La censure, le harcèlement et les poursuites contre les détracteurs du gouvernement s’intensifient
Depuis trois mois, les autorités du Somaliland semblent avoir intensifié leurs attaques visant à faire taire les voix discordantes en fermant des organes de presse, en procédant à des arrestations arbitraires et en poursuivant des personnes considérées comme critiques à l’égard des politiques gouvernementales et des représentants de l’État, a déclaré Amnistie internationale jeudi 4 juillet.
Entre le 17 avril et le 9 mai, quatre personnes ont été arrêtées : un journaliste, un jeune dirigeant de l’opposition et un fonctionnaire ont été placés en détention après avoir publié sur Facebook des messages critiques, et un membre du Parlement a été interpelé après avoir remis en question publiquement l’importance de célébrer le 18 mai comme fête nationale. L’un de ces hommes a indiqué à Amnistie internationale qu’il avait été blessé lors de son arrestation.
Le 18 juin, les autorités ont par ailleurs suspendu arbitrairement deux chaînes de télévision privées – Horyaal 24 et Eryal TV – en les accusant de « diffuser des informations constituant une menace pour la sécurité nationale », sans plus de précisions. Le blocage de ces chaînes a été levé le 30 juin, après que le ministère de l’Information et les dirigeants des deux entreprises sont parvenus à une « compréhension mutuelle ». Beaucoup de personnes ont interprété cette mesure comme une pression directe pour obliger ces organes de presse à censurer leurs contenus.
« L’intensification des manœuvres de harcèlement et d’intimidation des détracteurs des autorités souligne l’intolérance dont le gouvernement fait preuve envers les opinions divergentes et son manque de considération pour les protections des droits humains, a déclaré Joan Nyanyuki, directrice régionale d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l'Est, la Corne de l’Afrique et la région des Grands Lacs.
« Ces arrestations et ces suspensions vont totalement à l’encontre de la Constitution du Somaliland, qui garantit explicitement la liberté d’expression. »
Amnistie internationale a interrogé certaines victimes, des membres de leurs familles et des avocats au cours d’une mission d’établissement des faits à Hargeisa du 15 au 24 juin 2019 et l’organisation a assisté à l’une des audiences concernant le journaliste poursuivi. Elle a conclu que ces quatre hommes avaient été pris pour cible car ils avaient exprimé des opinions critiques.
Le 17 avril, le journaliste indépendant Abdimalik Muse Oldon a été arrêté devant son domicile à Burao pour avoir critiqué le président Muse Bihi Abdi sur Facebook. Il a été inculpé de « propagande contre le pays » et de « diffusion de fausses informations » le 6 juin.
Le 24 avril, Jamal Abdi Muhumed, un employé du ministère de l’Intérieur, a été arrêté à son bureau à Hargeisa en raison de messages sur Facebook dans lesquels il dénonçait l’inefficacité des services de police. Il a été inculpé d’« outrage à la police » et d’« outrage à un fonctionnaire » le 19 juin. Déclaré coupable et condamné à six mois d’emprisonnement le 2 juillet, il a été libéré le lendemain après avoir payé une amende.
Le 1er mai, Mohamed Sidiiq Dhame, dirigeant de la section jeunesse du parti d’opposition Waddani, a été arrêté à son domicile, à Hargeisa, après avoir critiqué sur Facebook l’état d’urgence imposé dans trois districts de la région de Sanaag. Il a été inculpé le 8 juin d’« atteinte à l’honneur et au prestige du président » et d’« incitation à la violence ». Le 27 juin, il a été déclaré coupable du premier chef d’accusation et condamné à six mois d’emprisonnement.
Le 9 mai, Mohamed Ahmed Dhakool, député de la région de Sool, a été arrêté pour s’être « opposé » à la commémoration du 18 mai comme fête nationale (le Somaliland ayant déclaré son indépendance vis-à-vis de la Somalie le 18 mai 1991). La police a affirmé qu’il avait tenu des « propos hostiles à la nation » et « contesté l’existence du Somaliland », mais la justice a refusé de traité l’affaire en raison de son immunité parlementaire. Après 39 jours de détention, il a été libéré le 17 juin.
Abdimalik Muse Oldon et Mohamed Sidiiq Dhame sont actuellement détenus à la prison centrale de Hargeisa en attendant que la justice examine leur dossier et statue sur leur sort.
« Les autorités utilisent les infractions d’un autre temps et définies en termes vagues figurant dans le Code pénal de 1962 pour réprimer la liberté d’expression. Les dispositions problématiques du Code pénal doivent être abrogées et alignées sur la Constitution afin que les autorités respectent, protègent, défendent et concrétisent pleinement la liberté d’expression au Somaliland, a déclaré Joan Nyanyuki.
« Les autorités du Somaliland doivent libérer immédiatement et sans condition ces hommes qui sont détenus uniquement pour avoir exercé leur liberté d’expression et cesser de harceler gratuitement les détracteurs du gouvernement. »
Complément d’information
Amnistie internationale s’est entretenue avec Moulid Abdi Muse, procureur général de la région de Maroodi Jeex, dont Hargeisa est la capitale, qui a justifié les actions du gouvernement en affirmant qu’elles protégeaient la sécurité nationale.
« La Constitution du Somaliland protège le droit à la liberté d’expression mais limite également ce droit. Nous sommes par conséquent tenus de veiller à ce que les personnes n’abusent pas de ce droit, en particulier lorsqu’il s’agit de sujets menaçant la stabilité du pays et transgressant les droits d’autrui », a-t-il déclaré.