Les atteintes à la liberté d'expression doivent cesser
Le gouvernement tunisien doit cesser d’attaquer la liberté d'expression et doit modifier les lois qui menacent le droit des citoyens de critiquer l'État, a déclaré Amnistie internationale alors que les journalistes organisent une manifestation le 2 février dans le cadre d’une « journée de colère ».
Le Syndicat national des journalistes tunisiens appelle à manifester pour dénoncer le fait que les autorités tunisiennes exercent des pressions sur les journalistes qui couvrent les opérations des forces de sécurité ou critiquent les institutions de l'État.
« Le droit à la liberté d'expression est essentiel dans une société robuste et dynamique. Les citoyens en Tunisie doivent pouvoir critiquer ouvertement les institutions et les représentants de l'État, y compris les forces de sécurité, sans craindre d'être poursuivis en justice », a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnistie internationale.
La manifestation de ce matin est une réponse à la déclaration du ministre de l'Intérieur, Lotfi Brahem, lors d'une audience parlementaire le 29 janvier, dans laquelle il a admis que des journalistes étaient surveillés, révélant que la police avait convoqué l'un d'entre eux parce que le ministère de l'Intérieur avait « intercepté une conversation téléphonique » entre ce journaliste et un manifestant.
Cette déclaration a fait suite à de vives critiques visant les forces de sécurité tunisiennes lors de manifestations qui ont éclaté début janvier pour protester contre l'augmentation du coût de la vie et les hausses d'impôts. Des journalistes couvrant ces manifestations ont signalé des actes de harcèlement et d'intimidation de la part des autorités.
« Ces méthodes rappellent les pratiques du passé, qui n'ont pas leur place dans une société tunisienne moderne. Le fait que la police surveille et harcèle des journalistes en raison de leur travail constitue une violation flagrante de la liberté de la presse. Le gouvernement tunisien devrait veiller à ce que tous les journalistes dans le pays soient en mesure de faire leur travail sans subir d'actes d'intimidation ou de harcèlement, et sans craindre d'être arrêtés », a déclaré Heba Morayef.
Lors de l'audience du 29 janvier devant le Parlement, Lotfi Brahem a également déclaré que son ministère poursuivrait tous les blogueurs qui « remettent en cause l'intégrité des institutions chargées de la sécurité et sapent le moral des forces de sécurité ».
Le 15 janvier, la police a arrêté Kais Bouazizi dans la ville de Sidi Bouzid pour une publication sur Facebook dans laquelle il appelait à manifester contre les nouvelles mesures économiques et les mesures d'austérité prises par le gouvernement. Un procureur a inculpé Kais Bouazizi au titre de l'article 121 du Code pénal, qui sanctionne le fait de diffuser des informations susceptibles de « nuire à l'ordre public ou à la morale publique ». Le tribunal l'a acquitté et libéré après une semaine passée en détention provisoire.
La déclaration du ministre de l'Intérieur a été largement condamnée et critiquée par les journalistes et les défenseurs de la liberté d’expression. Les syndicats de police, qui rejettent toute critique visant la conduite de la police et les politiques du ministère de l'Intérieur, sont alors montés au créneau, déclenchant une vague de menaces et d'incitations à la violence contre les journalistes sur les réseaux sociaux.
« Au lieu de s'efforcer de restreindre la liberté d'expression, les autorités tunisiennes devraient s'attacher à modifier et abroger les lois et pratiques qui menacent ce droit, et harmoniser enfin le Code pénal tunisien avec les normes internationales et la Constitution tunisienne de 2014 », a déclaré Heba Morayef.
Complément d’information
Depuis 2011, des blogueurs, des artistes et des journalistes sont poursuivis pour avoir critiqué de manière pacifique les forces de sécurité tunisiennes.
En janvier 2018, le blogueur et député Yassine Ayari a comparu devant un tribunal militaire pour « atteinte au moral de l'armée ». Il avait publié sur Facebook un post dans lequel il se moquait de la nomination d'un haut commandant militaire.
En juillet, le chanteur Ahmed Ben Ahmed a été agressé par un groupe de policiers qui étaient chargés de le protéger. Ils avaient été choqués par la musique d'Ahmed Ben Ahmed, affirmant que ses chansons insultaient la police. Un syndicat de policiers a par la suite déposé une plainte contre lui devant le tribunal de première instance de la ville de Mahdia pour « outrage à agent public » au titre du Code pénal.
Les syndicats des forces de l'ordre en Tunisie demandent l'adoption d'un projet de loi qui englobe des dispositions qui pourraient criminaliser le fait de critiquer les forces de sécurité, y compris en cas d’atteintes aux droits humains. L'article 12 de ce projet de loi érige en infraction le « dénigrement » de la police et des forces de l’ordre dans le but de « nuire à l'ordre public », infraction passible d'une peine allant jusqu'à deux ans de prison et d'une amende maximale de 10 000 dinars tunisiens (3 370 euros environ).