Des milliers de personnes ont été arrêtées dans le pays après une élection présidentielle contestée
Le 9 juin, jour de l’élection présidentielle, les autorités du Kazakhstan ont une nouvelle fois démontré leur mépris pour les droits humains en arrêtant arbitrairement plusieurs centaines de manifestants pacifiques.
Des centaines de manifestants s’étaient rassemblés à Nour-Soultan, à Almaty et dans d’autres villes pour appeler à boycotter les élections et pour exprimer leur frustration face à ce qu’ils percevaient comme une absence de choix réel dans la campagne présidentielle. Les observateurs des droits humains n’ont constaté aucune action violente de la part des manifestants rassemblés sur des places publiques pour signifier leur intention de boycotter les élections. Presque immédiatement après le début du rassemblement, à midi, les manifestants ont été chargés par des policiers et embarqués de force dans des fourgons de police. Des images vidéo des faits montrent que des hommes et des femmes, y compris des personnes âgées, résistant passivement à l’arrestation ont été portés dans les fourgons par des policiers. Dans certains cas, des parents ont été arrêtés sous les yeux de leurs jeunes enfants. Selon des observateurs, non moins de 1 000 personnes ont été arrêtées à Nour-Soultan, et 500 à Almaty. Cependant, les données chiffrées fiables concernant le nombre total de personnes interpelées ne sont pas encore disponibles. Les arrestations ont continué le 10 juin et, selon les estimations d’ONG, 500 personnes supplémentaires ont été interpelées à Almaty dans la nuit du 10 au 11 juin.
Selon l’ONG Bureau international du Kazakhstan pour les droits humains et la primauté de la loi, des personnes ont été maintenues en détention pendant 10 heures ou plus dans des postes de police sans nourriture, ni eau, ni possibilité d’informer leur famille de l’endroit où elles se trouvaient. Dans la plupart des cas, elles n’ont pas pu contacter leurs avocats. Tout au long de la nuit, des juges à Nour-Soultan et Almaty ont statué sur les accusations de participation à un rassemblement non autorisé dont faisaient l’objet les personnes arrêtées et ont prononcé des condamnations à des amendes ou à des peines privatives de liberté allant jusqu’à dix jours. Les personnes interpelées n’ont pas pu contacter un avocat de leur choix et Amnistie internationale a en outre constaté que des avocats s’étaient vu refuser l’entrée dans des postes de police à Almaty.
A. B., un chauffeur de taxi d’Almaty, a indiqué à Amnistie internationale qu’il avait rejoint un groupe de manifestants pacifiques le 9 juin à midi, près de son domicile à Almaty. Il était poussé par son sentiment de frustration face au degré élevé de corruption dans le pays, au faible niveau de vie et au taux de chômage. Les manifestants étaient pacifiques, mais les policiers ont soudainement commencé à arrêter des journalistes et des manifestants sans avertissement. Lorsqu’il a vu quatre policiers emmener de force une jeune femme, il est allé l’aider et a alors lui-même été arrêté. Il a été conduit au poste de police de Medeousky, où 65 personnes étaient détenues dans le hall. On ne leur a rien donné à boire ni à manger, et il n’a été libéré que le lundi 10 juin à 3 heures du matin. Un juge siégeant au poste de police l’a déclaré coupable de participation à un rassemblement non autorisé, ce qui constitue une infraction administrative, et lui a donné un avertissement.
Dilmach Aljanov, militant de la société civile et spécialiste des sciences politiques, a été arrêté dans le centre d’Almaty le 9 juin à environ 11 h 40, alors qu’il accompagnait une journaliste accréditée qui voulait filmer les manifestations. Il a été conduit au poste de police avec la journaliste, qui a été libérée après vérification de son accréditation. Il a été maintenu en détention pendant 12 heures et, malgré ses demandes, il n’a pas pu contacter un avocat. Ses amis qui l’attendaient devant le poste de police ont appelé un avocat pour lui. Cependant, il a été libéré avant toute audience judiciaire. Il a indiqué à Amnistie internationale qu’il avait été interrogé sur ses opinions politiques, ses contacts et son utilisation des réseaux sociaux et qu’il craignait que ces informations puissent être utilisées plus tard pour accuser d’autres personnes.
