• 5 Mar 2020
  • Communiqué de presse

Que se passe-t-il aux frontières de la Grèce avec la Turquie ?

Le 27 février 2020, la Turquie a annoncé qu’elle n’empêcherait plus les réfugié·e·s de tenter de franchir ses frontières vers l’Europe, fermées depuis 2016.
 
La Turquie héberge 3,6 millions de réfugié·e·s syriens – soit plus que tout autre pays. Et depuis décembre 2019, des centaines de milliers de personnes fuient vers la frontière turque fermée avec la province d’Idlib, en Syrie, où le gouvernement syrien bombarde les civils à coups de frappes aériennes.

Les États européens, entre autres, manquent à leur devoir de partager la responsabilité d’accueillir les femmes, les hommes et les enfants qui ont fui leur foyer en Syrie. La Turquie affirme qu’elle n’est plus en mesure de gérer les nombreux réfugiés qui se trouvent sur son territoire.
 
Conséquence inévitable de l’annonce de la Turquie, des personnes désespérées prises au piège illégalement dans le pays depuis au moins 2016 se sont ruées vers les poste-frontières qui venaient de rouvrir – mais d’un côté seulement. Ce qu’elles ont trouvé en arrivant, ce sont des garde-frontières grecs lourdement armés, des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des fils de fer barbelés.

Comment la Grèce a-t-elle réagi?

La Grèce a réagi en déployant une batterie de mesures inhumaines qui bafouent le droit européen et le droit international. Les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes et repoussé les canots pneumatiques qui tentaient d’atteindre les côtes grecques.

Le gouvernement a suspendu provisoirement l’enregistrement des demandes d’asile et déclaré qu’il expulserait toute personne entrée illégalement sur son territoire, sans même examiner son dossier. Il s’agit d’une violation des responsabilités de la Grèce au titre de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951.

En quoi consiste l’accord UE-Turquie ?

En mars 2016, l’UE et la Turquie ont conclu un accord qui visait à renvoyer en Turquie les demandeurs d’asile arrivés sur les îles grecques. La Turquie s’était aussi engagée à empêcher les personnes de quitter son territoire pour l’Europe. En échange, l’UE a versé à la Turquie des milliards de dollars.

Cet accord est profondément biaisé, fondé sur la fausse hypothèse que la Turquie est un pays sûr pour les demandeurs d’asile. En effet, les organismes grecs en charge des demandes d’asile ont décidé dans de nombreux cas que la Turquie était un pays tiers sûr et fournissait une protection adéquate aux réfugiés syriens, donnant lieu à de nombreux renvois vers la Turquie.

Aujourd’hui, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants demeurent pris au piège sur les îles grecques, dans l’attente d’une décision au sujet de leurs demandes d’asile. Beaucoup dorment sous des tentes, bravant le froid et des conditions d’insécurité.

Comment le reste de l’Europe réagit-il à la situation à la frontière ?

Les leaders de l'UE soutiennent ouvertement l’approche hostile de la Grèce. La présidente de la Commission européenne a qualifié la Grèce de « bouclier » de l’Europe permettant de dissuader les migrants d’entrer et s’est engagée à fournir une aide financière et matérielle et à déployer des garde-frontières européens. 

Ce discours est des plus trompeurs. L’Europe n’a pas besoin d’être protégée face à des personnes en quête de sécurité. Les réfugié·e·s et les migrant·e·s à la frontière demandent de l’aide et cette aide leur est garantie par le droit européen et le droit international.

Pourquoi les réfugié·e·s syriens ne peuvent-ils pas rester en Turquie ?

La vie est extrêmement difficile pour les réfugié·e·s en Turquie. L’un des problèmes est que la Turquie ne respecte pas pleinement le droit international relatif aux réfugié·e·s. En Turquie, par exemple, seules les personnes européennes peuvent prétendre au statut de réfugié ; pour toutes les autres, la protection est limitée ou conditionnelle et il ne leur est pas possible d’obtenir un statut juridique stable.

