• 23 avr 2019
  • Communiqué de presse

États-Unis d'Amérique / Mexique. Il faut mettre fin au plan « Rester au Mexique »

LE PLAN « RESTER AU MEXIQUE » BAFOUE LE DROIT NATIONAL ET INTERNATIONAL

Le 20 décembre 2018, le gouvernement américain a annoncé de nouveaux « protocoles de protection des migrants », qui prévoient que les personnes tentant d’entrer aux États-Unis via le sol mexicain pour demander l'asile pourront être renvoyées au Mexique pour la durée de leur procédure d'asile si elles arrivent aux États-Unis de manière irrégulière ou se présentent à des points d'entrée officiels sans les « documents requis »[1].

En vertu de ce nouveau plan, plus connu sous le nom de « Rester au Mexique », certaines catégories de demandeurs d’asile arrivant du Mexique déposeraient leur demande d’asile aux États-Unis, recevraient un avis de convocation à une audience devant un tribunal et seraient ensuite renvoyées de force au Mexique, où elles devraient attendre jusqu'à leur date d'audience[2]. Une fois leur demande instruite, les personnes ayant obtenu l'asile seraient autorisées à rester aux États-Unis, les autres étant renvoyées des États-Unis vers leur pays d'origine. La Secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, Kirstjen M. Nielsen, a résumé cette nouvelle politique en ces termes : il s’agit d’« attraper et renvoyer ».[3]

La mise en œuvre du plan « Rester au Mexique » a débuté au point d'entrée de San Ysidro (Californie) à la fin du mois de janvier 2019, et a ensuite été étendue à d'autres points d'entrée, ainsi qu’à l'entrée entre les points d'entrée le long de la frontière. Le 8 avril 2019, une juridiction fédérale américaine a prononcé une interdiction provisoire suspendant l’application de ce plan.

Amnistie internationale estime que ce plan est loin d’être conforme aux obligations qui incombent aux États-Unis en vertu du droit international et national. En conséquence, l'organisation appelle les autorités américaines à renoncer immédiatement à sa mise en œuvre.

LES PERSONNES ORIGINAIRES D’AMÉRIQUE CENTRALE QUI ONT ATTEINT LES ÉTATS-UNIS ONT LE DROIT DE DEMANDER L’ASILE

Le gouvernement américain s’est félicité du plan « Rester au Mexique », le qualifiant de « mesure historique pour faire face à la crise d'immigration clandestine aux États-Unis », et affirmant que la plupart des personnes qui sollicitent l'asile aux États-Unis n'ont pas réellement besoin de protection et déposent de « fausses demandes d'asile », utilisent le système pour entrer sur le territoire des États-Unis puis « disparaissent »[4].

En réalité, les personnes concernées par le plan « Rester au Mexique » exercent leur droit fondamental de demander l'asile. En essayant de les en empêcher, d’entraver leurs démarches et de les sanctionner, les États-Unis bafouent le droit national et international.

Le plan « Rester au Mexique » affecte de manière disproportionnée les demandeurs d'asile guatémaltèques, salvadoriens et honduriens. Nombre d'entre eux fuient des situations de violence et seraient en danger s'ils étaient contraints à rentrer dans leur pays[5]. Le gouvernement américain n'a publié aucune donnée montrant une tendance au dépôt de demandes frauduleuses, ni un nombre élevé de telles demandes, y compris lorsque le Congrès lui a demandé de défendre ses allégations infondées selon lesquelles les demandes d'asile sont souvent « frauduleuses » sur la base de données telles que des condamnations pour parjure. Le Département de la Sécurité intérieure des États-Unis a préféré tenter d’assimiler les demandes d'asile rejetées à des demandes frauduleuses, alors que tous les demandeurs d'asile ont le droit de solliciter une protection, qu'ils obtiennent ou non gain de cause à l’issue de la procédure.

De manière plus générale, les États-Unis ne sont pas confrontés à une « crise d'immigration clandestine ». Malgré le discours des autorités à ce sujet, le pays connaît toujours des niveaux d'immigration qui sont loin d’atteindre les sommets historiques des années passées.

