Le procès en appel du journaliste d’investigation Ignace Sossou doit aboutir à sa libération
Les autorités béninoises doivent annuler la condamnation à 18 mois de prison prononcée contre le journaliste d’investigation Ignace Sossou, ont déclaré huit organisations de la société civile, à la veille de l’audience en appel prévue le 28 février dans la capitale Cotonou.
Amnistie internationale, Reporters Sans Frontières (RSF), le réseau Panafricain des Blogeurs et web-activistes (Africtivistes) et cinq autres organisations estiment que la détention de Sossou depuis le 20 décembre dernier est arbitraire et constitue une violation de son droit à la liberté d’expression.
« En arrêtant et en maintenant en détention Ignace Sossou qui n’a fait que reprendre les propos publics d’une autorité judiciaire, les autorités béninoises ne font que confirmer leur volonté d’exercer une pression injustifiée sur les journalistes et la liberté des médias, » a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnistie internationale.
« Ignace Sossou est injustement détenu, et cela constitue une violation flagrante de son droit à la liberté d’expression. Les journalistes doivent être protégés, et non criminalisés par leur gouvernement. Ce procès en appel doit être saisi comme une opportunité pour procéder à sa libération immédiate et sans condition. »
Les faits reprochés au journaliste datent du 18 décembre 2019 au cours d’un atelier de formation sur les infox en période électorale, organisé à Cotonou par l’agence française de coopération et de développement des médias Canal France International (CFI). Ignace Sossou y prenait part au même titre que le procureur près du tribunal de Cotonou.
Durant son intervention, le procureur a comparé la loi de 2018 sur le Code numérique à une « arme » susceptible d’être utilisée contre les journalistes, et s’est prononcé sur la coupure d’Internet décidée par les autorités durant les élections législatives d’avril 2019. Ces propos ont été relayés en direct sur Twitter et Facebook par Ignace Sossou.
Estimant qu’ils avaient été sortis de leur contexte, le procureur a porté plainte contre Ignace Sossou. Ce dernier sera arrêté sans mandat le 20 décembre 2019 par des éléments de l’Office central de répression de la cybercriminalité (OCRC) appuyés par le commissariat central de Godomey, dans le sud du Bénin.
Au cours d’un procès organisé quatre jours plus tard, un tribunal de première instance l’a reconnu coupable de « harcèlement par le biais de moyens de communication électronique » et l’a condamné à 18 mois d’emprisonnement et à une amende de 200.000 francs CFA (environ 300 euros). Le journaliste est incarcéré à la maison d’arrêt de Cotonou. Il a reconnu être l’auteur des tweets mais a nié avoir harcelé le procureur.
« C’est la première fois dans l’espace de la CEDEAO qu’un journaliste est condamné à une peine privative de liberté pour avoir rapporté des propos qui ont bien été tenus, » souligne Assane Diagne, responsable du bureau Afrique de l’Ouest de Reporters Sans Frontières (RSF).
« C’est un précédent extrêmement dangereux. Si Ignace Sossou n’est pas acquitté en appel et libéré rapidement, cela signifierait que n’importe quel journaliste exerçant au Bénin et rapportant fidèlement des déclarations pourrait dorénavant être jeté en prison ».
Alors que le Bénin se targue depuis près d’une trentaine d’années d’être une « démocratie solide » qui promeut la liberté d’expression et organise des élections équitables au cours de transitions pacifiques du pouvoir, les organisations signataires sont préoccupées par la vague d'arrestations arbitraires de militants politiques et de journalistes et la répression des manifestations pacifiques qui ont atteint un niveau alarmant.
Au moins 17 journalistes, blogueurs et militants politiques ont été poursuivis en moins de deux ans au titre de cette loi dont certaines dispositions répressives portent atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de la presse dans le pays. Le Bénin a ainsi perdu 12 places et figure au 96e rang sur 180 pays dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Le 19 février dernier, à l'occasion de la célébration des 30 ans de la conférence nationale au Bénin, le président Patrice Talon s’est prononcé sur les cas de personnes poursuivies en vertu du Code du numérique. Il a indiqué que les personnes décidant d'aller contre les lois de la République devaient être prêtes à répondre de leurs actions devant la justice.
« La loi sur le Code du numérique n’a fait que créer un climat de répression et apporter des restrictions au droit à la liberté d’expression au Bénin, » a déclaré Cheikh Fall, Président de Africtivistes.
« Aucun blogeur ou journaliste ne devrait aller en prison pour avoir simplement exercé son métier. Les autorités doivent modifier les dispositions liberticides de cette loi et la rendre conforme aux normes internationales relatives à la liberté d’expression, notamment en dépénalisant les délits de presse, y compris en ligne, et la publication de fausses informations. »
Complément d’information
L’agence de coopération Canal France International (CFI) qui organisait le séminaire du 18 décembre 2019 avait écrit dans un courrier qu’elle « se distanciait évidemment de ces publications sur Facebook et de ce type de pratiques qui manquent à toute déontologie et donnent un mauvais nom à la profession dans son ensemble ».
Après avoir sanctionné les auteurs et responsables de cette lettre, l’Agence a admis un « dysfonctionnement interne sur ce dossier » et demandé la libération du journaliste dans les plus brefs délais, la publication de ses posts ne présentant « aucun caractère diffamatoire ».
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