Des mesures décisives doivent être prises sans attendre pour traduire en justice les auteurs de deux attaques meurtrières contre des Roms
Les autorités ukrainiennes doivent agir rapidement et avec détermination pour traduire en justice les auteurs de deux attaques meurtrières contre des Roms. Le 23 juin, des hommes masqués et armés, notamment de couteaux, ont attaqué un camp rom situé à Lviv, faisant un mort et quatre blessés, dont un jeune garçon âgé de 10 ans. Le 1er juillet, une femme rom de 30 ans a été tuée à coups de couteau à Berehove, en Transcarpatie. Ces deux agressions font suite à une recrudescence des violences commises par des groupes d’extrême droite contre les Roms et les membres d’autres catégories de la population, tels que les militant-e-s des droits des femmes, les personnes LGBTI et les journalistes. Laissés sans suite, pour l’essentiel, par les pouvoirs publics, ces actes engendrent un climat d’impunité.
Le 3 juin, vers minuit, une dizaine d'hommes masqués armés de couteaux et de marteaux ont attaqué un campement rom récemment installé rue Trouskavitska, à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. Les agresseurs ont tué un homme de 23 ans et ont blessé quatre personnes – deux jeunes gens de 19 ans, une femme de 30 ans et son fils âgé de 10 ans. Appelée par les Roms, la police est arrivée peu après sur les lieux. Elle a arrêté sept personnes soupçonnées d’avoir participé à l’attaque, ainsi que l’organisateur présumé de celle-ci.
Une femme rom de 30 ans a été poignardée le 1er juillet, après la tombée de la nuit, près d’un passage à niveau, dans la localité de Berehove. Selon les informations diffusées par la presse, elle a réussi à aller jusqu’à une maison voisine pour demander de l’aide. Le propriétaire de cette maison aurait appelé les services d’urgence, mais la jeune femme aurait succombé à ses blessures. Tôt dans la matinée du 2 juillet, la police locale de Transcarpatie a annoncé qu’elle avait ouvert une enquête pour homicide volontaire, ajoutant qu’elle n’avait pas encore établi l’identité des auteurs et qu’elle ne savait pas s’il s’agissait d’un crime motivé par la haine.
Amnistie internationale appelle la police et le parquet de Lviv et de Berehove à enquêter rapidement et efficacement sur ces crimes et à prendre des mesures pour que de tels actes ne se répètent pas à l’avenir. Il est important, dans le climat de xénophobie et de violence d’extrême droite croissantes que connaît actuellement l’Ukraine, que des enquêtes effectives et impartiales soient réalisées dans les meilleurs délais sur de telles affaires, et que leurs conclusions fassent l’objet d’une totale transparence. Cela doit permettre non seulement de rendre justice aux victimes, mais également d’envoyer un message clair à la société ukrainienne, indiquant que de tels actes sont totalement inacceptables et qu’ils ne sauraient être tolérés.
On assiste depuis 2017 en Ukraine à une multiplication des violences et des crimes motivés par la haine perpétrés par des personnes appartenant à des organisations d’extrême droite. Les membres de groupes tels que C14, Traditsii i Poryadok, Natsionalni Droujyny ou Karpatska Sitch, ont violemment fait irruption dans des manifestations publiques, des débats et divers autres rassemblements organisés par ceux et celles qu’ils qualifient d’ennemis de l’Ukraine (militant-e-s des droits des femmes, personnes LGBTI, journalistes, Roms, etc.). Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, et le début du conflit avec les séparatistes soutenus par les Russes, dans l’est du pays, la société ukrainienne s’est fortement polarisée. Les groupes d’extrême droite profitent de la situation tendue qui règne pour prôner et commettre des actes de haine et fondés sur la discrimination.
La plupart des crimes commis par des groupes d’extrême droite sont restés sans réponse de la part des autorités ukrainiennes, qui ne veulent ou ne peuvent manifestement pas enquêter de manière efficace, même lorsque lesdits groupes d’extrême droite revendiquent publiquement leurs actes. De toutes les affaires suivies par Amnistie internationale, seule celle de l’attaque menée en août 2017 contre une manifestation LGBTI organisée à Zaporijjia a donné lieu à une enquête ayant débouché sur des poursuites judiciaires. Les enquêtes entamées sur plus d’une trentaine d’autres agressions ne sont pas allées au-delà du stade initial de l’enregistrement de la plainte. Qui plus est, lorsqu’une enquête est ouverte par les autorités sur un crime motivé par la haine, il est rare que celles-ci s’intéressent au caractère discriminatoire des motivations des auteurs présumés. Les victimes sont rarement informées de l’avancement des enquêtes, ce qui leur donne l’impression que rien ne se passe. Aucun responsable des pouvoirs publics ukrainien n’a condamné publiquement la montée des violences perpétrées par les groupes d’extrême droite.
