• 26 avr 2019
  • Maroc et Sahara occidental
  • Communiqué de presse

Les peines d'emprisonnement infligés aux prisonniers du mouvement Hirak El-Rif confirmées en appel à Casablanca à l'issue d'un procès entaché d'irrégularités

La confirmation de la cour d'appel de Casablanca, le 5 avril, des peines allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement infligées à 43 hommes en raison de leur participation au mouvement de protestation du Hirak qui a agité la région du Rif, dans le nord du Maroc, durant l’année 2017, constitue une inquiétante erreur judiciaire, a déclaré Amnistie internationale le 26 avril. La Cour de cassation, qui est la plus haute juridiction du pays, doit à présent examiner les graves irrégularités qui ont été signalées, et se pencher de façon indépendante et impartiale sur les allégations de torture et d’autres violations du droit à un procès équitable.

Les 43 hommes, parmi lesquels figurent plusieurs manifestants et au moins cinq journalistes et journalistes citoyens, ont été déclarés coupables, les 26 et 28 juin 2018, d’infractions liées à la sécurité de l’État et au titre de dispositions réprimant pénalement les manifestations non autorisées et les critiques pacifiques visant des représentants de l’État. Ces hommes ont été condamnés à des peines allant d’un an à 20 ans d’emprisonnement. À la suite de la confirmation de ces peines, certains d’entre eux ont mené une grève de la faim pendant une vingtaine de jours pour protester contre la décision de la Cour d’appel.

En décembre 2018, Amnistie internationale s’est dite préoccupée[1] par le fait que plusieurs de ces condamnations étaient basées sur des « aveux » extorqués au moyen de la torture, et que le procès avait été entaché par d’autres violations des droits humains, notamment des arrestations arbitraires, l’obstruction du droit d’informer les proches d’une arrestation, des entraves à l’accès à un avocat, et une détention à l'isolement prolongée dans au moins sept cas. Les avocats de la défense n’ont pas été autorisés à examiner les éléments de preuve disponibles pour préparer leur défense, et le tribunal a refusé d’accepter les déclarations de plus de 50 témoins de la défense sans justifier de façon adéquate sa décision. De plus, l’accès des médias et de la société civile à la salle d’audience a été entravé, portant atteinte au droit à une audience publique.

Amnistie internationale est particulièrement consternée de constater que les juges n’ont pas exclu des éléments de preuve, pour le procès, les déclarations qui selon les accusés leur ont été extorquées au moyen de la torture et d’autres mauvais traitements, en violation des obligations du Maroc au titre du droit international relatif aux droits humains. D’après les avocats interrogés par Amnistie internationale, au moins trois personnes ont dénoncé des actes de torture et d’autres mauvais traitements, déclarant notamment avoir été violemment battues, étouffées, contraintes à enlever leurs vêtements, menacées de viol et insultées au moment de leur arrestation et pendant leur interrogatoire par des policiers qui voulaient les forcer à « avouer » des crimes qu’elles niaient avoir commis, ou les sanctionner en raison de différends d’ordre personnel n’ayant aucun lien avec les manifestations. Selon d’autres sources, au moins neuf autres accusés ont dit avoir été soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements pendant leur détention aux mains de la police ou en prison.

L’avocat Mohamed Aghnaj, membre du collectif de défense des détenus du Hirak, a expliqué à Amnistie internationale que le fait que la décision confirmant les peines a été rendue quatre mois après le début du procès en appel montre clairement que la cour n’a pas pris suffisamment de temps pour examiner de façon approfondie les preuves et la procédure pour chacun des accusés.

Amnistie internationale est également préoccupée par certaines des charges retenues contre les accusés, qui incluent l’« organisation de manifestations non autorisées », la « tenue de rassemblements publics sans autorisation », l’« incitation publique à porter atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc », ainsi que l’« outrage envers un corps constitué et l’outrage à agents de la force publique ». Ces accusations ne sont pas compatibles avec les obligations du Maroc en matière de droits humains, car elles criminalisent et restreignent indûment l’exercice pacifique des droits de réunion pacifique, d’association et d’expression. L’organisation estime également que d’autres accusations retenues contre les accusés du Hirak El-Rif sont dans la plupart des cas excessives et non justifiées par leurs agissements, s’agissant d’accusations liées à leur participation présumée aux manifestations et, dans certains cas, aux affrontements qui ont eu lieu par la suite avec les forces de sécurité.

