Le Soudan va-t-il mettre fin à la torture ?
Par Ahmed Elzobier, chercheur sur le Soudan à Amnistie internationale
Abdala Abdel Algyoum Abddalias, 54 ans, père de quatre enfants, et membre fondateur de l'Initiative du salut El Gedaref, a dit à Amnistie internationale l'an dernier qu'il avait été maltraité par des agents du Service national de la sûreté et du renseignement soudanais (NISS).
« On m'a conduit dans une cour et forcé à me tenir face contre le mur jusqu'au coucher du soleil. À ce moment-là, sept agents du NISS ont commencé à me frapper avec des bâtons et des fouets. Ils m'ont ordonné d'enlever mes vêtements, mais comme je n'ai pas voulu le faire, ils ont arraché ma chemise et mon pantalon et menacé de me violer avec un bâton. Ils m'ont frappé jusqu'au moment de la prière du soir. Là, ils sont allés prier et ont promis de revenir pour continuer de me torturer », a-t-il expliqué.
Autre victime : Mohamed Salah Mohammed Abderhman. Il était en cinquième année à l'Université de Khartoum quand, en juin 2012, des agents du NISS lourdement armés l'ont arrêté en même temps que d'autres personnes dans un restaurant à Khartoum, sans mandat d'arrêt et en dehors de toute procédure régulière.
« Ils nous ont emmenés dans les locaux des services politiques du NISS, où ils nous ont frappés et soumis à d'autres mauvais traitements. Ils ont essayé de nous amener à penser que notre dernière heure était arrivée. Les humiliations et les vulgarités ont continué [pendant plusieurs jours] puis un haut responsable a commencé à nous menacer, a-t-il raconté dans un témoignage vidéo. Son « crime » est d'avoir participé à des manifestations pacifiques appelant à un changement au gouvernement. Il a été maintenu en détention pendant huit semaines.
Mohammed et Abdala font partie des milliers de personnes, parmi lesquelles se trouvent des journalistes soudanais et étrangers, qui ont été arrêtées de façon arbitraire, maltraitées et torturées au Soudan. Amnistie internationale a documenté et signalé un grand nombre de cas très préoccupants d'arrestation arbitraire et de torture de journalistes, d'avocats, de défenseurs des droits humains, de médecins, de militants politiques et d'étudiants. En février 2018, un événement prometteur a eu lieu quand le gouvernement a relâché 79 prisonniers politiques ; 61 autres de ces prisonniers étaient cependant maintenus en détention.
Aux termes de la Loi de 2010 relative à la sécurité nationale, le NISS jouit de pouvoirs très étendus en matière d’arrestation et de détention. Cette loi est systématiquement utilisée pour intimider, réduire au silence et sanctionner des opposants politiques. Le NISS a le pouvoir de maintenir en détention des suspects jusqu'à quatre mois et demi sans contrôle judiciaire. Cette même loi protège également les agents du NISS contre toute poursuite pour des infractions qu'ils pourraient commettre dans le cadre de leur travail. Ces dispositions ont conduit à une culture généralisée de l'impunité.
En 2016 et en 2017, Amnistie internationale a rassemblé les témoignages de victimes et de proches de victimes faisant état d'un recours systématique et généralisé à la torture au Soudan. La plupart des victimes sont enlevées à leur domicile, sur leur lieu de travail ou dans la rue.
Des agents en civil des forces de sécurité leur passent les menottes, leur bandent les yeux et les font monter de force dans leur véhicule. Les victimes sont frappées à coups de bâton, de barre de fer, de crosse d'arme à feu ou à coups de pied, et insultées. Plusieurs victimes ont dit à Amnistie internationale qu'elles avaient été violemment frappées pendant plusieurs heures par des agents du NISS. Certaines d'entre elles sont soumises à des décharges électriques, fouettées, détenues à l'isolement ou encore contraintes de se tenir face contre un mur, et il leur est interdit de parler entre elles. Elles perdent parfois connaissance pendant les séances de torture. Certaines ont été violées.
Des personnes vivant dans des zones en proie au conflit, au Darfour, dans le Kordofan du Sud et dans les États du Nil Bleu, sont soumises à des traitements pires encore et à d'ignobles insultes racistes.
« Avant de vous demander votre nom, ils vous demandent d'où vous êtes et à quelle tribu vous appartenez. S'ils n'aiment pas votre tribu, ils vous torturent à cause de votre tribu et ensuite à cause de votre affiliation politique ou organisation, ou parce que vous protestez », a déclaré Mohamed Salah.
La détention illégale peut durer plusieurs mois, voire plus d'un an, sans accès à un avocat, et avec de très rares visites des proches et un accès très limité à des soins médicaux. Certaines personnes sont relâchées après avoir dû signer un document par lequel elles s'engagent à ne pas s'opposer au gouvernement.
Le Soudan a signé la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 1986, mais 30 ans après elle ne l'a toujours pas ratifiée. Lors de l'examen périodique par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies de son bilan en matière de droits humains, le gouvernement soudanais a accepté les recommandations l'engageant à ratifier la Convention.
En 2017, le gouvernement a déclaré qu'il prenait des mesures en vue de la ratifier. Amnistie internationale espère que cela se fera prochainement. Il est grand temps que le Soudan tourne une sombre page de son histoire en ratifiant la Convention contre la torture, en supprimant les lois favorisant le recours à la torture, et en mettant fin à cette pratique.
Cet article a été publié initialement dans The EastAfrican le 31 mars 2018