LE PLAN « RESTER AU MEXIQUE » BAFOUE L'OBLIGATION DE NON-REFOULEMENT INSCRITE DANS LE DROIT INTERNATIONAL

Le plan « Rester au Mexique » s’applique à la fois aux demandeurs d’asile qui sont entrés sur le territoire des États-Unis et à ceux qui relèvent de la juridiction américaine (notamment parce qu’ils ont été appréhendés par des agents américains le long de la frontière). Les autorités des États-Unis sont tenues de ne pas expulser ces personnes.

Le principe de non-refoulement, inscrit dans le droit international, interdit d’envoyer une personne vers un pays ou un territoire où elle risquerait réellement de subir des persécutions, de graves violations des droits humains ou de graves atteintes à ces droits. Cette interdiction vaut à la fois pour les renvois vers le pays d'origine et pour les expulsions vers des pays tiers. Elle ne s'applique pas uniquement dès lors que la personne est sur le territoire américain, mais dès l'instant où elle se trouve sous la juridiction des États-Unis, c'est-à-dire lorsqu'elle est de fait sous le contrôle des autorités américaines.

Il découle du principe de non-refoulement, associé au droit de bénéficier d'un recours effectif, que les étrangers ont spécifiquement droit à des garanties de procédure avant tout transfert vers un autre pays ou territoire. Ces garanties de procédure comprennent notamment la possibilité pour ces personnes de former un recours contre la décision de les transférer au motif qu’elle les exposerait au risque de subir de graves violations de leurs droits fondamentaux, et l’interdiction de les transférer tant qu’il n’a pas été statué sur ce recours. Ces garanties ne sont pas applicables uniquement à l'expulsion, mais à toutes les procédures et pratiques visant à contraindre un non-ressortissant au départ, y compris lorsque cette personne est remise aux autorités d'un autre pays.

En vertu du droit international relatif aux réfugiés, il incombe au premier chef à l'État ayant reçu la demande d'asile de garantir la protection internationale du demandeur. Amnesty Internationl s'oppose aux accords avec des « pays tiers sûr » qui rendent les transferts automatiques ou qui, de quelque autre façon, ne prennent pas pleinement en compte la situation individuelle des demandeurs d'asile.

Les demandeurs d'asile ont le droit de former un recours, avec effet suspensif, contre une décision ordonnant leur transfert vers un pays tiers « sûr ». Il incombe uniquement au pays d'asile de prouver que le pays tiers est sûr pour le demandeur d'asile. Il doit être tenu compte d’autres facteurs, notamment de la possibilité de bénéficier d’une procédure équitable et satisfaisante de détermination du statut de réfugié et d’une protection effective et pérenne dans le pays tiers, ainsi que du risque d'expulsion consécutive à partir du pays tiers.

Dans les directives accompagnant le plan « Rester au Mexique », le gouvernement des États-Unis a donné pour instruction à ses fonctionnaires d’agir dans le respect de l’obligation de non-refoulement et a demandé au gouvernement mexicain de lui donner l’assurance que les autorités mexicaines feraient de même[6]. Dans le même temps, le gouvernement a mis en place une procédure spéciale visant à évaluer si les demandeurs d'asile soumis au plan « Rester au Mexique » risqueraient de subir de graves violations de leurs droits fondamentaux au Mexique. Or, cette procédure est loin de reprendre les garanties procédurales prévues par la Loi sur l'immigration et la nationalité et par d’autres dispositions du droit des États-Unis ; en particulier, les demandeurs d'asile soumis au plan « Rester au Mexique » ne peuvent ni consulter un avocat, ni faire appel[7]. Il est expressément demandé aux agents du Service de la citoyenneté et de l’immigration chargés de cette évaluation de tenir compte des assurances diplomatiques données par le Mexique.[8]

De plus, dans la pratique, il apparaît que les autorités des États-Unis n’appliquent pas cette procédure d’évaluation aux personnes concernées avant de les renvoyer au Mexique et, dans certains cas, ne tiennent pas des craintes qu’elles expriment face à un retour au Mexique.

Amnistie internationale reste préoccupée par le fait que des demandeurs d'asile à la frontière qui souhaitent faire valoir leur demande sont renvoyés au Mexique sans évaluation approfondie des risques de violations graves de leurs droits fondamentaux dans ce pays, le plan « Rester au Mexique » reposant sur le présupposé selon lequel le Mexique est un pays « sûr » aux fins du transfert de demandeurs d'asile non mexicains.

