La répression visant les manifestants écologistes dans la région d’Arkhanguelsk s’accentue
Les autorités russes continuent à violer les droits de manifestants pacifiques qui font campagne contre un projet de décharge près de Chiyes, dans l’oblast (région administrative) d’Arkhanguelsk (nord-ouest de la Russie).
Un représentant d’Amnistie internationale s’est rendu sur le site et a recueilli des informations sur les pratiques abusives des autorités, qui incluent des poursuites contre des militants locaux sur la base de charges forgées de toutes pièces, l’arrestation de manifestants pacifiques, l’imposition de lourdes amendes et le recours à d’autres moyens de pression dont le but est de mettre fin au mouvement de protestation local contre la construction de la décharge. Selon des militants locaux, au moment de la rédaction de ce texte, le montant cumulé des amendes imposées aux manifestants s’élevait à environ un million de roubles. Il s’agit d’une somme exorbitante pour les militants d’une des régions les plus pauvres du pays. Parallèlement aux représailles des autorités, les militants ont également subi des agressions et des passages à tabac de la part d’agents de sécurité privés déployés sur le site de construction. La police a ignoré ces agissements, sur lesquels elle n’a mené aucune enquête.
Andreï Borovikov est un militant connu et un membre actif du groupe de partisans du militant politique Alexeï Navalny dans la ville d’Arkhanguelsk. Andreï Borovikov a participé à de nombreuses manifestations pacifiques et s’est exprimé à maintes reprises lors de rassemblements contre la construction du site de décharge. Son militantisme et sa notoriété lui ont valu de faire l’objet de procédures pénales intentées par les autorités au titre du tristement célèbre article 212.1 du Code pénal russe. L’article 212.1 n’avait pas été invoqué depuis longtemps, mais Andreï Borovikov est la deuxième personne cette année à être poursuivi pour cette « infraction ».
Selon cet article introduit en 2014, une personne qui enfreint les dispositions draconiennes - encadrant les manifestations en Russie quatre fois ou plus sur une période de 180 jours commet une « infraction » passible de cinq ans d’emprisonnement. Il convient de souligner que la Cour constitutionnelle russe a estimé, en 2017, que cet article ne devait être invoqué que pour les infractions causant de graves préjudices ou risquant d’entraîner des préjudices imminents, et non pour toutes les formes d’infraction. Depuis lors, les autorités russes avaient évité les poursuites au titre de l’article 212.1, jusqu’à cette année, quand elles ont entamé une procédure pénale contre Viatcheslav Egorov, un militant écologiste de Kolomna (centre de la Russie).
L’affaire pénale contre Andreï Borovikov est fondée sur des « infractions » administratives supposées, à savoir sa participation à la manifestation contre la réinvestiture de Vladimir Poutine à la présidence le 5 mai 2018, à la manifestation contre la réforme du système de retraites le 9 septembre 2018 (pour laquelle les autorités ont reconnu deux « infractions » séparées : d’une part, le défilé en tant que tel et d’autre part les discours prononcés à cette occasion), et à la manifestation contre la construction du site de décharge le 7 avril 2019. Les autorités ont refusé de délivrer des permis pour ces manifestations et les ont par conséquent considérées comme illégales. Andreï Borovikov est donc poursuivi uniquement pour avoir exercé son droit aux libertés de réunion pacifique et d’expression. Les poursuites dont il fait l’objet vont à l’encontre des obligations qui incombent à la Russie en vertu du droit régional relatif aux droits humains, de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que de la Constitution russe et de l’arrêt de la Cour constitutionnelle.
Au moins trois autres personnes ayant participé aux manifestations à Chiyes font l’objet de poursuites, à chaque fois en lien avec un événement survenu tard dans la soirée du 14 mars 2019. Ce jour-là, un groupe de militants a monté un petit camp sur une route non signalée menant au site de construction de la décharge. La nuit, une pelleteuse et 13 camions sont arrivés au niveau du camp, et le conducteur de la pelleteuse a délibérément percuté une caravane qui se trouvait sur la route ; un des manifestants a été blessé par le godet de la pelleteuse. La police affirme que le conducteur de la pelleteuse a ensuite été tiré hors de la cabine et frappé par les manifestants, ce qu’ils démentent. La police a inculpé trois militants locaux de coups et blessures, une infraction passible de cinq ans d’emprisonnement. Amnistie internationale n’a pas pu vérifier de manière indépendante les préjudices causés ni la façon dont ils ont été provoqués. Une des personnes mises en cause, Viatcheslav Grigoriants, se serait trouvé à plusieurs kilomètres de là au moment des faits, car il était tombé malade et était resté dans un autre camp. La police a également refusé d’enquêter sur les blessures que la pelleteuse aurait causées au manifestant.
Comme Amnistie internationale l’a déjà signalé cette année, les autorités ont également intenté des procédures administratives contre une autre dirigeante de la campagne contre la décharge, Elena Kalinina, au titre de la loi contre les « fausses nouvelles » récemment promulguée. Ces poursuites sont liées à une de ses publications sur Facebook, dans laquelle elle annonçait une manifestation à venir. Dans un premier temps, le tribunal a refusé d’étudier le cas d’Elena Kalinina en raison d’erreurs administratives. La police a alors rectifié les documents et a de nouveau soumis l’affaire au tribunal le 3 juin. Il s’agit du premier cas de poursuites au titre de cette nouvelle loi. Si elle est déclarée coupable, Elena Kalinina risque jusqu’à 300 000 roubles d’amende. Les procédures engagées contre cette militante sont une violation flagrante de son droit à la liberté d'expression et illustrent les graves lacunes qui caractérisent la loi contre les « fausses nouvelles » ainsi que sa nature profondément discriminatoire.
Les autorités russes doivent cesser de persécuter les manifestants pacifiques de l’oblast d’Arkhanguelsk, y compris au moyen de procédures pénales ou administratives, et respecter le droit de chacun aux libertés d’expression et de réunion pacifique en Russie. Elles doivent également mener des enquêtes en bonne et due forme sur tous les cas signalés de violence contre des manifestants, et traduire en justice les responsables présumés de ces agissements dans le cadre de procès équitables.