Les parents s’inquiètent pour la génération perdue d’enfants rohingyas
Deux ans après la terrible campagne de nettoyage ethnique qui a contraint près de 700 000 Rohingyas à fuir le Myanmar et à chercher refuge au Bangladesh, ces personnes sont toujours bloquées dans des camps surpeuplés où les conditions de vie sont insupportables, souligne Amnistie internationale dans un nouveau rapport.
Le rapport “I don’t know what my future will be”: Rohingya refugees in Bangladesh met en garde contre le fait qu’une « génération perdue » d’enfants rohingyas systématiquement privés d’éducation apparaît au Bangladesh, et montre que de nombreux jeunes dans ces camps sont en proie au désespoir et à l’incertitude.
Amnistie internationale demande au gouvernement bangladais de lever les restrictions qui pèsent sur les droits des réfugiés. L’organisation demande également à la communauté internationale d’apporter un soutien au Bangladesh afin qu’il puisse mettre en place des solutions à long terme pour aider les réfugiés Rohingyas à reconstruire leur vie.
« Il existe un réel risque de génération perdue en ce qui concerne les enfants rohingyas réfugiés. Le gouvernement bangladais refuse d’accepter l’idée que les réfugiés rohingyas ne vont peut-être pas pouvoir retourner au Myanmar avant quelque temps, et il soumet leurs droits à des restrictions, privant notamment les enfants de leur droit de recevoir un enseignement de qualité. Des Rohingyas qui vivent au Bangladesh depuis plusieurs décennies pourtant ne peuvent toujours pas envoyer leurs enfants à l’école ou se déplacer librement, a déclaré Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnistie internationale.
« Un grand nombre des personnes avec qui nous avons parlé vivaient depuis presque deux ans dans des abris de fortune n’offrant aucune protection contre les pluies de la mousson ou des températures étouffantes. En plus des difficultés quotidiennes qu’occasionnent les conditions de vie éprouvantes dans les camps, ces personnes sont poussées au désespoir en raison du manque de perspectives et de l’incertitude quant à l’avenir », déclaré Biraj Patnaik.
La situation des Rohingyas réfugiés au Myanmar étant toujours très difficile, Amnistie internationale demande au gouvernement bangladais de ne pas se limiter à des mesures d’urgence et de mettre en place des solutions sur le long terme permettant de respecter et protéger les droits des réfugiés.
Les chercheurs d’Amnistie internationale se sont rendus à Cox’s Bazar, au Bangladesh, où ils ont séjourné du 11 au 24 février 2019, et se sont entretenus avec 97 personnes réfugiées dans neuf camps.
Pas d’école pour les enfants rohingyas
D’après les estimations, près de la moitié du million environ de réfugiés Rohingyas résidant au Bangladesh ont moins de 18 ans. La plupart d’entre eux ont fui le Myanmar avec leur famille à la suite de la vague de violentes attaques menées contre leurs villages qui a débuté fin août 2017, et se trouvent au Bangladesh depuis environ deux ans. D’autres sont nés au Bangladesh.
Les possibilités de recevoir un enseignement ont toujours été très limitées pour les enfants rohingyas au Bangladesh, tant en ce qui concerne les établissements scolaires autorisés à opérer dans les camps que les élèves rohingyas enregistrés autorisés à aller dans des écoles bangladaises.
En janvier 2019, le gouvernement bangladais a publié une circulaire indiquant que les établissements d’enseignement secondaire situés près de Cox’s Bazar devaient renvoyer les élèves rohingyas, dont les noms étaient inscrits dans une liste. Mohamed, qui vit dans le camp de Nayapara, a expliqué que sa fille a été anéantie par cette mesure.
« Elle aimait aller à l’école, et elle apprenait énormément de choses. Je l’encourageais à continuer d’apprendre. Il est très important que nos filles reçoivent la même éducation que nos fils. Quand ils ont dit que les Rohingyas n’avaient plus le droit d’aller à l’école, elle est revenue en larmes. »
Le gouvernement bangladais soutient que le fait d’offrir un enseignement complet à ces enfants encouragerait alors les réfugiés à rester au Bangladesh au lieu de retourner au Myanmar. Mis à part les aires de jeu pour enfants et les centres éducatifs offrant des activités ludiques et un enseignement primaire, le gouvernement bangladais interdit que soit dispensé un enseignement aux réfugiés rohingyas dans les camps et dans les écoles des environs.
Il s’agit d’une violation flagrante de l’un des droits fondamentaux les plus importants de ces enfants, à savoir le droit à l'éducation, et cela va avoir des conséquences incalculables sur leur avenir. Des jeunes vivant dans ces camps ont dit se sentir désespérés quant à leur avenir.
Saeed, un adolescent de 17 ans qui vit dans le camp de Bukhali, a expliqué :
« J’espère chaque jour en me levant que la journée sera différente des précédentes et que quelque chose va changer. Mais finalement rien ne change, tous les jours se ressemblent. On ne peut pas aller en cours et il n’y a rien à faire. Combien de temps encore cela va-t-il durer ? »
« Parfois, nous avons l’impression de vivre en enfer. »
Les réfugiés sont reconnaissants au gouvernement bangladais, aux localités qui les reçoivent et aux organisations internationales de l’aide qui leur est apportée, mais leurs préoccupations concernant leurs conditions de vie inacceptables dans les camps sont évidentes et fondées.
