• 28 Mar 2019
  • Syrie
  • Communiqué de presse

Attaques illégales des forces gouvernementales contre des civils et des centres médicaux dans le gouvernorat d’Idlib

Les forces gouvernementales syriennes, soutenues par la Russie, ont frappé un hôpital, une banque de sang et des installations médicales, ainsi qu’une boulangerie et une école dans des villes et localités sous contrôle des groupes armés d’opposition dans le gouvernorat d’Idlib, manifestement dans le cadre d’attaques directes contre des biens de caractère civil ou d’attaques menées sans discrimination, a déclaré Amnistie internationale le 28 mars 2019 après avoir analysé six de ces attaques.

Au cours du mois dernier, le régime syrien a intensifié ses frappes aériennes et ses tirs d’artillerie contre des zones à forte densité de population situées le long de l’autoroute M5, route internationale stratégique qui relie Damas à Alep via le gouvernorat d’Idlib.

Amnistie internationale a interrogé 13 habitants témoins de ces attaques à Saraqeb, Sheikh Idriss, Talmans et Khan Sheikhoun, dans la région d’Idlib. Elle a vérifié leurs témoignages en analysant des vidéos, des informations issues de sources libres d'accès et des images satellite. Au moins quatre civils ont été tués et quatre blessés lors de ces attaques.

D’après les témoignages, la recrudescence des violences a contraint des milliers de personnes à fuir vers les villes et les villages proches de la frontière avec la Turquie.

« Huit ans après le début de la crise, le gouvernement syrien continue de faire preuve d’un mépris flagrant pour les lois de la guerre et la vie des civils, qui paient au prix fort les avancées militaires réalisées : on recense des dizaines de milliers de morts et des villes et des localités complètement détruites. La Russie et la Turquie, soutiens majeurs des parties au conflit, doivent entendre l’avertissement lancé par l’ONU et veiller à ce que l’offensive imminente contre Idlib accorde la priorité à la protection des civils et n’aggrave pas la crise humanitaire, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches sur le Moyen-Orient à Amnistie internationale.

« Les attaques qui se déroulent à Idlib suivent le schéma déjà mis en œuvre à Alep, Deraa et dans le gouvernorat de Rif Dimachq : les forces gouvernementales syriennes frappent des hôpitaux, des installations médicales, des centres de secours, des boulangeries et des écoles, ne laissant d’autre choix aux habitants que celui de partir. Le régime syrien, avec l’aide de la Russie, utilise les mêmes tactiques militaires illégales qui ont déjà conduit à des déplacements massifs de population, parfois forcés », a déclaré Lynn Maalouf.

Selon des témoins, Hayat Tahrir al Cham (HTS) et les groupes armés agissant sous sa bannière sont présents dans plusieurs villes et localités, dans des postes de contrôle, des bases militaires et des postes de police, ou effectuent régulièrement des patrouilles dans les quartiers d’habitation. En outre, les conseils locaux gérés par les civils seraient, parfois par la force, affiliés, soutenus ou gardés par le Gouvernement de salut syrien, fondé en 2017 par Hayat Tahrir al Cham.

« Hayat Tahrir al Cham est tenu de prendre toutes les précautions possibles pour protéger les civils dans les zones qu’il contrôle, notamment en s’abstenant de positionner des combattants et des objectifs militaires à proximité de zones fortement peuplées de civils. Installer sans vergogne ce qui ressemble à une cible militaire à proximité d’installations médicales et dans un quartier fortement peuplé est illégal et met en danger les civils et les infrastructures civiles », a déclaré Lynn Maalouf.

Une école touchée à Sheikh Idriss

Le 26 mars, vers 8h30, les forces gouvernementales syriennes ont tiré des roquettes sur une école à Sheikh Idriss, à l’est de la ville d’Idlib, alors que les cours avaient déjà commencé. Selon deux membres du personnel d’un hôpital de campagne à Saraqeb, l’attaque a tué un garçon de 10 ans et en a blessé deux autres de 9 et 10 ans, dont l’un se trouve dans un état critique. Selon les habitants, les tirs auraient été effectués depuis la base militaire d’Abou Dohour, située à 20 kilomètres de Sheikh Idriss. Il n'y avait aucun objectif militaire dans les environs de l’école.

Un habitant qui s’est rendu sur place juste après l’attaque a déclaré : « J’ai entendu l’explosion et je suis tout de suite allé à l’école. J’étais sur place en trois minutes, à moto. L’une des roquettes a atterri dans la cour, où semble-t-il des enfants étaient en train de jouer. Trois enfants ont été blessés, et l’un d’entre eux est mort. J’ai vu le sang et le cratère… Il y a de nombreux tirs de roquettes depuis l’aéroport d’Abou Dohour… Il ne fait aucun doute que l’école était la cible, car l’une des roquettes a atterri dans la cour de récréation et les autres tout autour du bâtiment, dans un rayon de 200 mètres. Or, aucune cible militaire ne se trouve aux alentours. Hayat Tahrir al Cham n’est pas présent, ni aucune autre faction. Ce secteur est situé dans la zone démilitarisée, il n’y a donc vraiment rien à cet endroit. »

Des hôpitaux de campagne pris pour cibles

À Saraqeb, le 9 mars, les forces gouvernementales syriennes ont largué quatre obus dans le cadre d’une attaque aérienne qui a frappé l’hôpital Al Hayat, une banque de sang, une unité d’ambulances et la Défense civile syrienne (ou Casques blancs), tous situés à 100 mètres les uns des autres, selon quatre témoins.

