• 8 avr 2019
  • Égypte
  • Communiqué de presse

La répression contre les détracteurs pacifiques va s’aggraver si les modifications de la Constitution sont adoptées

Les autorités égyptiennes doivent mettre fin à la répression qu’elles exercent contre ceux qui s’opposent aux modifications de la Constitution proposées par des députés, qui renforceront l’impunité pour les violations des droits humains, a déclaré Amnistie internationale. De nombreux citoyens ayant critiqué ces modifications ont été arrêtés ou vilipendés sur la place publique par les médias.

Amnistie internationale publie le 8 avril une analyse des modifications à la Constitution actuellement débattues par le Parlement égyptien. Si elles sont adoptées, ces mesures saperont l’indépendance de la justice, étendront les procès militaires aux civils et pourraient permettre au président Abdel Fatah al Sissi de rester au pouvoir jusqu’en 2034.

« Si elles sont adoptées, ces modifications constitutionnelles aggraveront la crise des droits humains que subissent déjà les Égyptiens. Elles donneront carte blanche au président Abdel Fatah al Sissi et aux forces de sécurité pour user et abuser de leurs pouvoirs et étouffer la dissidence pacifique dans les années à venir, a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnistie internationale.

« Le Parlement égyptien est comptable devant le peuple de préserver ce qui reste de l’indépendance judiciaire et du respect du droit international dans le pays, et il doit donc rejeter les amendements proposés. »

Un vote parlementaire sur cette question est prévu ces prochaines semaines et le projet de Constitution, s’il est adopté, fera ensuite l’objet d’un référendum public.

« Depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fatah al Sissi, la situation des droits humains en Égypte s’est détériorée de manière catastrophique. Les alliés internationaux de l’Égypte ne doivent pas se contenter d’observer en silence tandis que les autorités font adopter ces modifications tout en persécutant tous ceux qui osent émettre des critiques. En particulier, les autorités américaines devraient profiter de la visite du président Abdel Fatah al Sissi à Washington D.C. cette semaine pour condamner publiquement les modifications proposées. »

Le président Abdel Fatah al Sissi doit en effet rencontrer son homologue Donald Trump lors d’une visite à Washington D.C. le 9 avril.

Dans son analyse, Amnistie internationale dit craindre que les modifications proposées ne renforcent l’influence de l’armée sur le gouvernement, ne suppriment l’obligation d’une évaluation judiciaire des projets de loi et n’étendent les procès militaires notoirement iniques aux civils, tout en accordant au président des pouvoirs très étendus pour gérer les affaires judiciaires et nommer les juges de haut rang.

D’autres propositions ayant essuyé les critiques des opposants portent sur l’allongement du mandat présidentiel à six ans et l’introduction d’une disposition permettant au président Abdel Fatah al Sissi de se présenter à deux mandats présidentiels supplémentaires.

Une répression qui cible les détracteurs

Ces modifications font l’objet de vives critiques, notamment de la part de personnalités publiques, organisations de défense des droits humains, partis politiques et du Club des juges du Conseil d’État. Les autorités ont réagi en durcissant leur répression contre la liberté d’expression, prenant pour cibles ceux qui avaient fait part de leur opposition au moyen d’arrestations et de détentions arbitraires, de campagnes de diffamation et même de cyberattaques.

Plus de 57 personnes ont été arrêtées depuis le début de l’année 2019 – les ONG égyptiennes citant des chiffres plus élevés – pour avoir de manière avérée ou supposée exprimé pacifiquement leurs opinions, dont au moins quatre pour avoir fait part de leur opposition aux modifications constitutionnelles sur les réseaux sociaux.

Ces arrestations s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie constatée à plusieurs reprises par Amnistie internationale : les victimes sont arrêtées sans mandat au petit matin, avant de « disparaître » pendant plusieurs jours. Elles réapparaissent ensuite devant un procureur de la Sûreté de l’État qui ordonne leur détention dans l’attente d’une enquête sur des accusations d’« appartenance à des groupes terroristes » et de « diffusion de fausses informations ».

Plusieurs personnalités publiques, dont des députés, ayant exprimé leur opposition aux modifications de la Constitution ont été largement critiquées dans les médias publics et privés et ont fait l’objet de campagnes de diffamation. Certains opposants ont été la cible d’insultes homophobes et d’appels, notamment de la part de leurs collègues députés, à les poursuivre en justice pour « trahison » et à les déchoir de leur nationalité égyptienne.

Amnistie internationale a également recueilli des informations sur une vague d’attaques d’hameçonnage qui seraient le fait d’organismes soutenus par le gouvernement, ciblant les médias indépendants et les défenseurs des droits humains qui ont dénoncé les pressions exercées par les autorités, et notamment le rôle des services des Renseignements généraux, en faveur des amendements à la Constitution.

La semaine dernière, le 28 mars, un tribunal a empêché les militants du Mouvement démocratique civil, un mouvement d’opposition, de manifester contre les modifications constitutionnelles devant le Parlement. Le ministre égyptien de l’Intérieur a déposé une requête demandant au tribunal de ne pas accorder d’autorisation pour cette manifestation, au motif qu’elle pourrait « menacer la paix et la sécurité publiques ». Dans sa décision, le tribunal invoquait la crainte que « des éléments hostiles à l’État n’infiltrent la manifestation et n’agressent les manifestants, dans le but de faire croire que ce sont les forces de sécurité qui ont attaqué les manifestants ».

« Les manœuvres d’intimidation et de harcèlement visant les personnes qui expriment pacifiquement leurs opinions, notamment celles qui critiquent les modifications de la Constitution, doivent cesser sans délai, a déclaré Magdalena Mughrabi.

« Au lieu de durcir la répression contre les détracteurs pacifiques, les autorités égyptiennes devraient renoncer à ces modifications et veiller à ce que tout changement proposé à l’avenir respecte les obligations relatives aux droits humains qui incombent à l’Égypte aux termes du droit international. »