• 28 Juil 2019
  • Israël et territoires palestiniens occupés
  • Communiqué de presse

L’irresponsabilité de TripAdvisor

Laith Abu Zeyad, chargé de campagne d’Amnistie internationale sur Israël et la Palestine

Le 20 juin, Journée mondiale des réfugiés, le président-directeur général de TripAdvisor, Stephen Kaufer, a publié un article dans lequel il exhortait les entreprises à contribuer à la gestion de la crise mondiale des réfugié·e·s et s’engageait à donner plusieurs millions de dollars à des organisations humanitaires « afin d’aider les personnes réfugiées à reconstruire leur vie et à reprendre le contrôle de leur avenir ».

Il s’agirait évidemment d’une initiative louable si elle n’était en contradiction avec d’autres pratiques de TripAdvisor. En effet, l’entreprise a décidé d’aider les personnes réfugiées à certains endroits du monde mais ailleurs, à savoir dans les territoires palestiniens occupés, elle participe à la souffrance de la population locale, dont est issue l’une des plus grandes communautés de réfugié·e·s au monde.

Depuis 70 ans, la politique impitoyable d’Israël qui se caractérise par la confiscation de terres, l’implantation de colonies illégales et la dépossession, associée à une discrimination endémique, inflige d’immenses souffrances aux Palestinien·ne·s, les privant de leurs droits fondamentaux. TripAdvisor joue également un rôle dans ces violations.

En janvier 2019, Amnistie internationale a publié un rapport intitulé Destination : occupation, qui expliquait en quoi les géants mondiaux du tourisme sur Internet – Airbnb, Booking.com, Expedia et TripAdvisor – contribuaient à l’entretien, au développement et à l’expansion de colonies israéliennes illégales et en tiraient profit. Ces activités s’apparentent à des crimes de guerre au regard du droit international.

TripAdvisor est le deuxième site le plus consulté (après Google) par les touristes étrangers qui se rendent en Israël et plus d’un quart de ces personnes (soit plus de 800 000) déclarent y avoir cherché des attractions, des excursions, des cafés, des hôtels ou des appartements de location avant leur arrivée.

Dans le cadre de notre travail de campagne, nous avons demandé à Stephen Kaufer de cesser de répertorier ou de promouvoir sur son site des propriétés, des activités et des attractions qui se trouvent dans des colonies israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés. L’entreprise a répondu que « la publication d’une annonce pour un lieu d’hébergement ou une entreprise sur TripAdvisor n’est pas synonyme d’approbation ». Pourtant, elle tire des bénéfices de ces annonces, y compris lorsque l’endroit en question se situe dans des colonies israéliennes illégales.

TripAdvisor et d’autres entreprises tentent de se défendre en avançant que la question des colonies israéliennes illégales est trop politique pour qu’elles prennent position. Nous reconnaissons que les entreprises n’ont pas vocation à résoudre les problèmes politiques mais elles ont la responsabilité de ne pas nuire ni contribuer à des atteintes aux droits humains.

L’impact du tourisme et d’autres activités commerciales sur les droits humains en Palestine est peut-être difficile à appréhender pour le lecteur mais il est bien réel pour les personnes qui vivent sous l’occupation israélienne. Nous avons découvert, par exemple, que TripAdvisor mettait en avant la cité de David, dont la visite peut être réservée par son intermédiaire. Ce site touristique très fréquenté se situe à Silwan, un quartier palestinien du territoire occupé de Jérusalem-Est. Il est géré par la fondation Elad, une organisation soutenue par l’État israélien qui aide des colons à s’installer dans la zone.

Silwan compte environ 33 000 Palestinien·ne·s. Plusieurs centaines de colons y vivent également, dans des résidences sous haute protection. Israël a commencé à implanter des citoyen·ne·s dans ce quartier dans les années 1980, ce qui a entraîné de nombreuses violations des droits humains, y compris l’expulsion et le déplacement forcés de Palestinien·ne·s.

Au cours des 10 dernières années, au moins 233 Palestinien·ne·s ont été déplacés de Silwan. Tout récemment, le 10 juillet, la police et d’autres forces de sécurité israéliennes ont expulsé une famille palestinienne de cinq personnes, dont quatre enfants, de son logement situé dans le quartier.

En encourageant activement les utilisateurs à se rendre à la cité de David et à faire une visite guidée du site, TripAdvisor stimule l’activité commerciale d’Elad et tire des bénéfices de chaque réservation effectuée par son intermédiaire.

Si l’entreprise avait réalisé une évaluation, même rudimentaire, des risques liés à son activité commerciale dans ou en lien avec des colonies israéliennes, elle se serait rendu compte que ces annonces contribuent à pérenniser une situation illégale qui est intrinsèquement discriminatoire et préjudiciable aux droits humains des Palestinien·ne·s. Il est stupéfiant qu’une entreprise valant plusieurs milliards de dollars (qui affirme être le site de voyage le plus consulté au monde, avec plus de 450 millions de visiteurs uniques par mois) n’ait pas appliqué la diligence requise à ses activités en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ou ait décidé de poursuivre ses activités malgré tout.

D’autres entreprises de tourisme sur Internet ont également envoyé des messages ambigus sur les droits humains. En avril 2019, Airbnb a annoncé revenir sur sa décision de supprimer les annonces en rapport avec des colonies israéliennes illégales situées en Cisjordanie occupée à la suite d’une action collective intentée par des avocat·e·s israéliens. L’entreprise a déclaré qu’elle donnerait les bénéfices issus de ces annonces à des « organisations à but non lucratif apportant une aide humanitaire à des personnes à différents endroits du monde ».

Airbnb, à l’instar de TripAdvisor, ne peut pas continuer à ignorer que ses activités avec des colonies israéliennes illégales vont à l’encontre des principes de base du droit international relatif aux droits humains, tout en essayant de montrer qu’elle se soucie des personnes dans le besoin par l’intermédiaire d’un programme de responsabilité de l’entreprise.

Aucun don, quel qu’en soit le montant, n’effacera le préjudice causé dans les territoires palestiniens occupés et aucun profit à court terme ne devrait justifier de contribuer à des crimes de guerre.

Cet article a été publié initialement par Al Jazeera.