En particulier, la Cour d’appel de Casablanca a confirmé la peine de 20 ans d’emprisonnement infligée à Nasser Zefzafi, l’une des figures emblématiques du mouvement Hirak El-Rif. Il a été déclaré coupable de neuf chefs d’accusation, notamment d’« atteinte à la sûreté intérieure de l'État », d’« incitation à un acte de violence contre des agents de la force publique », de « participation à une rébellion armée », et de « tenue de rassemblements publics sans déclaration préalable », en raison du rôle de premier plan qu’il a joué dans l’organisation des manifestations. Ces accusations étaient liées au fait que Nasser Zefzafi a publiquement critiqué un imam qui dirigeait la prière du midi dans une mosquée d'Al Hoceïma le 26 mai 2017, car ce dernier aurait fait des déclarations hostiles à l’égard des manifestations du Hirak El-Rif, et à la façon dont il se serait comporté quand les forces de sécurité ont voulu l’arrêter ce jour-là. Selon le ministère public, lors de son arrestation, Nasser Zefzafi a pointé du doigt les forces de sécurité, les qualifiant de « forces répressives » et a prié à voix haute, « [prenant] le Tout-Puissant à témoin de [son] martyre ». Ces paroles et ces actes ne constituent pas une incitation à la violence et ne doivent pas être pénalement réprimés. Par ailleurs, ses allégations selon lesquelles des policiers l'ont frappé et ont menacé de violer sa mère n’ont pas donné lieu à une enquête, et les preuves qui auraient été obtenues de cette façon n’ont pas été exclues du dossier constitué à son encontre.

La Cour d’appel de Casablanca a aussi confirmé la peine de trois ans d’emprisonnement prononcée contre le journaliste Hamid El Mahdaoui, alors que ce dernier n’avait aucun lien direct avec le mouvement de protestation. Hamid El Mahdaoui a été déclaré coupable de « non-dénonciation d’atteinte à la sûreté de l’État », en raison d’un appel téléphonique qu’il a reçu d’un homme qui disait avoir l’intention de lancer « une lutte armée » au Maroc, alors même que le journaliste a expliqué qu’en raison de la nature de son travail, il recevait de nombreux appels d’étrangers. Il a été maintenu en détention à l'isolement pendant 470 jours, ce traitement constituant une torture.

Enfin, Amnistie internationale continue d’être préoccupée par le récent transfert des accusés dans des prisons à Fès, Tanger, Nador, Tétouan et Al Hoceïma située dans des secteurs reculés et difficilement accessibles, car il est ainsi encore plus difficile pour les familles de leur rendre visite régulièrement.

Complément d’information

Les manifestations du mouvement Hirak El-Rif ont débuté à Al Hoceïma, ville du nord du pays, et dans ses alentours, en octobre 2016, après que Mouhcine Fikri, un poissonnier, est mort broyé par un camion de ramassage des ordures alors qu’il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités locales. Les manifestants demandaient qu’il soit mis fin à la marginalisation de leurs communautés de langue tamazight, et avaient des revendications liées à la justice sociale, réclamant notamment un meilleur système de santé, de meilleures infrastructures, la fin de la corruption et des possibilités d’emploi dans la région. Certaines des manifestations ont été marquées par des actes de violence et des affrontements avec les forces de sécurité – des manifestants ayant jeté des pierres et des cocktails Molotov –, et selon le parquet, des agents des forces de l’ordre ont été blessés et les dégâts matériels ont été estimés à plusieurs millions de dollars des États-Unis.

Entre mai et juillet 2017, les forces de sécurité marocaines ont arrêté plusieurs centaines de manifestants, dont des enfants et plusieurs journalistes. Un grand nombre d’entre eux ont depuis été condamnés par le tribunal d’Al Hoceïma à l’issue de procès ne respectant pas les normes internationales d’équité. Parmi ces personnes figurent les manifestants pacifiques El Mortada Iamrachen[2] et Nawal Benaissa[3], qui ont tous les deux été déclarés coupables en raison de messages publiés sur Facebook appelant à manifester. Nawal Benaissa a été condamnée en février 2018 à une peine de 10 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 500 dirhams ; cette peine a été confirmée en appel en janvier 2019.

La Cour d'appel de Casablanca a jugé 54 personnes en lien avec le mouvement de contestation du Rif. En août 2018, 11 d’entre elles ont été graciées par le roi. Toutes les personnes jugées à Casablanca ont été arrêtées à Al Hoceïma et transférées dans la prison d’Okacha, à Casablanca, en vue de leur interrogatoire par la Brigade nationale de la police judiciaire de Casablanca. Certaines d’entre elles sont considérées comme étant les principaux dirigeants du mouvement Hirak El-Rif, et d’autres personnes ont été arrêtées en même temps qu’elles.

 

[1] Amnesty International, Maroc. Le procès d'appel du Hirak El-Rif est une occasion pour annuler des peines prononcées à l'issue d'un procès inéquitable (Index : MDE 29/1412/2015).

[2] Amnesty International, Maroc. La condamnation d’El Mortada Iamrachen doit être annulée (Article, 30 avril 2018), www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/04/morocco-quash-conviction-of-el-mo....

[3] Amnesty International, Maroc. Il faut mettre fin aux actes d’intimidation visant Nawal Benaissa, figure de proue du mouvement contestataire Hirak (Nouvelles, 17 octobre 2018), www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/10/morocco-end-intimidation-of-hirak....