• 2 avr 2020
  • Amériques
  • Communiqué de presse

Amériques: Les gouvernements doivent mettre un terme à la détention dangereuse et discriminatoire de migrants et demandeurs d’asile

Les autorités de cinq États et territoires dépendants de la région des Amériques – le Canada, les États-Unis, le Mexique, Curaçao, et Trinidad et Tobago – gardent en détention des migrants et des demandeurs d’asile dans des conditions dangereuses et discriminatoires, sur la base de leur seul statut migratoire, déclare aujourd’hui Amnistie internationale. En faisant cela, ils confinent les personnes dans des environnements insalubres et dangereux, en contradiction avec le droit international relatif aux droits humains et les consignes de santé publique. 

« Le statut migratoire est sans rapport avec la dignité de tout être humain et son droit à la vie. Plutôt que de mettre la santé des personnes à risque, les gouvernements devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les protéger », dit Erika Guevara-Rosas, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale.  

« Si on veut combattre efficacement la COVID-19 dans les Amériques et prévenir des milliers de morts évitables, les États devraient libérer autant que possible les personnes migrantes et réfugiées en centres de détention et s’assurer qu’ils aient accès, sans discrimination, aux soins de santé d’urgence. »

ÉTATS-UNIS

Les États-Unis disposent du plus vaste système de détention de personnes migrantes au monde, avec une population quotidienne moyenne de près de 40 000 immigrants et demandeurs d’asile, dans plus de 200 établissements.

Le 24 mars dernier, l’agence d’Immigration et d’application des règles douanières (Immigration and Customs Enforcement – ICE) du Département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security – DHS) a annoncé le premier cas confirmé de COVID-19 dans un établissement américain de détention d’immigrants. Depuis, l’ICE a révélé que 33 membres de son personnel avaient contracté le virus et que des douzaines de détenus avaient été placés en quarantaine comme personnes potentiellement à risque.  

Amnistie internationale a obtenu de quelques détenus des récits troublants sur les conditions dangereuses qui prévalent dans les centres de détention d’immigrants de l’ICE, et qui augmentent les risques des personnes déjà affectées d’autres conditions médicales de contracter la COVID-19 et d’en mourir.  

La semaine prochaine, Amnistie internationale publiera un rapport démontrant comment les autorités du DHS et des établissements d’ICE n’ont pas réussi à adopter des mesures de protection adéquates, telles distribuer du savon et des désinfectants aux personnes en détention, faciliter la distanciation sociale selon les normes internationales, et fournir des soins de santé adéquats et proactifs aux personnes qui montraient des symptômes de COVID-19.

CANADA

Le 30 mars, Amnistie internationale a adressé une lettre au gouvernement canadien pour exprimer son inquiétude face au manque de mesures appropriées pour prévenir la propagation de la COVID-19 auprès des immigrants placés en détention, et a recommandé de réduire rapidement, et au strict minimum, le nombre de personnes dans les établissements de détention des immigrants.  

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne détient généralement que quelques centaines de personnes dans ses établissements de détention, toutefois, le taux de décès des immigrant.e.s détenus dans ces centres est  plusieurs fois plus élevé que celui des centres de détention d’immigrants aux États-Unis. 

L’ASFC ne doit détenir des personnes que dans les circonstances les plus exceptionnelles et elle devrait généralement mettre fin aux détentions liées aux migrations. Outre les risques réels à la santé physique des personnes en détention pendant la pandémie de COVID-19, le stress psychologique est élevé pour les détenus et leurs familles. Les personnes détenues au Centre de surveillance de l’immigration (CSI) de Laval au Québec étaient tellement anxieuses quant aux risques de contracter la COVID-19 pendant leur détention qu’elles ont fait la grève de la faim pour demander qu’on les relâche. L’impact psychologique devrait être pris en compte sérieusement avant de déterminer s’il faut détenir une personne ou maintenir la détention. 

MEXIQUE

Après la fermeture de la frontière du Mexique avec le Guatemala, les autorités n’ont pas cherché d’alternative à la détention pour les personnes migrantes coincées en détention parce qu’il était impossible de les déporter en autobus vers l’Amérique centrale. 

Le 24 mars, des centaines de migrants et de  demandeurs d’asile ont protesté dans le plus grand centre de détention du Mexique, « Siglo XXI », à Tapachula dans l’État du Chiapas. Même si le gouvernement a annoncé que les centres de détention n’opéraient qu’à 45% de leur capacité  et qu’ils suivaient toutes les recommandations sanitaires pour prévenir la propagation de la COVID-19, les personnes détenues sont toujours à risque d’une éclosion du virus et cette réponse des autorités est insuffisante. De plus, sans précision sur la durée de détention des migrants et demandeurs d’asile, les autorités mexicaines risquent d’enfreindre leurs propres lois sur la migration en permettant un régime de détention illimitée, bafouant ainsi les normes internationales des droits humains.   

Dans le passé, les autorités mexicaines s’étaient montrées capables de mettre en place des alternatives à la détention des personnes migrantes, et de telles mesures pourraient être mises en place aujourd’hui pour les groupes en situation de vulnérabilité. L’Institut national de la migration (INM) a confirmé le 17 mars que 3059 migrants irréguliers demeuraient en détention. Le Mexique devrait relâcher rapidement autant de migrants et demandeurs d’asile que possible des centres de détention, puisque leur droit à la santé ne peut être respecté dans ces établissements.  

