Un prisonnier d'opinion condamné à la réclusion à perpétuité
Entre août et novembre 2018, Oman a condamné six personnes à la réclusion à perpétuité pour des motifs vagues de sécurité nationale. Amnistie internationale a appelé les autorités omanaises à juger les accusés dans le cadre d'une procédure conforme aux normes internationales d'équité ou à les remettre en liberté. Dernièrement, l'organisation a obtenu de plus amples informations sur le procès et son contexte, qui établissent que Mohammed Abdullah al Shahi, l'un des six accusés, a été emprisonné uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d'expression et d'association. Il s’agit donc d’un prisonnier d’opinion ; aussi, Amnistie internationale demande maintenant sa libération immédiate et sans condition.
Du début à la fin, l’affaire a été marquée par un climat de crainte de s’exprimer, tant parmi les familles des détenus que les avocats de la défense. Lorsque Amnistie internationale a demandé des précisions sur les chefs d’accusation à la Commission omanaise des droits humains, celle-ci s’est contentée d’indiquer que « les accusations [étaient] liées à la sécurité nationale ». Amnistie internationale n'a pu vérifier de nombreux détails sur l'affaire que plusieurs mois après le prononcé du jugement.
Les accusations portées contre Mohammed Abdullah al Shahi sont notamment d’avoir fourni des idées pour des articles, rédigé des articles et transmis des articles (principalement pour un site Web aujourd'hui disparu, khalejeat.net) qui condamnaient les politiques menées par le gouvernement omanais dans le gouvernorat de Moussandam. Parmi les autres accusations, on peut citer le versement de 100 rials omanais (environ 250 dollars des États-Unis aujourd’hui) à un fonds pour la promotion de l’autonomie régionale, et une demande infructueuse de soutien financier pour sa cause auprès de l’ambassade d’Arabie saoudite à Doubaï, aux Émirats arabes unis. D'autres accusés étaient aussi poursuivis pour avoir contribué aux contenus de khalejeat.net, créé un groupe appelé Comité national de défense de Ruus al Jibal (nom local du gouvernorat de Moussandam) et, de façon générale, mené des activités militantes et des campagnes pacifiques en faveur des droits des habitants de ce gouvernorat.
Selon les informations dont dispose Amnistie internationale, l’ensemble de ce groupe ne s’est livré qu’à des activités militantes non violentes ; toutefois, Amnistie internationale n'a pu examiner l’intégralité des charges retenues que dans le cas de Mohammed Abdullah al Shahi. Les six prisonniers sont tous membres de la tribu shuhuh ; quatre sont de nationalité omanaise et deux de nationalité émirienne. (En outre, plusieurs autres Shuhuh de nationalité émirienne ont été nommés en tant que suspects ou accusés lors des procédures judiciaires, mais ne sont pas sous la garde des autorités omanaises.) L'accusation les a présentés comme les membres d'un complot sécessionniste en invoquant le fait qu’ils avaient échangé entre eux, sur WhatsApp, des articles portant sur le gouvernorat de Moussandam.
La condamnation de Mohammed al Shahi et des autres accusés a été fondée sur l’article 125 du Code Pénal, qui prévoit la réclusion à perpétuité ou la peine de mort pour « quiconque commet de manière intentionnelle un acte entraînant une atteinte à l’indépendance ou à l’unité du pays ou à l’inviolabilité de son territoire », et sur l’article 19 de la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité, qui réprime les contenus Internet « portant atteinte aux valeurs religieuses ou à l’ordre public. »
Ce qui a amené Mohammed al Shahi à s’exprimer et à écrire sur la situation de Moussandam, ce sont les violations des droits humains, notamment les démolitions d’habitations, et les difficultés socioéconomiques dans le gouvernorat. Plusieurs vagues d’arrestations arbitraires ont visé des habitants de Moussandam qui défendaient l’histoire et la culture locales de la région depuis 2015, et selon des informations fiables, des membres de la tribu shuhuh à Moussandam sont la cible d’arrestations arbitraires depuis au moins l’année 1991. En outre, les autorités ont ordonné à maintes reprises des démolitions d’habitations sous prétexte que celles-ci n’étaient pas conformes aux codes de construction. Les autorités procèdent souvent à des expropriations pour cause d’utilité publique après avoir démoli les habitations construites sur les terres concernées. Depuis septembre 2014, l’« équipe de démantèlement immédiat » du ministère des Municipalités régionales et des Ressources en eau a annoncé à au moins 15 reprises la démolition imminente ou achevée d’habitations et d’autres structures locales dans les municipalités de Daba, Khasab et Bukha, à Moussandam.
En 2016, choqué par le traitement réservé à Moussandam par le gouvernement central, Mohammed Abdullah al Shahi a commencé à participer activement à des réunions et à la rédaction de textes en ligne consacrés au gouvernorat et aux griefs locaux contre le gouvernement central, alors qu'il vivait et travaillait à Doubaï, aux Émirats arabes unis. Le jugement indique qu’en 2013 ou en 2014, Mohammed Abdullah al Shahi a consulté un avocat français pour s’informer sur les voies de recours ouvertes à Moussandam en vertu du droit international, et que lors d’un voyage à Londres en 2016, il a tenté de contacter Amnistie internationale. Le 5 mai 2018, des responsables de la sécurité émiriens l'ont arrêté à son domicile à Doubaï et l'ont remis aux autorités omanaises. Il est privé de liberté depuis lors. Les cinq autres accusés ont été arrêtés à Oman (dans un cas, à la frontière) au cours du printemps et de l'été 2018.
Les procédures judiciaires contre Mohammed Abdullah Al Shahi ont été sommaires et entachées de nombreuses violations du droit à un procès équitable. Lors de la première audience, le tribunal l'a interrogé en l'absence de son avocat, et ne l’a informé qu'il avait droit à un avocat qu'après l'avoir contraint à répondre à de nombreuses questions sur ses activités militantes en faveur de Moussandam. Une seule autre audience - la seule en présence des avocats de la défense - a eu lieu avant que le tribunal ne prenne sa décision. Les éléments de preuve cités contre Mohammed Abdullah al Shahi au tribunal se résumaient à ses « aveux » devant l'Agence de la sécurité intérieure et le ministère public. D'autres prisonniers ont déclaré que tous les accusés dans cette affaire avaient été soumis à des mauvais traitements physiques destinés à leur extorquer de tels « aveux ». Il auraient notamment été roués de coups, maintenus dans des positions douloureuses (position debout pendant trois jours d’affilée, position assise dans la même posture pendant six jours consécutifs) et soumis à des agressions sensorielles (exposition prolongée à des bruits extrêmement forts et à des lumières aveuglantes ou à l’obscurité complète). Plusieurs des accusés auraient été à peine capables de marcher par la suite. La défense a informé le tribunal que les « aveux » de Mohammed Abdullah al Shahi avaient été obtenus par la « contrainte psychologique », mais le tribunal n’a pas pris cette donnée en compte, acceptant la version de l’Agence de sécurité intérieure sans enquêter sur les allégations de torture.
Amnistie internationale demande à Oman de libérer Mohammed Abdullah al Shahi immédiatement et sans condition, ainsi que tous les autres accusés condamnés uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression. Les alliés d’Oman au sein de la communauté internationale devraient surveiller la situation à Oman, dénoncer les détentions arbitraires dans ce pays, et demander la libération de Mohammed Abdullah al Shahi et des autres prisonniers d’opinion.