Un prisonnier d’opinion libéré, mais à quel prix?
Serikjan Bilach, qui a grandement contribué à dénoncer les violations des droits humains commises à l’encontre des minorités ethniques musulmanes dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine, a été libéré à Almaty, tard dans la soirée du vendredi 16 août, dans le cadre d’une négociation de peine avec le ministère public. Les conditions de sa libération soulèvent de graves questions sur l’état du système judiciaire au Kazakhstan et sur l’incapacité des autorités à respecter et protéger les défenseurs des droits humains.
Serikjan Bilach se trouvait en détention depuis le 10 mars 2019, lorsqu’il a été transféré depuis chez lui à Almaty jusqu’à la capitale, Noursoultan, et placé en résidence surveillée au domicile d’une connaissance. Il a été inculpé d'« incitation à la discorde pour des raisons sociales, nationales, raciales, claniques, religieuses ou de naissance », infraction passible d'une peine pouvant aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement. Les charges retenues contre lui seraient fondées sur des commentaires qu’il a formulés lors d’une réunion avec des membres de la communauté ouïghoure au Kazakhstan, début février 2019, au cours de laquelle il a évoqué la persécution des musulmans en Chine et a déclaré : « Aujourd’hui, le djihad ne consiste pas à prendre une arme et à se battre en Syrie. Le djihad, c’est l’information et la propagande. » Amnistie internationale estimait que Serikjan Bilach était un prisonnier d’opinion poursuivi uniquement pour avoir défendu les droits humains des Kazakhs en Chine et demandait sa libération immédiate et inconditionnelle.
Lors de l’audience du 29 juillet à Noursoultan, il a été décidé de transférer le dossier dans la ville d’Almaty. Serikjan Bilach a été transféré chez lui à Almaty le 15 août. Toutefois, il a été conduit au tribunal pour une audience le 16 août à 19h30, sans que son avocate n’en soit informée ni n’ait la possibilité de le rencontrer. Serikjan Bilach a par la suite annoncé qu’il avait accepté de cesser de faire campagne en faveur des droits humains en Chine en échange de sa libération. En outre, il devra payer une amende d’un montant équivalent à 270 euros et sera soumis à des restrictions de déplacement pendant trois mois.
Selon son avocate, Serikjan Bilach a été informé que s’il ne signait pas cet accord, il passerait sept ans derrière les barreaux. En violation du droit international, l’audience s’est tenue tard dans la soirée et se serait tenue à huis clos, en l’absence de son avocate, qui n’a pas pu s’entretenir avec son client dans la salle d’audience. Le fait qu’un défenseur des droits humains qui a dénoncé les violations commises à l’encontre des Kazakhs dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang soit contraint d’admettre qu’il s’est rendu coupable d’« incitation à la haine nationale » en dit long sur la situation des droits humains au Kazakhstan. Serikjan Bilach n’a commis aucun crime et aurait dû être libéré sans condition.
Complément d’information
Serikjan Bilach est un Kazakh né en Chine, qui a déménagé au Kazakhstan au début des années 2000 ; il a la nationalité kazakhe. Il a fondé l’organisation non gouvernementale (ONG) Atajurt Eriktileri (Atajurt) en 2017 pour aider les familles de Kazakhs détenus dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Son organisation a fait l’objet de pressions de la part des autorités kazakhes. En février, il été condamné à une amende de 630 euros pour avoir agi au nom d’une organisation non enregistrée, alors qu’il avait tenté de l’enregistrer sans succès. Plus récemment, il a signalé être sous surveillance et, peu avant son arrestation en mars, il s’est installé dans un hôtel pour protéger sa famille.
Serikjan Bilach travaille en étroite collaboration avec les chercheurs d’Amnistie internationale pour dénoncer les violations des droits humains dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Il a contribué au rapport publié par Amnistie internationale en septembre 2018, intitulé China. Where are they ? (https://www.amnesty.org/en/documents/asa17/9113/2018/en/). Ce rapport fait état d’une surveillance intrusive, de détention arbitraire et d’endoctrinement forcé visant les Ouïghours, les Kazakhs et d’autres minorités ethniques principalement musulmanes de la région autonome ouïghoure du Xinjiang.
L’État kazakh rechigne à soulever la question des violations des droits humains contre les Kazakhs vivant dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Pourtant, c’est un problème de plus en plus saillant. En avril 2018, Sayragoul Saoutybaï a fui la Chine et demandé l’asile au Kazakhstan. Elle avait travaillé comme instructrice dans des camps de rééducation chinois et témoigné de la situation dans ces camps. Elle a été arrêtée pour avoir franchi illégalement la frontière et a passé plusieurs mois dans la crainte d’être expulsée vers la Chine, avant d’être libérée sous caution en août. En octobre, sa demande d’asile a été rejetée et elle a depuis quitté le pays. En mars 2019, la Chine a remercié officiellement le Kazakhstan pour son soutien au « programme de déradicalisation » dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang.