L’allègement de la peine de l’élue locale qui avait aidé des demandeurs d'asile est une victoire pour la solidarité
La Cour d’appel de Locarno a allégé la peine infligée à Lisa Bosia Mirra, ancienne membre du parlement du canton du Tessin, par le Tribunal de Bellinzone. Elle avait aidé 20 personnes, pour la plupart des mineurs non accompagnés, à franchir la frontière entre l’Italie et la Suisse entre août et septembre 2016. Un geste insuffisant déplore Amnistie internationale Suisse, qui estime que les pouvoirs judiciaires des différents cantons devraient cesser de poursuivre et de condamner les actes de solidarité.
Le 1er septembre 2016, l’ancienne élue tessinoise a été arrêtée à San Pietro di Stabio (au sud du canton du Tessin), près de la frontière avec l’Italie. Elle avait assisté un Suisse de 50 ans qui aidait quatre Érythréens, dont trois mineurs, à entrer en Suisse Le 28 septembre 2017, elle a été déclarée coupable d’« incitation répétée à l’entrée, à la sortie et au séjour illégaux » par le Tribunal de Bellinzone pour avoir aidé 20 migrants érythréens et syriens à franchir la frontière entre l’Italie et la Suisse. Suite au procès en appel, qui a eu lieu mardi 10 septembre, la Cour d’appel de Locarno a maintenu la condamnation de Lisa Bosia Mirra mais a allégé l’amende de près de 10 000 francs suisses à 2 200 francs suisses.
« La Cour de Locarno a confirmé que le fait d'accueillir un migrant clandestin en Suisse pour quelques jours n'est pas punissable. Elle a en outre confirmé qu'il n'est pas punissable de fournir de la nourriture à un étranger en difficulté, ni d'offrir une assistance médicale et des conseils juridiques à un immigrant clandestin sur le point de passer la frontière. C’est un pas dans la bonne direction », a déclaré Pablo Cruchon, responsable de campagne Migrations pour Amnesty Suisse. Toutefois la peine infligée à Lisa Bosia Mirra demeure inscrite dans son casier judiciaire. Or, elle n’est ni une passeuse, ni une criminelle, elle n’aurait jamais dû être poursuivie ni condamnée en première instance. Désemparée face au désespoir des jeunes rencontrés à la gare de Côme, et face aux violations de leurs droits de la part des autorités suisses et italiennes, l’ancienne élue tessinoise n’a eu d’autre choix que d’agir selon sa conscience, même si ceci impliquait de violer la loi. »
« L’article 18 du Code pénal prévoit une possibilité de supprimer la peine lorsque l’auteur d’un acte illicite l’a commis pour préserver autrui d’un grave danger. Pourtant, les autorités judiciaires se sont abstenues d’acquitter Lisa Bosia Mirra », a déclaré Pablo Cruchon. « Les pouvoirs judiciaires des différents cantons devraient cesser complètement de poursuivre et de condamner les personnes qui s’engagent en faveur des droits des migrants, des requérants d’asile et des exilés. »
Une situation catastrophique aux portes de la Suisse
En première ligne dans la défense des droits des personnes migrantes et réfugiées, pendant l’été 2016, Lisa Bosia Mirra avait joué un rôle crucial dans la mise en place de l’aide aux migrants et aux réfugiés qui, dans l’impossibilité de franchir la frontière suisse, campaient aux alentours de la gare de Côme, à quelques kilomètres de la frontière entre l’Italie et la Suisse. Avec son association Firdaus elle a organisé la distribution quotidienne de nourriture et de vêtements, et la mise en place d’une d’assistance légale minimum, en particulier pour les mineurs non accompagnés et les personnes les plus vulnérables.
La situation précaire à Côme a été amplifiée par de graves violations des droits fondamentaux de la part des autorités italiennes et suisses. L’Italie n’a pas été en mesure de garantir une assistance sanitaire ou un soutien aux mineurs non accompagnés et aux personnes les plus vulnérables, les structures disponibles étant toutes surpeuplées.
« De son côté, la Suisse à elle aussi agi en violation des droits des mineurs. Pendant l’été 2016, les gardes-frontières suisses ont régulièrement renvoyé vers l’Italie des mineurs, même lorsque ceux-ci avaient demandé la protection de la Suisse, pays dans lequel beaucoup d’entre eux affirmaient avoir de la famille », a déclaré Pablo Cruchon. « Les autorités chargées de la surveillance des frontières ont aussi empêché des mineurs de transiter par la Suisse pour rejoindre leurs familles en Allemagne ou ailleurs en Europe, en violation du règlement sur le regroupement familial prévu par les accords de Dublin. »
La société civile se mobilise
Avec une pétition, Amnistie internationale et Solidarité sans frontières demandent la révision des lois qui limitent et répriment la solidarité envers les migrants et les réfugiés. Les deux organisations demandent notamment aux parlementaires de soutenir l’initiative parlementaire 18.461 « En finir avec le délit de solidarité », déposée par la conseillère nationale verte Lisa Mazzone, qui vise à modifier l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) de façon à ce que la justice ne puisse plus criminaliser des individus prêtant assistance, dès lors qu’ils agissent de manière désintéressée et n’en retirent aucun profit.
L’initiative parlementaire rappelle que jusqu’à 2008, la Loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE) contenait une disposition selon laquelle prêter assistance n'était pas punissable dans certaines situations et si les mobiles étaient honorables (art. 23 al. 3 LSEE). Cette disposition a disparu en 2008, lors du remplacement de la LSEE par la Loi sur les étrangers (LEtr).
Un appel au changement des lois en vigueur est aussi partagé par 134 avocats suisses qui ont rejoint la campagne en faveur de la modification de l’article 116 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) et de la dépénalisation de l’aide aux personnes en fuite lorsque le mobile est honorable. Dans leur Déclaration commune, ils invitent les pouvoirs judiciaires des différents cantons à cesser de poursuivre et de condamner des actes de solidarité.