Un tribunal prolonge de façon arbitraire la détention provisoire de plus de 1 600 inculpés
Les décisions rendues par des juges de « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » de la Cour pénale du Caire prolongeant – sans que soient respectées les garanties de base concernant l’équité de la procédure judiciaire – la détention provisoire de plus de 1 600 personnes, qui sont pour beaucoup des prisonnières et prisonniers d’opinion, doivent être immédiatement annulées, a déclaré Amnistie internationale. L’organisation demande également aux autorités égyptiennes de libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé leur droit de manifester sans violence.
Ces juges ont rendu ces décisions entre le 4 et le 6 mai, sans qu’aucune des personnes concernées ait été présente lors des audiences. Les avocats de ces personnes n’ont pas été autorisés à présenter leur plaidoirie. Les inculpés sont maintenus en détention de façon prolongée, dans certains cas depuis plus de deux ans, dans l’attente des investigations du parquet de la Sûreté de l'État (SSSP).
« Les autorités égyptiennes doivent immédiatement annuler les récentes décisions prolongeant la détention provisoire et veiller à ce que toutes les personnes concernées soient en mesure de contester la légalité de leur détention et de communiquer avec leurs avocats de façon confidentielle, a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Un grand nombre de ces personnes d’auraient jamais dû être arrêtées, car elles n’ont fait qu’exercer leurs droits de façon pacifique. D’autres sont détenues depuis plusieurs années dans le cadre d’une procédure entachée de graves violations des normes internationales relatives à l’équité des procès. »
Ces décisions rendues massivement par des juges sont intervenues après que la Cour d’appel du Caire a indiqué, le 28 avril, que les tribunaux pouvaient décider de libérer ou maintenir en détention les inculpés sans que ces derniers soient présents lors de l’audience.
Selon les avocats, un des juges a refusé d’entendre les motifs de préoccupation concernant l’illégalité de ces décisions au regard du droit égyptien et de consigner ces préoccupations dans le dossier judiciaire. Pendant l’une de ces audiences, il a demandé aux avocats de désigner cinq d’entre eux pour qu’ils représentent plusieurs centaines d’inculpés.
Régularisation de la détention arbitraire
Le 3 mai, les « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » ont repris les audiences sur la prolongation de la détention après les avoir interrompues le 16 mars en raison des craintes liées à la pandémie de COVID-19. Depuis la mi-mars, les personnes inculpées dans des affaires instruites par le SSSP sont détenues sans motif légal depuis que l’ordonnance de placement en détention provisoire a expiré. Cette semaine, des « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » ont rendu des décisions rétroactives dans le but de régulariser ces périodes de détention provisoire.
Détention provisoire pour une durée indéterminée
Figurent dans ce groupe des personnes dont la période de détention provisoire a même été prolongée au-delà de la durée maximale de deux ans prévue par le Code de procédure pénale égyptien.
Le 6 mai, un juge a prolongé de 45 jours la période de détention de Moustafa Gamal, un jeune homme de 25 ans qui était déjà maintenu en détention provisoire depuis mars 2018, c’est-à-dire bien au-delà de la limite de deux ans. Il est maintenu en détention uniquement parce qu’en 2015 il a obtenu une marque de vérification pour la page de média social du chanteur Ramy Essam, où une chanson intitulée « Balha », qui fait la satire du président Abdelfatah al Sisi, a été publiée trois ans plus tard, alors que Moustafa Gamal n’a pas participé à sa production.
Moustafa Gamal est la dernière personne maintenue en détention dans l'attente d'une enquête dans l’affaire liée à cette chanson, depuis le récent décès du cinéaste Shady Habash, qui était âgé de 24 ans, dans la prison de Liman Tora ; il était détenu depuis mars 2018 dans le cadre d’une enquête portant sur son rôle dans la production de cette chanson. La détention de Shady Habash dépassait la limite de deux ans prévue par la loi, au moment de son décès. Amnistie internationale a pu établir par le passé que cette chanson ne comporte aucune incitation à la haine, et qu’elle est de ce fait protégée par le droit à la liberté d'expression, qui fait partie des droits fondamentaux.
Détention provisoire arbitraire
Amnistie internationale a constaté précédemment que les autorités égyptiennes utilisent de façon systématique le maintien en détention provisoire de façon prolongée et pour une durée indéterminée afin de sanctionner les personnes considérées comme des opposants politiques, des militants ou des défenseures des droits humains.
Parmi les personnes dont la détention provisoire a été prolongée cette semaine figurent des défenseur·e·s des droits humains, notamment Mohamed el Baqer, qui est détenu depuis le 29 septembre 2019 ; les journalistes Solafa Magdy et Hossam el Sayed, détenus depuis novembre 2019 ; et le militant Alaa Abdelfatah, détenu depuis septembre 2019. Toutes ces personnes sont incarcérées dans l’attente d’une enquête portant sur des accusations sans fondement liées à leurs activités pacifiques.
Aux termes du droit international, la détention dans l’attente du procès est une mesure préventive destinée à empêcher des préjudices supplémentaires ou des entraves à la justice, et non une sanction. Elle ne doit pas être utilisée à des fins illégitimes ou constituant un abus de pouvoir, et ne doit pas durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Les préoccupations en matière de santé publique liées à la pandémie de COVID-19 ne justifient pas le déni total des droits relatifs à l’équité des procès.
« Ces mesures sont disproportionnées par rapport aux objectifs de lutte contre la pandémie de COVID-19 et elles portent atteinte aux droits à la liberté et à un procès équitable. Nous demandons aux autorités égyptiennes de libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes qui sont détenues pour avoir pacifiquement exprimé leurs opinions, défendu les droits humains ou participé à la vie politique, et de veiller à ce que toutes les autres personnes maintenues en détention provisoire soient en mesure de contester la légalité de leur détention ou remises en liberté », a déclaré Philip Luther.
« Comme il existe des motifs valables de s’inquiéter pour la santé et la sécurité des personnes détenues dans le cadre de la pandémie de COVID-19, les autorités égyptiennes devraient libérer toutes les personnes détenues de façon arbitraire et envisager de libérer toutes celles qui sont particulièrement vulnérables et qui sont incarcérées pour des infractions de faible gravité ne s'accompagnant pas d'actes de violence. Les autorités égyptiennes ont plutôt choisi de donner une apparence de légalité à ce qui constitue de toute évidence des décisions concernant des détentions sommaires massives. »
Complément d’information
Depuis le 9 mars, en raison de la pandémie de COVID-19, les autorités égyptiennes n’autorisent ni les avocats ni les familles à communiquer avec les personnes incarcérées. Certaines prisons ont toutefois autorisé des détenus à envoyer et recevoir des lettres, mais jusqu’à présent, aucune prison n’en a autorisé à communiquer de façon privée avec leurs avocats ou leurs proches.
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