Emprisonné, torturé et battu, Nestor Fantini a retrouvé espoir de manière totalement inattendue
« Nestor Fantini, aujourd’hui âgé de 65 ans, a été arrêté lorsqu’il était étudiant pour avoir exprimé ses opinions. Il a passé quatre ans en prison, où il a été battu et torturé. Lorsqu’une jeune étudiante a lancé une campagne pour sa libération avec le soutien d’Amnistie internationale, sa vie a pris un tournant qu’il n’aurait jamais pu imaginer…
J’ai grandi en Argentine, dans une famille de classe moyenne traditionnelle qui m’a appris l’importance de la démocratie. Pourtant, lorsque j’ai voyagé dans le nord du pays, j’ai été témoin de la marginalisation extrême de certaines régions. Ce fut un électrochoc. Ce que l’on nous apprenait en classe ne correspondait pas à la réalité.
En 1966, l’armée a instauré un régime dictatorial à la faveur d’un coup d’État. La démocratie était inexistante, et les inégalités sociales omniprésentes. À l’époque de la guerre froide et de la nouvelle doctrine de la sécurité nationale, les syndiqués, les chefs de file étudiants et de nombreux membres de mouvements progressistes étaient considérés comme des communistes et persécutés.
Je suis devenu militant lorsque j’étais à l’université, et j’ai commencé à dénoncer le statu quo. En 1973, j’étais fier d’avoir participé au rétablissement de la démocratie, mais ma réputation était salie. Le gouvernement craignait les activités politiques étudiantes et le mouvement syndicaliste, et j’ai été arrêté en septembre 1975 pour avoir défendu mes opinions. Un policier qui a participé à mon arrestation m’a dit qu’ils me cherchaient depuis un an.
J’ai été conduit dans les locaux de la D2 (une unité du poste de police du secteur), où j’ai été interrogé. C’était un véritable centre de torture. On m’a jeté dans une cellule minuscule avec 12 autres personnes, où l’on m’a bandé les yeux, menotté et battu. Ils m’ont accusé d’être un terroriste. On m’a déshabillé et poussé sur un sommier en métal sans matelas, et on a relié des fils [électriques] à mes parties génitales et à mes aisselles. La douleur était insupportable. Ils m’ont même mis le canon d’un pistolet dans la bouche, et ils m’ont dit qu’ils allaient me faire exploser le crâne.
Mon interrogatoire a duré six jours, puis ils m’ont conduit au centre pénitentiaire n° 1 (UP1) de Córdoba. Ils ont tout pris, et ne m’ont laissé que des vêtements, un matelas et une couverture. Je n’ai pas quitté la cellule, où j’ai été une nouvelle fois soumis à la torture. Néanmoins, j’ai été chanceux : 31 de mes codétenus ont été exécutés. D’ailleurs, en 2010, 15 policiers ont été déclarés coupables de crimes contre l’humanité pour les exécutions et les actes de tortures commis au centre pénitentiaire de Córdoba.
À l’époque, je n’avais que 22 ans, et je me rappelle avoir pensé que je contribuais grandement à la société. J’étais un idéaliste qui ne prenait pas la pleine mesure de la situation.
Lorsque j’ai été transféré à la prison de Sierra Chica, à Buenos Aires, j’ai su que j’avais une chance de survivre. Ma mère et ma sœur y sont venues me rendre visite. Ma mère m’a dit qu’elle avait contacté des organisations pour leur parler de moi. Quand elle a mentionné Amnistie internationale, j’ai eu une bouffée d’espoir.
Une doctorante passionnée, Mary Evelyn Porter (ou Mev, comme ses amis l’appelaient), avait pris la tête de la campagne. Je n’avais le droit de recevoir de lettres que de ma famille, donc Mev transmettait les messages de soutien à ma sœur, qui les déposait à la prison sous son propre nom. C’était incroyable de me dire que des gens de Bangkok ou de Londres me soutenaient. C’est là que j’ai su que ce serait beaucoup plus difficile pour le pouvoir en place de me tuer.
Ma perception de la vie a basculé. Les lettres étaient un message d’espoir : des millions de gens savaient ce qu’il m’arrivait, et Mev menait le combat. Sa gentillesse et son soutien m’ont fait espérer un avenir. Cela a tout changé.
Mev s’est rendue en Argentine pour son travail et, le 14 juillet 1979, elle est venue avec ma mère me rendre visite en prison ; elles étaient devenues très amies. Par un hasard incroyable, j’ai été remis en liberté ce jour-là.
Personne n’était plus surpris que moi lorsqu’ils ont appelé mon nom. Quand je suis parti, ils m’ont dit : « Ne te retourne pas ». Je ne me suis pas retourné. Devant moi, je voyais ma mère et une personne qui, je l’apprendrais plus tard, était Mev. Nous avions tous les deux le même livre à la main : Ulysse, de James Joyce. Le mien était en espagnol, le sien en anglais. Nous sommes rapidement devenus de très bons amis. Notre relation a pris un nouveau tournant, mais pour être tout à fait honnête, j’ai commencé à tomber amoureux de Mev bien avant de la rencontrer. Les lettres ont créé une connexion émotionnelle très forte. Nous nous sommes mariés et, en 1984, notre fils, Jonathan, est né.
Même si nous sommes aujourd’hui divorcés, Mev et moi sommes restés proches et nous nous rendons souvent visite, surtout autour de Thanksgiving. Nous sommes très fiers de notre fils. Il travaille dans la sécurité internationale, et il est apparu dans la liste des 30 personnes de moins de 30 ans les plus influentes publiée par le magazine Forbes, où il était décrit comme l’un des « jeunes entrepreneurs les plus brillants, nouveaux espoirs et vecteurs de changement ». Jonathan est fier de mon histoire, et il la raconte souvent lors d’événements officiels importants. Il est passionné par les droits humains. Il y a peu, il était en Argentine pour participer à la marche des Mères de la place de Mai. Je suis fier de le voir avancer sur ce chemin.
Amnistie internationale occupe une place très spéciale dans mon cœur, et je me souviendrai de son soutien toute ma vie. Elle était là lorsque j’en avais le plus besoin, et depuis, beaucoup d’événements importants de ma vie ont un lien avec Amnistie internationale. Je me rappelle la rencontre incroyable avec le groupe de Mev au sein de l’organisation. Si je le pouvais, j’adorerais rencontrer toutes les personnes qui m’ont écrit et les prendre dans mes bras (je suis quelqu’un de tactile !).
Les lettres ne sont pas seulement un acte de solidarité, elles deviennent une source d’espoir et elles peuvent changer la vie des gens. J’en suis la preuve vivante. Vos lettres m’ont donné l’assurance, l’espoir et l’énergie dont j’avais besoin pour vivre une vie heureuse et bien remplie. Après ma remise en liberté, je suis allé à l’université et je suis devenu professeur. J’ai enseigné pendant de nombreuses années, j’ai fondé une famille, et aujourd’hui, j’ai un fils que j’aime plus que tout au monde. »