Des satiristes ayant tourné l’armée en dérision emprisonnés à la suite d’une « odieuse » déclaration de culpabilité
Réagissant à la peine d’une année d’emprisonnement prononcée contre cinq membres de la troupe de poésie satirique (thangyat) Peacock Generation, Joanne Mariner, directrice de la rechercher sur l’Asie du Sud-Est à Amnistie internationale, a déclaré :
« Ce verdict est odieux. Le fait que des personnes ayant interprété une œuvre satirique ont été sanctionnées en dit beaucoup sur l’état lamentable de la liberté d'expression au Myanmar.
« Ces militants sont des prisonniers d'opinion. Ils ont déjà passé six mois derrière les barreaux, uniquement parce que les autorités du Myanmar ne supportent pas la moindre critique à leur égard. Le thangyat est une vieille tradition birmane, et il est absurde de penser qu’elle puisse représenter un quelconque danger pour l’armée du Myanmar.
« Les autorités doivent immédiatement annuler ces condamnations, abandonner toutes les charges retenues contre Peacock Generation, et libérer immédiatement les membres de cette troupe. Alors qu’approchent les élections générales, le gouvernement du NLD dirigé par Aung San Suu Kyi doit utiliser le pouvoir législatif qu’il détient encore pour abroger ou modifier de toute urgence toutes les lois qui restreignent indument la liberté d'expression. »
Complément d’information
Cinq membres de la troupe Peacock Generation – Kay Khine Tun, Zayar Lwin, Paing Pyo Min, Paing Ye Thu et Zaw Lin Htut – ont été arrêtés en avril 2019 à la suite d’une représentation de thangyat, art folklorique traditionnel mêlant poésie, danse et musique. Ils portaient des uniformes militaires et ont critiqué les autorités.
Le 30 octobre 2019, ils ont été déclarés coupables au titre de l’article 505 (a) du Code pénal du Myanmar par le tribunal du district de Mayangon à Yangon, la plus grande ville du pays, et condamnés à une année d’emprisonnement.
Zay Yar Lwin, Paing Phyo Min et Paing Ye Thu sont également accusés d’avoir enfreint l’article 66 (d) de la Loi relative aux télécommunications pour « diffamation en ligne », parce qu’ils ont diffusé en direct des représentations sur Facebook. Un autre membre de cette troupe, Su Yadanar Myint, fait également l’objet des mêmes accusations.
Ces six personnes ainsi qu’un autre membre de la troupe, Nyein Chan Soe, ont aussi été accusés d’avoir enfreint l’article 505 (a) du Code pénal et déférés devant le tribunal du district de Botahtaung à Yangon.
Plusieurs membres de Peacock Generation sont poursuivis pour les mêmes motifs dans d’autres districts en dehors de Yangon où ils ont donné des représentations de thangyat.
L’article 505 (a) du Code pénal interdit la diffusion de déclarations et informations visant à inciter des officiers ou des soldats des forces armées du Myanmar à la mutinerie ou à manquer à leur devoir de toute autre manière, et prévoit une peine maximale allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Il s’agit d’une infraction ne pouvant pas donner automatiquement lieu à une mise en liberté sous caution, et c’est au juge qu’il revient de décider s’il accorde ou non une libération sous caution. Dans le cas présent, le juge a rejeté la demande de mise en liberté sous caution. L’article 66 (d) de la Loi de 2013 relative aux télécommunications prévoit une peine maximale de deux ans d’emprisonnement.
Le thangyat est un art traditionnel birman centenaire mêlant poésie, danse et musique, et des représentations ont traditionnellement lieu pendant la fête de l’eau pour le Nouvel An birman, en avril, et à l’occasion d’autres événements festifs. Les représentations publiques de thangyat ont été interdites en 1989 par l’armée, mais elles ont de nouveau été autorisées en 2013. En mars 2019, à l’approche de la fête de l’eau, les autorités à Yangon ont demandé aux troupes de thangyat de faire approuver au préalable les paroles de leurs pièces par une commission gouvernementale.
Les autorités du Myanmar continuent d’arrêter et d’emprisonner des militants et des défenseurs des droits humains qui n’ont fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d'expression, garanti par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Amnistie internationale est préoccupée par le nombre de lois en vigueur au Myanmar qui restreignent le droit à la liberté d'expression, notamment l’article 505 du Code pénal et l’article 66 (d) de la Loi de 2013 relative aux télécommunications.
Cette année, l’armée a arrêté le cinéaste Min Htin Ko Ko Gyi au titre de l’article 505 (a) du Code pénal pour avoir publié sur Facebook une série de billets critiquant le rôle de l’armée dans la vie politique au Myanmar. Malgré ses problèmes de santé – il a subi une importante opération cette année pour un cancer du foie –, sa demande de mise en liberté sous caution a été refusée et il a été condamné à une année d’emprisonnement.