Il faut libérer les journalistes et les défenseurs des droits humains menacés par le COVID-19
Près de 30 organisations de défense des droits humains demandent aux autorités turques de libérer immédiatement et sans condition les journalistes, les défenseur·e·s des droits humains et les autres personnes qui ont été accusées ou condamnées simplement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits. Elles estiment en outre que les autorités turques devraient réexaminer les dossiers de toutes les prisonnières et tous les prisonniers en détention préventive en vue de leur libération.
Au milieu des préoccupations croissantes concernant la propagation de COVID-19 dans les prisons, le gouvernement turc accélère la préparation d'un projet de loi qui permettrait de libérer jusqu'à 100 000 prisonnier·ère·s. Il s’agit là d’une démarche étape bienvenue. Le surpeuplement et l'insalubrité des installations pénitentiaires constituent déjà à eux seuls une grave menace pour la santé de la population carcérale turque, qui compte près de 300'000 prisonnières et prisonniers, et des dizaines de milliers de membres du personnel pénitentiaire. Cette situation ne fera qu'être exacerbée par la pandémie de coronavirus. Nous restons cependant préoccupés du fait que des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et d'autres personnes emprisonnées pour avoir simplement exercé leurs droits, ainsi que d'autres personnes qui devraient être remises en liberté, resteront derrière les barreaux si l’on en croit l’état actuel du train de mesures proposé par le gouvernement.
Selon la législation et les normes internationales en matière de droits humains, il existe une présomption de libération en attendant le procès, liée à la présomption d'innocence et au droit à la liberté de mouvement. La détention préventive qui ne devrait être utilisée qu'à titre exceptionnel, est appliquée de manière routinière et punitive en Turquie.
Le gouvernement devrait également envisager sérieusement de libérer les prisonnier·ère·s qui sont particulièrement vulnérables au COVID-19, tels que les prisonnier·ère·s âgé·e·s et celles et ceux qui souffrent de graves problèmes médicaux. Les autorités devraient veiller à ce que tou·te·s les prisonnier·ère·s aient rapidement accès à des soins médicaux et à des conditions d’hygiène répondant aux mêmes normes que celles appliquées dans le reste de la société, y compris en ce qui concerne le dépistage, la prévention et le traitement de COVID-19. Le personnel pénitentiaire et les travailleurs de la santé devraient avoir accès à des informations, des équipements, une formation et un soutien adéquats pour se protéger.
En vertu de la législation actuelle sur l'exécution des peines et les mesures de sécurité, les détenu·e·s peuvent bénéficier d'une libération anticipée après avoir purgé les deux tiers de leur peine. Le projet de loi qui devrait être adopté par le Parlement dans les jours à venir permettrait aux détenu·e·s de bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de leur peine.
En vertu de la nouvelle loi, les femmes enceintes et les prisonnier·ère·s de plus de 60 ans souffrant des problèmes de santé confirmés seront placés en résidence surveillée. Un petit nombre de délits, y compris ceux liés au terrorisme ne permettront pas de bénéficier de réductions de peine. Le projet de loi ne s'applique pas non plus aux personnes actuellement en détention préventive ou dont la condamnation fait l'objet d'un appel. Ce projet devrait être introduit à titre de troisième paquet de mesures dans le cadre de la stratégie globale de réforme judiciaire annoncée l’été dernier par le gouvernement.
En Turquie, la législation antiterroriste est formulée de manière vague et est largement utilisée de manière abusive dans des affaires montées de toutes pièces contre des journalistes, des militant·e·s politiques de l'opposition, des avocat·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et d'autres personnes exprimant des opinions dissidentes. Comme nous l'avons constaté dans les nombreux procès que nous avons suivis, nombre de ces personnes sont maintenues en détention préventive prolongée et beaucoup sont condamnées pour des crimes liés au terrorisme simplement pour avoir exprimé une opinion dissidente, en l’absence de toute preuve qu'elles aient jamais incité à la violence ou y aient eu recours, ni aidé des organisations illégales.
On trouve notamment parmi elles le journaliste et romancier bien connu Ahmet Altan, l'homme politique kurde Selahattin Demirtaş, l'homme d'affaires et figure de la société civile Osman Kavala, ainsi que de nombreux autres universitaires, défenseur·e·s des droits humains et journalistes. Demirtaş a déjà fait part de ses difficultés cardiaques en prison, et Altan et Kavala ont tous deux plus de 60 ans, ce qui signifie qu'ils sont davantage exposés au COVID-19. Ces personnes ne devraient pas être détenues du tout. Les exclure de la mesure de libération ne ferait qu'aggraver les graves violations qu'elles ont déjà subies.
Les organisations signataires demandent au gouvernement et au Parlement turcs de respecter le principe de non-discrimination dans les mesures prises pour diminuer le grave risque sanitaire lié au COVID-19 dans les prisons. Le projet de loi a pour effet d'exclure de la libération toute une catégorie de prisonnier·ère·s en raison de leurs opinions politiques.
Des milliers de personnes sont aujourd’hui derrière les barreaux pour avoir simplement exercé leurs droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique. Aujourd'hui, elles sont de plus confrontées à un risque sans précédent pour leur santé. Conformément à ses engagements en matière de respect des droits humains, la Turquie est clairement tenue de prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit à la santé de tous les prisonnier·ère·s sans discrimination.
Nous invitons les autorités turques à saisir cette occasion pour libérer immédiatement les personnes injustement emprisonnées et à envisager d'urgence la libération de celles qui n'ont été condamnées pour aucun délit ainsi que de celles qui sont particulièrement menacées par une maladie qui se propage très rapidement dans des conditions de surpopulation et d'insalubrité où leur santé ne peut être garantie.
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