouvoir et l’influence nécessaires pour mettre de la pression sur le gouvernement, afin de suspendre l’Entente. Avec un gouvernement minoritaire potentiellement appuyé par trois partis politiques qui ont clairement indiqué durant la campagne électorale qu’ils s’opposaient à l’Entente, le contexte politique semblerait propice à une telle suspension. Cependant, en voyant les avocats du gouvernement canadien défendre avec vigueur et conviction le maintien de l’Entente, un tel résultat ne devrait pas être tenu pour acquis.
Donc, voici l’appel à l’action que nous voulons lancer à tous les membres et sympathisants d’Amnistie internationale : mobilisez-vous, agissez, et prenez la parole au nom des réfugiés, des demandeurs d’asile et des nombreuses communautés vulnérables qui sont affectées injustement par cette entente. Ces personnes-là n’ont pas le même accès aux systèmes et aux institutions leur permettant de faire valoir leurs droits et leurs intérêts. Il est donc impératif pour ceux et celles qui ont une voix, qui ont accès à une tribune, ou qui ont du pouvoir politique et social, d’exprimer leur solidarité et d’amplifier les voix et les préoccupations des personnes touchées. C’est bien le minimum qu’on peut faire pour ces personnes fuyant la guerre, la violence et la persécution. En terminant, rappelons ceci : si une personne part de son pays, de sa maison et du seul monde qu’elle connaît, dans l’espoir de trouver une vie meilleure et plus sûre, ce n’est pas une décision qui est prise à la légère. C’est une décision que l’on prend parce qu’on n’a pas d’autres choix.