Des manifestations massives suscitent l’espoir dans un contexte de recul des droits et de l’indépendance de la justice
Les droits des gens sont bafoués par les gouvernements d’Europe et d’Asie centrale, qui répriment les manifestations et s’emploient à saper l’indépendance de la justice pour ne pas avoir à rendre de comptes, a déclaré Amnistie internationale jeudi 16 avril, à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur la situation des droits humains dans la région.
L’organisation a salué le courage des personnes qui sont descendues dans la rue pour défendre leurs propres droits et ceux des autres, mais a souligné que les États continuaient de se livrer en toute impunité à des violations des droits humains partout dans la région.
« En 2019, en Europe et en Asie centrale, des gens ont été en butte à des menaces, des actes d’intimidation, des poursuites judiciaires, un usage excessif de la force par la police, et des discriminations. Cependant, la mobilisation de simples citoyens et citoyennes qui, courageusement, ont osé s’élever contre ces agissements et demander des comptes aux États apporte une lueur d’espoir pour l’avenir », a déclaré Marie Struthers, directrice du programme Europe à Amnistie internationale.
L’indépendance de la justice menacée
En Pologne, l’indépendance du pouvoir judiciaire – condition sine qua non de l’équité des procès et du respect des droits humains – a été mise en péril, le parti au pouvoir ayant pris des mesures radicales en vue d’exercer un contrôle sur les juges et les tribunaux.
Des juges et des procureurs se sont exposés à des procédures disciplinaires pour avoir ouvertement défendu l’appareil judiciaire, risquant ainsi de devenir eux-mêmes victimes de violations des droits humains. Nombre d’entre eux ont été la cible de campagnes de dénigrement menées dans les médias publics et sur les réseaux sociaux.
L’indépendance de la justice en Hongrie, en Roumanie et en Turquie a également été source de préoccupations croissantes. Les juges hongrois ont été la cible d’attaques de toutes parts alors que le gouvernement poursuivait ses tentatives de sape de l’indépendance de l’appareil judiciaire. En mai, la Commission européenne a averti la Roumanie qu’elle devait remédier à certains problèmes, tels que l’ingérence de l’État dans le pouvoir judiciaire, si elle ne voulait pas risquer de voir suspendus certains de ses droits en qualité d’État membre, parce qu’elle ne respectait pas les valeurs fondatrices de l’Union européenne (UE). En Turquie, un ensemble de réformes du système judiciaire a été adopté par le Parlement. Ces réformes n’ont pas permis de faire disparaître les intenses pressions politiques pesant sur l’appareil judiciaire, ni de mettre fin aux poursuites et condamnations iniques et motivées par des considérations politiques.
Liberté de réunion pacifique
Les tribunaux indépendants ont pourtant joué un rôle crucial en 2019 pour protéger les libertés individuelles face aux excès de pouvoir des États, qui ont imposé des restrictions aux manifestations, par exemple en France, en Pologne et en Turquie, et poursuivi en justice des personnes descendues dans la rue dans bien d’autres pays.
On a assisté à de vastes mouvements de contestation dans de nombreux pays européens, notamment en Autriche, en France, en Hongrie, en Pologne, en République tchèque et en Roumanie. Les gens ont protesté contre les mesures d’austérité et la corruption, pour réclamer la justice sociale, et aussi pour l’indépendance de la justice. Les manifestations et les grèves organisées pour engager les gouvernements à agir contre le changement climatique sont devenues fréquentes dans de grandes villes européennes.
De nombreux États ont réprimé les manifestations en recourant à des mesures qui portaient atteinte aux droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression. En Autriche, en Espagne et en France, plusieurs centaines de personnes ont été blessées par la police au cours de ces manifestations. La police a recouru à une force excessive en France et a dispersé de manière violente des rassemblements pacifiques en Turquie, rassemblements qui ont souvent été frappés d’une interdiction générale en vue de priver les gens de leur droit à la liberté de réunion pacifique. Bien souvent, les États n’ont pas fait le nécessaire pour que leurs forces de sécurité répondent des violences commises pendant les manifestations.
Des juges ayant statué dans des affaires en lien avec des manifestations ont été harcelés ou rétrogradés par les autorités polonaises.
À Moscou et dans d’autres villes russes, le refus des autorités de laisser des candidats issus de l’opposition se présenter aux élections municipales a déclenché des manifestations pacifiques d’une ampleur rarement vue ces dernières années. La répression exercée par les autorités en réaction à ces manifestations a conduit à la condamnation pénale d’une vingtaine de participant·e·s, pour le simple fait d’avoir exercé leur droit de manifester.
« Les représailles visant les personnes qui ont participé aux manifestations massives à Moscou ont déclenché un élan de solidarité sans précédent, qui témoigne d’une prise de conscience accrue des droits humains et d’un éveil du pouvoir du peuple en Russie », a déclaré Marie Struthers.
Mouvements migratoires
Les États européens ont continué de se soustraire à l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains découlant de leurs politiques migratoires en « externalisant » les contrôles aux frontières, confiés à des pays dont le bilan en matière de droits humains était pourtant critiquable. En 2019, les politiques migratoires privilégiaient toujours la protection des frontières à celle de la vie humaine. Malgré la dégradation de la situation en termes de sécurité en Libye, les pays européens ont continué de coopérer avec ce pays pour qu’y soient retenues les personnes migrantes ou demandeuses d’asile.
En novembre, le gouvernement italien a prolongé de trois ans l’accord qu’il avait conclu avec la Libye en matière de flux migratoires, en dépit d’informations persistantes prouvant que des violations des droits humains, y compris des actes de torture, étaient systématiquement commises dans les centres de détention libyens.
Les informations faisant état en Turquie de graves atteintes aux droits fondamentaux subies par des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées, et le fait que ces personnes se voyaient toujours refuser l’accès à une protection, n’ont en rien dissuadé l’UE de continuer de faire de ce pays un partenaire pour freiner l’immigration dans le cadre de l’accord UE-Turquie de 2016. En amont de l’incursion turque dans le nord-est de la Syrie en octobre, Amnistie internationale a mené de nombreux entretiens donnant à penser que plusieurs centaines de Syriens et Syriennes ont probablement été expulsés de la Turquie entre les mois de mai et de septembre, sous couvert de « retours volontaires ». L’accord UE-Turquie est également responsable d’une surpopulation sans précédent dans les camps mis en place sur les îles de la mer Égée, où plusieurs dizaines de milliers de personnes vivaient dans la misère.
Les défenseur·e·s des droits humains pris pour cible
Des membres de la société civile, des journalistes et d’autres personnes qui ont pour mission d’amener les gouvernements à rendre des comptes ont subi des pressions en 2019.
« Des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des membres d’ONG et d’autres personnes qui militent en faveur d’une société plus équitable et plus juste ont toutes et tous étaient particulièrement visés par les mesures de répression des États en 2019 », a déclaré Marie Struthers.
« Le travail que ces personnes accomplissent pour amener les autorités à répondre de leurs actes sera d’autant plus fondamental pendant la crise de la COVID-19 et à la suite de celle-ci. L’humanité et la solidarité qu’elles témoignent à l’égard des membres les plus marginalisés de la société sont plus que jamais nécessaires, et le resteront durant la phase de reprise après la COVID-19. »
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