Les journalistes qui couvraient les événements ont été empêchés de faire leur travail, et nombre d’entre eux ont été placés en détention avec les manifestants puis libérés peu de temps après. Chris Rickleton, correspondant de l’Agence France-Presse (AFP) et d’Eurasianet, et un caméraman de l’AFP ont été arrêtés le dimanche 9 juin par des policiers d’Almaty alors qu’ils couvraient les manifestations. Chris Rickleton a publié sur Twitter une photo de lui-même à l’arrière d’un fourgon de police, sur laquelle il a un œil au beurre noir provoqué par sa chute sur le genou d’un policier durant ce qu’il décrit comme « une arrestation musclée ». Les enregistrements qu’ils avaient réalisés ont été détruits au poste de police.
Les agissements des policiers les 9 et 10 juin démontrent un mépris cynique pour les obligations internationales en matière de droits humains qui incombent au Kazakhstan en vertu de l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 32 de la Constitution du Kazakhstan, qui garantissent le droit à la liberté de réunion pacifique. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si elles sont prévues par la loi, si elles ont pour but de protéger certains intérêts publics spécifiques et s’il est possible de démontrer qu’elles sont nécessaires et proportionnées à la réalisation de cet objectif. En outre, les gouvernements ont l’obligation d’autoriser les rassemblements spontanés formés en réponse à des événements spécifiques, comme des élections.
L’élection présidentielle a été observée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et le rapport préliminaire de l’organisation, publié le 9 juin, fait état « d’importantes irrégularités [...] dans tout le pays, y compris des bourrages d’urnes, des votes multiples et des séries de signatures identiques sur les listes électorales. [...] Dans plus de la moitié des cas observés, l’évaluation du décompte était négative, faisant état, entre autres, de cas de falsification délibérée, ce qui soulève de graves questions quant à l’honnêteté des décomptes des bulletins et des résultats déclarés. »
Toutes les personnes détenues pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression ou à la liberté de réunion pacifique sont des prisonniers et prisonnières d’opinion et doivent être libérées immédiatement et sans condition.
Complément d’information
Au Kazakhstan, des facteurs économiques et politiques ont alimenté un sentiment de mécontentement croissant parmi la population. La mort de cinq enfants en février lors d’un incendie à Astana (qui a depuis été rebaptisée Nour-Soultan) a renforcé les demandes en faveur de meilleures prestations sociales pour les familles nombreuses. Des centaines de manifestants pacifiques ont été arrêtés dans tout le pays le 27 février pendant la 18e conférence annuelle de Nour-Otan, le parti au pouvoir. En mars, le président Noursoultan Nazarbaïev a annoncé qu’il se retirait et, bien que conservant sa grande influence en tant que président du Conseil national de sécurité, il a confié la présidence du pays à Kassymjomart Tokaïev et a déclaré que des élections se tiendraient le 9 juin. Le 23 mars, Kassymjomart Tokaïev a annoncé qu’Astana, la capitale, serait rebaptisée Nour-Soultan, en l’honneur de son prédécesseur. Des centaines de personnes sont une nouvelle fois descendues dans la rue le 1er mai pour protester contre l’élection anticipée et le changement de nom de la capitale.
Le droit à la liberté de réunion pacifique est extrêmement limité au Kazakhstan. Toute manifestation de rue (même si elle ne compte qu’un seul participant) nécessite l’autorisation des autorités locales – autorisation qui est souvent refusée ou, lorsqu’elle est accordée, est assortie d’une obligation d’organiser l’événement à la périphérie des villes. Les personnes déclarées coupables d’avoir enfreint l’article 400 du Code pénal (« violation de la procédure d’organisation et de conduite des rassemblements, piquets de grève, cortèges et manifestations ») sont passibles d’une lourde amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 50 jours.