Les États-Unis sont déjà liés par une « Entente sur les tiers pays sûrs » d’une légalité douteuse avec le Canada. En vertu de cet accord, les demandeurs d'asile aux États-Unis et au Canada doivent déposer leur demande dans le premier pays d'arrivée. Dans la pratique, cela signifie que les personnes qui se trouvent aux États-unis et se présentent à la frontière canadienne ne sont généralement pas autorisées à demander l'asile au Canada. En 2017, le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale a recommandé au Canada « d’annuler, ou tout du moins suspendre, l’Entente entre le Canada et les États-Unis d’Amérique sur les tiers pays sûrs, afin de garantir que toute personne qui tente d’entrer dans l’État partie en franchissant une frontière terrestre peut accéder dans des conditions d’égalité aux procédures d’asile » [9].

Le plan « Rester au Mexique » n'est pas censé s'appliquer aux enfants non accompagnés ni aux personnes ayant des « problèmes de santé physique ou mentale connus »[10]. Toutefois, il a déjà affecté d'autres catégories de demandeurs d'asile particulièrement exposées au risque de subir des violations de leurs droits fondamentaux, notamment des enfants voyageant avec leurs parents ou tuteurs ainsi que des personnes LGBTI [11].

Amnistie internationale est préoccupée à l’idée que les autorités américaines utilisent le plan « Rester au Mexique » pour renvoyer des femmes, des enfants et des hommes au Mexique sans évaluer la situation individuelle de chaque  personne concernée.

LA LÉGALITÉ DU PLAN « RESTER AU MEXIQUE » AU REGARD DU DROIT NATIONAL EST DOUTEUSE

La légalité du plan « Rester au Mexique » est également douteuse au regard du droit national. Ce plan semble en effet s'appuyer sur l’article 235(b)(2)(C) de la Loi sur l'immigration et la nationalité, qui autorise le renvoi de certains étrangers arrivés d'un pays frontalier (comme le Mexique) dans ledit pays frontalier dans l’attente d’une audience devant un tribunal chargé des affaires d'immigration. Cependant, l'application arbitraire de l'article 235(b)(2)(C) à certaines personnes seulement semble destinée à contourner le droit des personnes à la frontière américaine de demander l'asile, tel que garanti par la Loi sur l'immigration et la nationalité.

TRAITEMENT DES DEMANDEURS D'ASILE RENVOYÉS AU MEXIQUE DEPUIS LES ÉTATS-UNIS

Réagissant au plan « Rester au Mexique », les autorités de ce pays ont déclaré que les demandeurs d'asile transférés depuis les États-Unis recevraient un visa humanitaire temporaire, seraient autorisés à demander un permis de travail et seraient traités sans discrimination dans l’attente du résultat de leur demande d'asile[12]. Cependant, plusieurs points essentiels concernant le traitement des demandeurs d'asile au Mexique restent flous.

Théoriquement, un visa humanitaire temporaire reconnaissant aux demandeurs d’asile renvoyés depuis les États-Unis un statut régulier au regard de la législation sur l’immigration pourrait protéger les intéressés du risque d’être placés en détention et expulsés en tant que migrants clandestins. Cependant, les modalités pratiques concernant notamment la procédure d'obtention de ces visas, leur durée de validité et les conditions qui y sont attachées restent floues. En outre, de sérieux doutes pèsent sur la capacité des services administratifs mexicains de continuer à fournir ces visas.

Qui plus est, les recherches menées par Amnistie internationale ont montré que les autorités mexicaines bafouaient régulièrement sur leur sol le principe de non-refoulement et d’autres droits des migrants et des réfugiés.

Ces dernières années, Amnistie internationale a recueilli des informations faisant apparaître le caractère systématique de violations graves des droits humains perpétrées contre des réfugiés et des migrants au Mexique. Les autorités mexicaines ont ignoré les demandes de ressortissants d'Amérique centrale qui sollicitaient expressémet l'asile ou disaient craindre pour leur vie dans leur pays d'origine, et les ont renvoyés dans leur pays en violation de l'obligation de non-refoulement[13]. En outre, Amnistie internationale recueille depuis plusieurs années des informations qui montrent que des migrants et des demandeurs d'asile sont fréquemment victimes d’infractions violentes, notamment d'enlèvements, d'homicides et d'extorsions, alors qu’ils transitent par le Mexique ; dans de nombreux cas, les autorités ne mènent pas d’enquête en bonne et due forme sur ces agissements. La détention arbitraire est également très répandue.[14]

On ignore quelles procédures d’évaluation le gouvernement mexicain entend mettre en place, et même s’il prévoit d’en adopter, pour identifier les personnes nécessitant une protection et une assistance spécifiques, notamment les enfants, les victimes de traite des êtres humains, de torture ou de traumatismes, les personnes LGBTI, âgées ou souffrant de maladies graves et les femmes enceintes.