D’après ces témoins, les explosions ont gravement endommagé les bâtiments et blessé un employé de l’unité d’ambulances. Selon les habitants, l’hôpital Al Hayat a été fermé après l’attaque : les patients se trouvant dans un état critique ont été transférés vers des hôpitaux proches, les autres étant renvoyés chez eux.

Des témoins ont déclaré que deux civils, un homme de 25 ans et un enfant, ont été tués ce même jour lors de frappes aériennes contre des quartiers d’habitation à environ 150 mètres d’un autre hôpital de campagne. Du fait de l’intensification des attaques contre des bâtiments civils et d’habitation au cours des dernières semaines, la moitié de la population a fui vers la périphérie de Saraqeb, dans les champs agricoles ou près de la frontière avec la Turquie.

Le Service de vérification numérique d’Amnistie internationale a pu corroborer la plupart de ces affirmations en analysant des vidéos, notamment les témoignages des habitants de Saraqeb concernant les attaques contre une banque de sang et l’hôpital Al Hayat le 9 mars 2019.

Il a également examiné des images satellite prises le 17 mars 2019, et a identifié l’hôpital Al Hayat et géolocalisé la probable banque de sang, non loin de l’hôpital, grâce à des informations libres d’accès, à des photos et à des vidéos publiées sur les réseaux sociaux qu’il a vérifiées. On peut voir à environ 100 mètres à l’ouest de l’hôpital, dans un champ, ce qui ressemble à un large cratère.

Saraqeb est contrôlée par Liwa’ Jabhat Thuwar Saraqeb wa Rifouha (Brigade du Front des révolutionnaires de Saraqeb et des alentours), groupe rattaché à Hayat Tahrir al Cham.

Selon deux habitants du village de Talmans, dans le sud du gouvernorat d’Idlib, le 11 mars vers 15h35, les forces gouvernementales syriennes ont bombardé une zone située près de l’hôpital privé al Rahme. Les obus sont tombés sur un champ de céréales situé non loin, tuant deux agriculteurs et en blessant un troisième. Aucune cible militaire ne se trouve à proximité de ce site. L’un des habitants a déclaré que des personnes déplacées d’autres villes et villages vivent près de l’hôpital : « L’hôpital al Rahme a été touché par quatre obus. Ils sont tous tombés à côté, mais pas à l’intérieur. L’hôpital a cessé de fonctionner car la zone est prise pour cible tous les jours. C’est un hôpital privé. Le propriétaire a décidé de le fermer afin d’éviter d’autres attaques. »

Par ailleurs, Amnistie internationale s’est entretenue avec quatre habitants de Khan Sheikhoun, dans le sud d'Idlib, qui ont déclaré que la grande majorité des habitants avait été déplacée du fait de la multiplication en février des attaques aériennes et des tirs d’artillerie, qui ont détruit ou endommagé les habitations et d’autres bâtiments, dont deux boulangeries et des centres médicaux situés dans des bâtiments d’habitation. Un volontaire de la défense civile a déclaré : « La boulangerie al Rawda, boulangerie du centre de Khan, a été détruite lors d’une frappe aérienne à 11h30… J’ai sorti les cadavres de deux hommes morts dans l’explosion alors qu’ils se trouvaient devant la boulangerie, dans la rue. » D’après les habitants, plus aucun hôpital n’est désormais opérationnel à Khan Sheikhoun, depuis qu’une frappe aérienne a détruit l’unique hôpital de campagne de la ville en février 2018. Le plus proche se trouve désormais à 20 kilomètres, à Maarat al Noman.

« Les attaques délibérées contre des civils et des biens de caractère civil, notamment les hôpitaux et les installations médicales, et les attaques menées sans discrimination qui tuent ou blessent des civils, sont des crimes de guerre, a déclaré Lynn Maalouf.

« Amnistie internationale demande aux groupes armés soutenus par la Turquie à Afrin et dans la zone du Bouclier de l’Euphrate de ne pas bloquer les déplacements des civils qui fuient les violences dans le gouvernorat d’Idlib. La Turquie doit ouvrir ses frontières aux civils qui souhaitent fuir l’enclave et aux organisations humanitaires qui portent secours de manière impartiale aux civils ayant besoin d’aide, dans les régions syriennes qui se trouvent sous contrôle de la Turquie », a déclaré Lynn Maalouf.