La police doit abandonner les charges de «rébellion » contre trois militants politiques papous
Amnistie Internationaleet l'organisation Yayasan Pusaka appellent la police régionale de Papouasie (Polda) à abandonner les charges de « rébellion » (makar) retenues au titre de l’article 106 du Code pénal indonésien contre trois militants politiques papous, et à les libérer immédiatement et sans condition. Ils ont été inculpés et placés en détention uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. La police les a inculpés au titre de cette disposition répressive pour avoir prévu d’organiser une réunion de prière. Ces 10 dernières années, les autorités indonésiennes ont utilisé cet article, ainsi que l’article 110 du Code pénal, pour sanctionner des dizaines de militants politiques indépendantistes pacifiques. Nous considérons comme des prisonniers d’opinion toutes les personnes emprisonnées uniquement pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions politiques et n’ayant pas usé de violence ni prôné la violence ou la haine.
Le 31 décembre 2018, vers 8 heures (heure locale), une centaine de policiers et de soldats des forces régionales de Timika sont entrés dans le secrétariat de l’antenne de Timika du Comité national de Papouasie occidentale (Komite Nasional Papua Barat, KNPB), dans le kabupaten de Mimika (province de Papouasie). Quelques jours plus tôt, un militant du KNPB avait envoyé un courrier de notification à la police pour l’informer que les membres du KNPB de Timika organiseraient une réunion de prière et une fête traditionnelle papoue pour célébrer l’anniversaire de leur organisation. Les policiers, qui n’ont présenté aucun mandat d’arrêt ou de perquisition, sont entrés dans le secrétariat du KNPB et ont arrêté six militants de l’organisation avant de les emmener au siège de la police (Polres) de Timika. Le lendemain, vers 16 heures, les forces de police de Timika ont libéré les six membres du KNPB sans inculpation. D’après les avocats de l’antenne de Timika du KNPB, les policiers ont également cassé des ordinateurs appartenant à l’organisation et frappé des militants au moment des arrestations. Les policiers ont dit aux membres du KNPB que leurs locaux seraient dorénavant utilisés comme poste de sécurité par la police et l’armée, et n’ont autorisé aucun membre de l’organisation à entrer dans le bâtiment.
Le 3 janvier 2019, les avocats des militants du KNPB de Timika ont envoyé une lettre au chef des forces de police de Mimika afin de demander aux forces de sécurité de quitter les bureaux de l’organisation et d’arrêter de bloquer illégalement l’accès au bâtiment. Dans cette lettre, les avocats ont annoncé qu’ils engageraient des procédures judiciaires si la police continuait d’interdire aux militants du KNPB d’entrer dans le bâtiment.
Le 5 janvier, la police de Mimika a convoqué et interrogé huit militants du KNPB parce qu’ils étaient soupçonnés d’actes de « rébellion » (makar) au titre de l’article 106 du Code pénal indonésien. Le 8 janvier, la police a déclaré trois militants du KNPB, Yanto Awerkion, Sem Asso et Edo Dogopia, suspects et les a inculpés de « rébellion » (makar) en vertu de l’article 106 du Code pénal indonésien. Le même jour, la police de Mimika les a de nouveau arrêtés et les a transférés au siège de la police régionale de Papouasie à Djayapura, dans la province de Papouasie, où ils sont actuellement détenus. L’article 106 du Code pénal permet aux autorités de condamner une personne « à la réclusion à perpétuité ou à une peine maximale de vingt ans de réclusion pour tout acte visant à amener le territoire national entièrement ou partiellement sous domination étrangère ou à obtenir la séparation d’une partie dudit territoire. »
Ces dix dernières années, les activités politiques indépendantistes se sont accrues en Papouasie, notamment celles menées par des étudiants et des jeunes. Les forces de sécurité utilisent souvent des mesures répressives contre ces militants, comme des interdictions générales des manifestations pacifiques, des arrestations de masse et des poursuites au titre des articles du Code pénal relatifs à la rébellion (makar). Par exemple, le Maklumat Kapolda Papua tentang Penyampaian Pendapat di Muka Umum [décret du chef des forces de police de Papouasie relatif à l’expression d’opinions en public] du 1er juillet 2016 interdit à beaucoup d’organisations indépendantistes papoues, notamment le KNPB, d’organiser des rassemblements pacifiques en faveur de l’indépendance ou d’un référendum en Papouasie. Au cours de la dernière décennie, le KNPB a organisé des manifestations dans plusieurs villes de Papouasie pour appeler à l’autodétermination au moyen d’un référendum. Des militants politiques indépendantistes papous ont également été victimes d’homicides illégaux commis par les forces de sécurité.
Nos organisations ne prennent aucunement position sur le statut politique des provinces d’Indonésie, y compris sur les appels à l’indépendance. Cependant, nous considérons que le droit à la liberté d’expression protège le droit de militer pacifiquement en faveur de l’indépendance ou de toute autre option politique n’impliquant pas d’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.
Les autorités indonésiennes doivent veiller à ce que toute restriction au droit aux libertés d'expression et de réunion pacifique soit conforme aux obligations qui incombent à l’Indonésie en vertu du droit international relatif aux droits humains, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Indonésie est partie. De plus, au titre à la fois de la législation indonésienne et du droit international, les groupes organisant des manifestations publiques sont uniquement tenus d’informer la police des manifestations pacifiques, et non de sollliciter une autorisation ou une permission. Cependant, ces dispositions sont constamment ignorées par les forces de sécurité en Papouasie, qui continuent de restreindre illégalement plusieurs formes de manifestations pacifiques contre l’État organisées par des étudiants, des groupes politiques et des ONG de défense des droits humains. Dans certains cas, les forces de sécurité ont usé d’une force excessive contre des manifestants pacifiques, mais ces affaires n’ont pas fait l’objet d’enquêtes appropriées et aucun responsable présumé n’a été traduit en justice.