On ne sait pas davantage comment les États-Unis et le Mexique entendent garantir le plein respect des droits fondamentaux des personnes en quête d'asile au cours des mois, voire des années, que celles-ci devront passer au Mexique en attendant le résultat de leur demande d’asile.

[1] Département de la Sécurité intérieure des États-Unis, “Secretary Kirstjen M. Nielsen Announces Historic Action to Confront Illegal Immigration”, 20 décembre 2018, https://www.dhs.gov/news/2018/12/20/secretary-nielsen-announces-historic... « Protocoles de protection des migrants », 24 janvier 2019, https://www.dhs.gov/news/2019/01/24/migrant-protection-protocols; Service de la citoyenneté et de l’immigration, Guidance for Implementing Section 235(b)(2)(C) of the Immigration and Nationality Act and the Migrant Protection Protocols, PM-602-0169, 28 janvier 2019, https://www.uscis.gov/sites/default/files/USCIS/Laws/Memoranda/2019/2019....

[1] Le plan « Rester au Mexique » ne s’applique pas aux demandeurs d'asile mexicains.

[1] Département de la Sécurité intérieure des États-Unis, “Secretary Kirstjen M. Nielsen Announces Historic Action to Confront Illegal Immigration”, cit.

[1] Ibid.

[1] HCR, La huida de la violencia es uno de los motivos principales de la llegada de centroamericanos a México, communiqué de presse, 5 février 2019, https://www.acnur.org/noticias/press/2019/2/5c5a19724/detecta-acnur-huid....

[1] Département de la Sécurité intérieure des États-Unis, Service de la citoyenneté et de l’immigration, Guidance for Implementing Section 235(b)(2)(C),  cit.

[1] Ibid.

[1] Département de la Sécurité intérieure des États-Unis, Policy Guidance for Implementation of the Migrant Protection Protocols, 25 janvier 2019, https://www.dhs.gov/sites/default/files/publications/19_0129_OPA_migrant... ; lettre du Chargé d’Affaires John S. Creamer à Jesús Seade, Subsecretaría para América del Norte, Secretaría de Relaciones Exteriores, datée du 20 décembre 2018.

[1] CERD, Observations finales (concernant le rapport du Canada), CERD/C/CAN/CO/21-23, 13 septembre 2017, par. 34(d), https://undocs.org/fr/CERD/C/CAN/CO/21-23.

[1] Service américain des douanes et de la protection des frontières, Guiding Principles for Migrant Protection Protocols, 28 janvier 2019, https://www.cbp.gov/sites/default/files/assets/documents/2019-Jan/MPP%20....

[1] Human Rights First, A Sordid Scheme: The Trump Administration’s Illegal Return of Asylum Seekers to Mexico, mars 2019, https://www.humanrightsfirst.org/sites/default/files/A_Sordid_Scheme.pdf; CNN, DHS plans to expand 'Remain in Mexico' policy in the near future, 1er mars 2019, https://edition.cnn.com/2019/03/01/politics/remain-in-mexico-update/inde....

[1] Ministère mexicain des Relations extérieures, Posicionamiento de México ante la decisión del Gobierno de EUA de implementar la sección 235(b)(2)(c) de su Ley de Inmigración y Nacionalidad, 20 décembre 2018, https://www.gob.mx/sre/prensa/posicionamiento-de-mexico-ante-la-decision....

[1] Amnesty International, Facing Walls: USA and Mexico’s Violations of the Rights of Asylum Seekers, 15 juin 2017, AMR 01/6426/2017, https://www.amnesty.org/en/documents/amr01/6426/2017/en/.

[1] Amnesty International, Overlooked, under-protected: Mexico’s deadly refoulement of Central Americans seeking asylum, janvier 2018, AMR 41/7602/2018, https://www.amnesty.org/en/documents/amr41/7602/2018/en/