De jeunes militant·e·s à l’assaut de l’une des pires crises sanitaires du Canada
Par Shiromi Pinto
Depuis 50 ans, le gouvernement canadien fait mine d’ignorer l’impact dévastateur de l’intoxication au mercure dont souffre la population autochtone de Grassy Narrows dans l’Ontario. Mais les jeunes de la région se soulèvent et se battent pour que le gouvernement ne puisse plus détourner le regard.
« C’est la plus grave crise sanitaire que le Canada ait connue, mais l’État veut la cacher. Nous ne le laisserons pas faire », déclare Darwin Fobister, photographié au bord de la rivière English, sur les terres de la Première Nation de Grassy Narrows, dans l’ouest de l’Ontario. À 22 ans, Darwin est l’un des nombreux·ses jeunes qui ont lancé un défi au gouvernement canadien : il demande que justice soit faite après des décennies de souffrances causées à la population locale.
Dans les années 1960, le gouvernement du Canada a autorisé une usine de pâte à papier à déverser quelque 10 tonnes de mercure dans les rivières English et Wabigoon. Le peuple autochtone anichinabé de Grassy Narrows, qui vit en aval du site sur lequel se trouvait cette usine, dépend de ces cours d’eau pour assurer sa subsistance et perpétuer sa culture. Le mercure ayant empoisonné leurs cours d’eau et le poisson qui s’y trouve, la population souffre de graves problèmes de santé depuis plusieurs décennies.
« J’ai de nombreux problèmes de santé que je ne devrais pas avoir à mon âge », dit Darwin. « J’ai des problèmes pour parler. J’ai des difficultés d’élocution. J’ai des troubles de l’apprentissage. » Le mercure attaque le système nerveux, provoquant des engourdissements, des problèmes de coordination, des pertes de la vue, des troubles de l’apprentissage, de l’anxiété et de nombreux autres problèmes de santé. « Le pire, c’est que le gouvernement savait pour l’empoisonnement depuis des décennies mais a préféré ignorer le problème », poursuit Darwin. « Il y a eu un demi-siècle de déni et d’inaction. ».
Jeunes et moins jeunes se rassemblent à l’occasion du pow-wow d’été, en août 2019. Les conséquences de l’intoxication au mercure ont touché plusieurs générations de la population. Pendant l’essentiel de ces 50 dernières années, les gouvernements fédéral et provincial ont dissimulé des informations de santé cruciales à la population de Grassy Narrows, ils ont refusé de nettoyer les cours d’eau de la région, ils n’ont pas fourni de soins de santé spécialisés, et ils ont même nié le simple fait que cette intoxication au mercure constituait une menace.
Kenny (au premier plan) et Janet M. (assise dans le bateau) participent au concours de pêche organisé lors du pow-wow d’été de Grassy Narrows. La population locale a dû fournir des efforts considérables pour continuer à faire vivre ses traditions à la suite des déversements de mercure. « La pêche nous a nourris pendant des milliers d’années », dit Darwin. « J’ai l’impression que c’est comme si on avait perdu une grande part de nous-mêmes à cause de ces déversements [de mercure]. »
Pour les jeunes de Grassy Narrows, le pow-wow d’été est une façon d’entretenir le lien avec leurs traditions, ce qui est vital pour une population dont la santé et les moyens de substance ont été confisqués par un gouvernement négligent. 94 % des membres de la communauté de Grassy Narrows ne reçoivent aucune réparation pour faire face aux graves conséquences de la crise sanitaire actuelle.
En juin 2019, plus de 40 habitant·e·s de Grassy Narrows ont parcouru quelque 1 700 km depuis chez eux pour demander au gouvernement de tenir sa promesse de construire un centre de soins pour les victimes d’intoxication au mercure. Depuis 2012, les jeunes de Grassy Narrows organisent un rassemblement annuel en faveur de la justice pour les victimes du mercure. Aujourd’hui, leurs appels à la justice sont relayés par d’autres personnes dans tout le Canada et au-delà.
En 2017, le gouvernement de l’Ontario a promis de financer une opération de nettoyage des cours d’eau de la région et le gouvernement canadien s’est engagé à construire un centre de soins spécialisés à Grassy Narrows pour aider les victimes d’intoxication au mercure. Aucune de ces promesses n’a été tenue. « Je veux que les jeunes aient le meilleur avenir possible », dit Darwin. « Meilleur que notre avenir à nous. ».
Les jeunes de Grassy Narrows poursuivent leur combat pour la justice environnementale. Ils font partie des 10 cas de jeunes militant·e·s défendus cette année par Amnistie internationale dans le cadre de sa campagne mondiale annuelle de rédaction de lettres.
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