Les problèmes sont nombreux : 1,5 % seulement des réfugiés syriens en âge de travailler ont des permis de travail, ce qui signifie qu’ils sont au chômage ou exposés à l’exploitation dans le cadre d’emplois informels. De nombreux Syriens sont privés de leur droit de s’inscrire et d’avoir accès à des services élémentaires, de nombreuses provinces ayant stoppé tout enregistrement, y compris à Istanbul.

En outre, Amnistie internationale a recueilli des informations attestant que les autorités turques ont contraint des personnes à retourner en Syrie – les frappant ou les menaçant pour qu’elles signent des documents dans lesquels elles affirment que leur retour est « volontaire ».

Face à la menace d’être contraints de retourner dans une zone de guerre, il n’est pas surprenant que les réfugiés cherchent à quitter la Turquie vers un endroit plus sûr.

Toutes les personnes à la frontière sont-elles Syriennes ?

Non. Elles viennent de nombreux pays, mais toutes ont vécu en Turquie ou l’ont traversée.

La vaste majorité des réfugiés vivant en Turquie sont originaires de Syrie, mais on recense également de grandes populations d’Afghans, d’Irakiens et d’Iraniens. Les raisons sont nombreuses qui les poussent à quitter la Turquie pour l’Europe. Ils ont parfois de la famille dans d’autres pays ou souhaitent aller quelque part où ils pourront travailler en toute sécurité et légalité.

La réponse apportée à la crise syrienne détourne des ressources qui ne bénéficient pas à d’autres populations de réfugiés en Turquie. Les réfugiés non-Syriens ne sont pas autorisés à vivre dans les principales villes turques, comme Istanbul, Ankara et İzmir. En 2019, l’organisation Refugees International s’est dite très inquiète des difficultés rencontrées par les réfugiés afghans pour obtenir des cartes d’identité turques, pourtant nécessaires pour accéder à des emplois légaux et à des services élémentaires comme les soins de santé, le logement et l’éducation. 

Pourquoi l’Europe devrait-elle accueillir des personnes qui ne fuient pas la guerre ?

Imaginez ce que cela signifie de laisser derrière vous toute votre vie – votre maison, votre famille, toutes les personnes que vous connaissez – pour partir vers un nouveau pays, en suivant un itinéraire dangereux et incertain. Ce n’est pas une décision que l’on prend à la légère et cela demande beaucoup de courage et d’ingéniosité.

Quelle que soit la raison précise pour laquelle ces personnes partent de chez elles, chacune mérite d’être traitée avec compassion et dignité. Outre la guerre, les demandeurs d’asile peuvent avoir subi des persécutions individuelles, fondées sur l’origine ethnique, la religion, la nationalité, l’opinion politique ou l’appartenance à un groupe particulier.

Les médias et les responsables politiques d’extrême-droite perpétuent souvent les discours toxiques, affirmant que ces personnes cherchent une « vie facile » en Europe. En réalité, à travers l’Europe, les gouvernements adoptent des politiques dures envers les personnes migrantes et réfugiées, souvent en violation de leurs obligations relatives aux droits humains.

La priorité accordée au fait de les empêcher de gagner l’Europe depuis l’Afrique du Nord et la Turquie s’est traduite par la saisie de navires de secours et l’arrestation de bénévoles humanitaires. Les frontières ont été fermées et de nombreux réfugiés se retrouvent bloqués dans des conditions effroyables sur les îles grecques ou exposés à la torture dans les centres de détention libyens.

Que recommande Amnistie internationale ?

L’Europe est loin de faire assez pour assumer sa juste part de responsabilité à l’égard des réfugiés. Au contraire, elle construit une forteresse afin d’empêcher les personnes qui sont simplement en quête de sécurité ou d’une vie meilleure d’entrer. Toutefois, les murs n’empêchent pas les gens de se déplacer, ils ne font qu’augmenter le coût humain.

Amnistie internationale demande aux gouvernements européens de respecter le droit international et de veiller à ce que tous les demandeurs d’asile aient accès à des procédures équitables et efficaces. Ils doivent mettre un terme aux pratiques illégales de contrôles aux frontières, telles que les refoulements, les expulsions collectives et les renvois illégaux.

Les États européens devraient aider à relocaliser immédiatement les demandeurs d’asile depuis les îles grecques, notamment grâce aux visas familiaux et humanitaires.

 

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