• 3 avr 2019
  • Brésil
  • Communiqué de presse

«Je n’ai pas besoin d’un prince charmant pour trouver l’amour»

Enseignant, mannequin et romantique, Alan Costa est un performeur au parcours unique à Salvador, au Brésil. Avec son collectif Afrobapho, ce défenseur des droits humains de 28 ans utilise la mode, la photographie et l’art pour lancer des discussions sur ce que cela signifie d’être une personne LGBTI et noire au Brésil.

Je n’ai jamais été amoureux. Je n’ai jamais reçu d’amour. En fait, je n’ai jamais connu de relation non abusive.

Avant, je croyais aux relations romantiques, mais cela ne m’est tout simplement jamais arrivé. Mon corps d’homme noir et queer est vu comme une sorte d’idéal masculin, et les gens n’ont aucune idée de la façon dont je peux recevoir de l’amour et de l’affection.

Quand j’ai accepté mon identité en tant que noir, queer et efféminé, je suis soudainement devenu un fétiche aux yeux des autres. Quand je marchais dans la rue, les gens ne me parlaient pas, mais en privé, ces personnes qui m’avaient ignoré voulaient une relation dans laquelle elles pourraient se lâcher et satisfaire un fantasme. J’étais un objet de désir pour les autres.

Avant, j’acceptais ces relations parce que je cherchais de l’amour et de l’affection. Au lieu de cela, je n’ai trouvé que solitude et isolement.

J’ai été inspiré par le film Paris is Burning, dans lequel des personnes créent des espaces pour échanger de l’amour et de l’affection.

C’est en partie la raison pour laquelle j’ai fondé le collectif Afrobapho. Né sur internet, Afrobapho est un espace pour parler de lectures, de livres et d’articles explorant le croisement entre couleur de peau et genre.

Cet espace est devenu ma famille et me donne l’affection dont j’ai besoin. Je franchis les barrières de la société. Je n’ai pas besoin de prince charmant pour trouver l’amour. J’ai déconstruit cette notion et j’ai trouvé l’amour d’une autre manière.

Révélation (coming out)

J’ai compris que j’étais différent quand j’étais encore à l’école. Les autres enfants me traitaient de « tapette » ou de « petit pédé ». Ils n’étaient pas vraiment méchants. Ces pensées leur venaient des adultes. Alors que je n’avais aucune idée de ma sexualité, les autres la pointaient déjà du doigt.

Quand j’avais 18 ans, j’ai déménagé à Salvador pour aller à l’université. J’ai écrit une lettre à ma mère pour lui expliquer qui j’étais et comment c’était de grandir avec cette identité.

J’ai décrit la violence que j’avais endurée – toutes les insultes que l’on me lançait et tous les jours où j’étais rentré de l’école en pleurant. Quand elle a lu la lettre, elle a été surprise et effrayée, mais elle m’a soutenu. À ce jour, ma mère est une des personnes qui me soutient le plus dans ma vie et je peux toujours compter sur elle.

Facteur déterminant

Être un homme noir et homosexuel a défini ma vie. Le Brésil est un pays marqué par le racisme. C’est également là que l’on trouve le plus fort taux d’homicides de personnes LGBTI dans le monde.

Puisque les corps noirs sont ceux qui subissent le plus la violence, il est impossible de ne pas parler d’intersectionnalité. Et pourtant, dans le mouvement LGBTI il y a une réticence à parler de la façon dont les corps noirs sont hypersexualisés et vus comme des objets.

Afrobapho veut remettre en question ces perceptions. Nous voulons que notre présence soit vue et entendue dans une société dont nous voulons faire partie. Salvador est une société très hétéro normative, alors où que nous nous trouvions, nous rendons les gens mal à l’aise. Les gens veulent que nous restions dans nos ghettos mais, nous, nous voulons qu’ils discutent de ce qu’est cette ville -- une ville majoritairement noire, dont les habitants nous blessent et nous rejettent.

Nous commençons à sensibiliser les gens et à atteindre un nouveau public par des photographies mettant en lumière la question de l’intersectionnalité. Nous atteignons également ceux qui n’ont pas accès à internet en intervenant directement dans la rue. Nous organisons des défilés de mode dans les rues de Salvador, lors desquels nous portons ce que nous voulons, dans le but d’utiliser nos corps pour attirer l’attention dans les lieux qui ne veulent pas de nous.

L’ancienne génération (plaidoyer) dit que parler de l’esthétique n’est pas suffisant quand des personnes noires meurent dans les rues. Mais je pense que nous nous complétons, car nous augmentons la communication et les discussions en utilisant une technologie nouvelle.

Remise en cause des perceptions

Afrobapho fait des vagues au Brésil. À ce jour, notre campagne ayant eu le plus de succès est celle de sensibilisation aux homicides de jeunes noirs au Brésil. Nous nous sommes rendus dans les quartiers généraux de la police militaire, habillés en noir et en brandissant les noms des jeunes qui avaient été assassinés. Nous avons publié notre travail sur les réseaux sociaux… c’était une nouvelle manière de parler d’un problème ancien. La campagne est devenue virale, et c’est comme cela que nous avons commencé à travailler avec Amnesty International Brésil.

Nous nous sommes associés à Amnesty International Brésil pour développer la Quilombox (une boîte de matériel éducatif qui se transforme en projecteur) afin de pouvoir faire de la sensibilisation où que nous soyons. Ce support permet d’aborder les droits humains par le biais de l’art, du slam, de la danse et du hip-hop. C’est un outil très important pour nous et il nous aide à atteindre de nouvelles personnes.

Parallèlement à Afrobapho, je travaille également dans une école, où j’utilise la Quilombox pour parler des problèmes relatifs aux droits humains. Les enfants l’adorent. Ils aiment la musique et le rap, parce que cela est cohérent avec leur environnement. Avec le « rap lab », ils peuvent mettre des mots sur un rythme, tout en parlant de racisme.

Notre travail est de véritablement remettre en cause les perceptions. Oui, les gens peuvent trouver nos interventions dérangeantes, en particulier quand nous enfilons nos justaucorps, nous maquillons, nous coiffons et réalisons notre performance esthétique, mais tout ce que nous leur demandons, c’est de nous voir pour ce que nous sommes. Nous ne voulons nous cacher de personne. Nous sommes humains et nos corps sont réels. Nous faisons partie d’une plus longue histoire. Nous ne faisons pas cela que pour nous, nous le faisons pour les générations futures.