Comme les Rohingyas ne sont pas autorisés à travailler au Bangladesh, presque toutes les personnes avec qui Amnistie internationale s’est entretenue dépendent entièrement de l’aide humanitaire pour la survie quotidienne. Malgré cela, Amnistie internationale a observé qu’au Bangladesh les besoins des réfugiés sont loin d’être couverts en ce qui concerne les aspects les plus fondamentaux de l’aide humanitaire – l’abri, l’eau, des installations sanitaires, la santé et la nourriture. Les réfugiés ont expliqué qu’il leur est difficile d’avoir accès à de l’eau potable, à des latrines, à des installations sures pour cuisiner, et à une nourriture suffisamment diversifiée dans le système actuel de distribution de vivres.
Kobir, qui vit dans le camp de Jamtoli, a déclaré :
« Bien sûr, nous nous réjouissons d’être en sécurité. Mais nous souffrons d’un grand stress émotionnel et psychologique ici. Parfois, nous avons l’impression de vivre en enfer. C’est sale partout. Dans nos maisons il fait une chaleur insupportable. Il y a des fuites dans les toits. Les pompes à eau et les toilettes sont situées juste au-dessus de l’endroit où nous mangeons et dormons. Et nous ne savons même pas comment faire pour enterrer nos morts. Nous ne pouvons pas continuer de vivre ainsi. »
Des vies soumises à des restrictions
Certaines des difficultés évoquées sont inévitables compte tenu de la taille des camps et du temps qu’il faudra pour améliorer les installations. Cependant, le fait que le gouvernement bangladais ait avant tout cherché à encourager les retours au Myanmar ou la relocalisation des réfugiés a abouti à des politiques à courte vue qui maintiennent des personnes dans l’incertitude pendant des années, et dans une dépendance à l’aide humanitaire qui est censée être temporaire. Par exemple, les réfugiés sont retenus dans des abris temporaires qui laissent filtrer l’eau pendant la saison de la mousson, où la température est trop élevée et qui ne sont pas suffisamment ventilés, à cause des restrictions que le gouvernement bangladais a imposées en ce qui concerne les matériaux que les réfugiés peuvent utiliser pour se construire une maison.
La surpopulation est un problème majeur – des familles nombreuses sont contraintes de partager une seule pièce – et les conditions sanitaires sont très préoccupantes. Des réfugiés ont indiqué que l’eau destinée à la consommation est souvent contaminée et qu’il est difficile d’avoir accès aux pompes.
Des réfugiés ont aussi expliqué qu’en raison des restrictions les empêchant de circuler librement, ils ne peuvent guère obtenir de soins médicaux en dehors des camps, où ils n’ont accès qu’à des services de base. Certains ont dit qu’on leur avait demandé de payer un pot-de-vin pour pouvoir sortir des camps.
Projet de relocalisation à Bhasan Char
Les projets actuels visant à remédier à la situation des réfugiés rohingyas, comme le projet visant relocaliser jusqu’à 100 000 personnes à Bhasan Char, un îlot submersible inhabité situé dans le golfe du Bengale, représentent d’importants dangers en matière de droits humains et vont vraisemblablement placer les réfugiés dans une situation où ils seront encore plus isolés et vulnérables.
Bhasan Char est un îlot de 39 kilomètres carrés qui n’a jamais été habité et qui est exposé aux inondations et à d’autres phénomènes climatiques extrêmes. Le gouvernement bangladais a plusieurs fois évoqué le projet visant à relocaliser sur cet îlot jusqu’à 100 000 réfugiés rohingyas en 2019.
Un réfugié à Kutupalong a dit à Amnistie internationale : « Aucun être humain n’y a jamais vécu, alors pourquoi veulent-ils nous envoyer là-bas ? Parce qu’ils pensent que nous ne sommes pas des êtres humains ? Nous ne voulons plus aller où que ce soit, jusqu’à ce que nous puissions rentrer chez nous en toute sécurité. »
« Il est indispensable que toute relocalisation n’aboutisse pas à l’isolement ou à une ségrégation des réfugiés, ou à d’autres restrictions de leurs droits, a déclaré Biraj Patnaik.
« Le projet visant à relocaliser des Rohingyas à Bhasan Char représente de graves dangers en matière de droits humains. Cet îlot est fortement exposé à des variations climatiques et il se situe à trois quarts d’heure de bateau du continent. Son isolement risque de créer des restrictions supplémentaires du droit de circuler librement et des droits à l’éducation, à la santé et à une assistance juridique. »
Amnistie internationale insiste sur l’urgente nécessité de mettre en place des projets et stratégies à long terme fermement basés sur le respect des droits humains.
Ils doivent notamment permettre aux réfugiés de circuler librement, de disposer d’un logement convenable, et d’avoir accès à des services de santé et à l’éducation. De plus, les réfugiés doivent avoir la possibilité de demander une protection à long terme au Bangladesh, conformément aux dispositions du droit international.
Amnistie internationale demande également à la communauté internationale des pays donateurs d’assumer réellement leur part de responsabilité, aux côtés du Bangladesh. Les gouvernements doivent considérablement accroître et soutenir leur aide financière et technique pour contribuer à répondre aux besoins des réfugiés rohingyas dans le pays.
« Les Rohingyas sont systématiquement privés, depuis plusieurs générations, de leurs droits fondamentaux. Maintenant qu’ils sont, au moins temporairement, à l’abri des tueries et des attaques qu’ils ont fuies, il est grand temps que leurs besoins en tant qu’êtres humains soient pris au sérieux, a déclaré Biraj Patnaik.
« Le gouvernement bangladais et la communauté internationale doivent comprendre que les Rohingyas ne peuvent pas se contenter de simplement survivre. Ils doivent prendre des mesures pour aider cette population traumatisée à vivre de façon digne et satisfaisante avec un accès aux mêmes droits et possibilités que les autres personnes. »