Sri Lanka. Les autorités doivent publier les listes des victimes de disparitions forcées
À l'occasion du neuvième anniversaire de la fin de la guerre, Amnistie internationale demande au gouvernement du Sri Lanka de fournir des informations aux familles des « disparus », en publiant la liste détaillée des personnes qui se sont rendues aux forces armées lors de la phase finale du conflit, assorties des informations qu'elles détiennent à leur sujet. Le président du Sri Lanka, Maithripala Sirisena, prenant acte des requêtes présentées par les familles en juin 2017, a promis qu'il ordonnerait au Conseil de sécurité nationale de rendre ces listes publiques.
Selon des membres des familles, plus de 100 cadres des Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (LTTE) ont « disparu », après la reddition de ce groupe armé d'opposition à l'armée sri-lankaise, près du pont de Vadduvaikkal, à Mullaitivu, à la fin de la guerre en mai 2009. D’après certaines informations, l'un des groupes qui s’est rendu était mené par le père Francis Joseph, prêtre catholique dont on est sans nouvelles depuis. Selon des proches qui ont assisté aux redditions, ces personnes ont été transportées depuis le site de l'armée à bord d'un convoi de bus. Depuis, on ignore où elles se trouvent et ce qui leur est arrivé. Amnistie internationale a recueilli des informations sur ce cas présumé de disparitions forcées massives dans un rapport publié en avril 2017 sous le titre “Only Justice Can Heal Our Wounds: Listening to the Demands of Families of the Disappeared in Sri Lanka”.
En août 2013 déjà, 13 de ces familles ont introduit des requêtes en habeas corpus (procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté) auprès des tribunaux du Sri Lanka, en vue d'obtenir des informations sur le sort réservé à leurs proches. D’après leurs témoignages, la dernière fois qu’ils les ont vus, ceux-ci étaient détenus aux mains de la 58e division de l'armée sri-lankaise. En février 2016, l'officier commandant cette division, le général Kavinda Chanakya Gunawardena a reçu l'ordre de remettre la liste au tribunal de première instance de Mullaitivu avant le 19 avril 2016. Cette liste n'ayant pas été présentée, et ce en deux occasions, le tribunal a ordonné fin septembre 2016 à la police judiciaire (CID) de mener une enquête. Il avait auparavant statué que les documents finalement présentés par l'armée ne constituaient pas la liste complète des personnes ayant été détenues par l'armée, mais seulement la liste de celles qui avaient terminé leur « rééducation ».
Le président sri-lankais, commandant en chef des forces armées, dirige également le Conseil de sécurité nationale. Il a promis qu'il ordonnerait au Conseil de publier les listes des personnes qui se sont rendues aux forces armées dans la phase finale de la guerre. Onze mois plus tard, cette promesse n’est pas devenue réalité.
Cette pratique présumée de disparitions massives a été évoquée dans plusieurs rapports, au niveau national et international, notamment dans le rapport de la Commission enseignements et réconciliation, nommée par le gouvernement (« Observations à la Commission concernant les disparitions présumées après une reddition/arrestation »), ainsi que dans le rapport d'enquête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme sur le Sri Lanka (« Disparitions forcées à la fin du conflit armé »).
Les nombreuses disparitions de personnes qui se sont rendues à la fin du conflit dénotent une institutionnalisation de la pratique des disparitions forcées au Sri Lanka. Le fait que l'État cache le sort qui a été réservé aux personnes disparues, ainsi que toute information à leur sujet et sur le lieu où elles se trouvent, implique une responsabilité pénale.
Le Sri Lanka compte parmi les pays qui présentent le plus grand nombre de disparitions forcées au monde : entre 60 000 et 100 000 personnes auraient disparu depuis la fin des années 1980. L'obligation de rendre des comptes n'ayant pas été mise en œuvre dans ces affaires, Amnistie internationale note que les exemples de justice entravée sont légion au Sri Lanka.
Cependant, le pays a progressé sur cette question : la disparition force est érigée en infraction depuis mars 2018, ce qui permet une entrée en vigueur partielle de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le fonctionnement du Bureau des personnes disparues.
Le gouvernement du Sri Lanka se doit d’appuyer l'esprit de ces mesures, en soutenant activement les démarches des familles de disparus pour connaître la vérité et obtenir des réponses, près de 10 ans après la fin du conflit armé. Enfin, il doit reconnaître rapidement la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir et examiner des communications présentées par des victimes ou pour le compte de victimes par leurs familles.