Les auteurs présumés de l’attaque du 23 juin appartiennent à l’organisation « Tvereza i zla molod » (Jeunesse sobre et en colère). Selon une représentante des services chargés des droits humains au sein de la police de Lviv, Oxana Sanagourskaïa, qui répondait aux questions du site d’actualités en ligne Zaborona.com, ce groupe est apparu récemment. Il a mis en ligne sur ses chaînes Telegram et YouTube des slogans et des photos néo-nazis, ainsi que des vidéos dans lesquelles on voit certains de ses membres harceler et menacer des Roms. Ces vidéos ont été effacées après l’attaque du 23 juin contre le campement rom.
Tous les individus arrêtés sont mineurs, à l’exception d’un jeune homme de 20 ans, présenté par la police de Lviv comme l’organisateur présumé. Le parquet de Lviv a également annoncé que 14 personnes au total étaient recherchées dans le cadre de l’enquête sur cette affaire et que six d’entre elles étaient encore en liberté. Une information a été ouverte contre toutes ces personnes pour homicide volontaire avec préméditation et commis en bande organisée, houliganisme, crime motivé par la haine et implication de mineurs dans des activités criminelles (articles 115 alinéas 2 ; 161 ; 296 et 304 du Code pénal ukrainien). À l’heure où nous rédigeons ces lignes, l’enquête était toujours en cours. La dernière fois qu’il s’est exprimé concernant cette affaire, le chef des services de sécurité ukrainien, Vassyl Hrytsak, a accusé la Russie ou un groupe opérant depuis la Russie de complicité dans cette attaque, sans toutefois préciser ni étayer ses allégations. Ce n’est pas la première que Vassyl Hrytsak ou d’autres hauts responsables ukrainiens accusent la Russie d’être responsable ou complice de crimes commis en Ukraine ou de diffuser de fausses informations concernant des événements survenus dans le pays.
Amnistie internationale se félicite de l’arrestation des auteurs présumés du pogrom meurtrier dont ont été victimes des Roms. Celle-ci constitue une première étape. Elle appelle maintenant les pouvoirs publics à faire preuve d’une réelle volonté de faire avancer l’enquête sur cette affaire, en veillant à ce que celle-ci soit la plus transparente possible et à ce qu’elle examine intégralement les motivations discriminatoires de ceux qui se sont livrés à de tels actes (ce qui n’a certainement pas été le cas lors de précédentes enquêtes). Si elles veulent empêcher que des agressions de ce genre se reproduisent, les autorités ukrainiennes ont le devoir de les condamner publiquement et sans ambiguïté. Amnistie internationale met en garde contre le risque extrêmement grave, pour le présent et pour l’avenir de l’Ukraine, qu’il y aurait à laisser les crimes motivés par la haine sans réponse, dans un pays actuellement traumatisé par la guerre. Elle prie instamment les autorités de veiller à ce qu’une enquête approfondie, indépendante et efficace soit menée sans retard sur cette affaire et sur toutes les violences précédemment signalées.
CONTEXTE
Le 21 avril, des membres du groupe d’extrême droite C14 ont attaqué un camp de Roms situé dans le raïon (arrondissement) de Holossiyvsky, à Kiev, et ont brûlé les tentes des habitants. Armés de couteaux et de marteaux, ils ont poursuivi ces derniers, n’hésitant pas à s’en prendre aux femmes et aux enfants. C14 s’est vanté de cette attaque sur sa page Facebook et l’un de ses chefs a averti que d’autres pogroms suivraient.
Le 9 mai, une trentaine d’hommes masqués ont incendié un campement rom situé à Roudne, près de Lviv, mettant en fuite ses habitants. On pouvait lire le lendemain sur la page Facebook de Lviv Hotline, un service chargé de recevoir les plaintes mis en place par l’administration locale, que les autorités avaient nettoyé l’emplacement occupé par le camp rom. Ce nettoyage aurait été effectué après une rencontre entre la police et les habitants roms, qui auraient fait part de leur décision de partir. Pour de nombreux militants, étant donné la façon dont se sont enchaînés les événements, il est particulièrement important d’enquêter sur une possible implication de représentants des pouvoirs publics dans le pogrom perpétré contre le campement rom.
Le 14 juin, quatre organisations (Amnistie internationale, Human Rights Watch, Freedom House et Front Line Defenders) ont fait parvenir au ministre de l’Intérieur ukrainien et au Procureur général d’Ukraine une lettre commune, dans laquelle elles attiraient leur attention sur ces incidents, ainsi que sur d’autres violences commises par des groupes d’extrême droite. Elles priaient instamment les autorités de condamner publiquement les attaques et les menaces des groupes qui prônent la haine et la violence, et d’y répondre de façon concrète. Aucun responsable gouvernemental n’a pour l’instant réagi publiquement aux violences ni n’a pris de mesure pour lutter contre le problème.