Étant donné la situation de grande insécurité des migrants et demandeurs d’asile au Mexique, où ils sont les cibles de violence et d’exploitation, les autorités mexicaines doivent non seulement les relâcher des centres de détention, mais aussi assurer leur protection humanitaire afin que tous les migrants et demandeurs d’asile aient accès – sans discrimination – aux services essentiels de santé et de sécurité, comme une nourriture adéquate et des soins de santé.

TRINIDAD ET TOBAGO

Le 18 mars, Trinidad et Tobago ont répondu à la COVID-19 en interdisant l’entrée au pays de tous les non-nationaux pour une période de 14 jours, et quatre jours plus tard, en fermant ses frontières internationales même pour les nationaux.

Trinidad et Tobago n’a pas de législation nationale sur les réfugiés. La Plate-forme de coordination régionale interagence estime qu’en mars 2020, quelque 24 000 Vénézuéliennes et Vénézuéliens vivaient dans le pays. En janvier 2020, 17 391 personnes avaient demandé l’asile auprès du HCR, l’agence des Nations unies pour les personnes réfugiées, mandatée pour traiter ces requêtes. Environ 16 500 d’entre elles avaient obtenu des visas temporaires et des permis de travail en 2019, après que le gouvernement les ait enregistrés sur une période de deux semaines. 

Néanmoins, le pays continue de criminaliser et de détenir les migrants et les réfugiés qui entrent de façon irrégulière au pays – particulièrement ceux et celles qui fuient la crise au Venezuela, en violation des normes du droit international relatif aux droits humains. La police a dit qu’elle détenait 33 Vénézuéliens le 17 mars, alors que le 23 mars, selon des rapports provenant des médias, 60 Vénézuéliens, hommes et femmes, étaient détenus à la station de police de Cedros pour entrée irrégulière dans le pays.   

Malgré des demandes formelles répétées auprès du Ministère de la Sécurité nationale, Amnesty International n’a pas pu visiter le Centre de détention de l’immigration de Trinidad, où des centaines de migrants et demandeurs d’asile, surtout en provenance du Venezuela, mais aussi d’autres nationalités, ont été détenus au cours des dernières années. D’autres organisations des droits humains indépendantes et des ONG n’ont pas réussi à y pénétrer. Le nombre exact de personnes actuellement détenues au Centre de détention de Trinidad n’est pas connu, mais la capacité du centre est estimée à 150. 

L’une des rares institutions qui a été en mesure de visiter le Centre – le Comité mixte spécial sur les droits humains, l’égalité et la diversité – a observé, en juin 2018, de nombreuses lacunes en santé et infrastructures sanitaires dans les établissements de détention, ce qui pourrait augmenter le risque pour les détenus en cas d’éclosion de la COVID-19. Le Comité a observé plus spécifiquement « le manque de ressources financières permettant de construire une zone désignée pour les détenus qu’il faudrait mettre en quarantaine à cause de la maladie ou d’autres considérations. »

Le gouvernement de Trinidad et Tobago devrait relâcher les migrants et demandeurs d’asile gardés en détention pour entrée irrégulière au pays, ou en attente du traitement de leurs demandes, et leur fournir, sans discrimination, l’accès aux soins de santé d’urgence et autres services essentiels. 

CURAÇAO

Le 30 mars, Curaçao a interdit l’entrée sur son territoire à tous les voyageurs, y compris les résidents légaux, jusqu’au 12 avril. 

Les autorités de Curaçao gardent souvent en détention les migrants ou les demandeurs d’asile vénézuéliens et leur refusent l’accès à la protection internationale. Une visite de Refugees International en avril 2019 concluait que : « Le gouvernement de Curaçao a non seulement failli à accorder la protection à cette population, mais il a établi une sorte de stratégie proactive d’élimination du problème en arrêtant, en détenant, et en déportant les Vénézuéliens à statut irrégulier. » 

En mars 2020, la Plate-forme de coordination régionale interagence estimait qu’il y avait 16 500 Vénézuéliens sur l’île. Lors des visites d’Amnesty International en 2018 et 2019, l’organisation avait pu observer des conditions déplorables de surpeuplement, de manque d’hygiène, de literie inadéquate, dans les zones où étaient détenus les migrants à statut irrégulier. 

En mai 2018, de nombreux cas de mauvais traitements lors d’arrestations ou pendant la détention ont été rapportés à Amnesty International, comme le cas de gardiens abusant sexuellement de femmes détenues en leur demandant d’échanger des services sexuels contre du savon ou des serviettes sanitaires. En janvier 2020, des avocats locaux des demandeurs d’asile ont informé Amnesty International que de nombreux Vénézuéliens, déjà détenus depuis plus de huit mois à cette époque, avaient entamé une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de détention. 

Curaçao devrait relâcher tous les migrants et demandeurs d’asile des centres de détention de l’immigration et leur fournir l’accès aux soins d’urgence et autres services essentiels.  

Lectures complémentaires :

Amériques: Ce que les autorités régionales doivent faire ou ne pas faire lors de la mise en œuvre de mesures de santé publique pour répondre à la COVID-19 (Billet de blogue, 24 mars 2020) 
Amériques: Des États ont réprimé le droit d’asile et le droit de manifester en 2019 (Nouvelles, 27 février 2020) 
Amnesty International Americas annual report 2019 (Research, 27 February 2020)

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