Rouées de coups et poursuivies pour s’être opposées à la haine
Par Catrinel Motoc, chargée de campagne sur l’Europe
Il y a un peu plus d’un an, Elzbieta et un petit groupe de femmes se sont rassemblées dans le centre de Varsovie avec une banderole « Halte au fascisme ». C’était le 11 novembre 2017, Fête de l’indépendance de la Pologne. Des dizaines de milliers de personnes défilaient à travers la ville, dont beaucoup brandissaient des fusées éclairantes et tenaient fièrement des banderoles aux slogans racistes et fascistes. Cette marche, décrite par certains journalistes comme « le plus grand rassemblement de militants d’extrême droite en Europe ces dernières années », paraissait de préférence à éviter, mais Elzbieta voyait les choses autrement.
Elle et 13 autres femmes se sont jointes au défilé et, une fois au milieu, elles ont déployé leur banderole de sept mètres de long. Une autre membre du groupe a filmé l’action.
Sa vidéo montre ce qui s’est passé ensuite : une agression violente commise en plein jour par plus d’une dizaine de participants de la marche.
Une autre femme, Agnieszka, décrit la scène : « Au début, les gens autour de nous ont été surpris par la banderole. Puis ils se sont mis à nous donner des coups de pied, à nous insulter, et pour finir ils nous ont écartées du parcours. Nous ne voulions pas bloquer le défilé, nous voulions simplement leur montrer notre message et partir. »
Ces femmes ont subi des blessures, notamment des ecchymoses et des coupures. L’une d’elles a été jetée à terre, a perdu connaissance et a dû être examinée par des secouristes. Aucun policier n’était présent à proximité pour les protéger.
Plus d’un an après, elles attendent toujours que la justice soit rendue.
En septembre, leur tentative en vue d’obtenir une voie de recours pour la violence et les insultes qu’elles ont subies a été bloquée quand le ministère public a abandonné l’enquête. La procureure a affirmé que leurs agresseurs n’avaient pas eu l’intention de les blesser grièvement et ne faisaient qu’« exprimer leur mécontentement » à l’égard du fait qu’elles avaient participé au défilé. Bien qu’elle ait reconnu que l’agression et les insultes constituaient des infractions pénales, elle a conclu qu’il n’y avait pas d’intérêt public à poursuivre la procédure et a recommandé à ces femmes d’engager des poursuites à titre individuel.
Comme si cela ne suffisait pas, quelques mois après l’attaque, ces femmes ont appris que la police avait ouvert une enquête contre 13 d’entre elles pour « entrave à un rassemblement légal ». Neuf ont ensuite été inculpées et reconnues coupables, et doivent maintenant payer de lourdes amendes et 500 zlotys (110 euros) de frais de justice.
Le cas de ces 14 femmes n’est malheureusement pas unique. Depuis plus de deux ans, des militants et militantes pacifiques subissent les conséquences d’une législation restrictive associée à des pratiques brutales de maintien de l’ordre, une surveillance accrue et des manœuvres de harcèlement. Souvent, les autorités ne protègent pas les manifestants pacifiques face au harcèlement et à la violence des groupes nationalistes ou d’extrême droite, et le simple fait de protester pacifiquement peut entraîner une garde à vue et une procédure judiciaire de longue durée.
En plus de limiter le droit des citoyens de manifester librement et pacifiquement pour exprimer leurs opinions, le gouvernement a également pris des mesures pour réduire l’indépendance des institutions judiciaires en Pologne. Ainsi, depuis 2016, le Parlement a adopté des dispositions régressives qui permettent au gouvernement d’exercer une pression sur les tribunaux et les juges.
Pourtant, malgré l’intensification de la répression des manifestations pacifiques, des personnes comme Elzbieta et son groupe de militantes continuent de descendre dans la rue pour protester courageusement contre les atteintes à leurs droits et les menaces pesant sur l’état de droit.
Ces femmes demeurent résolues à lutter pour une Pologne juste et équitable, où les gens qui expriment leurs opinions en manifestant pacifiquement sont protégés des attaques, au lieu d’être punis.
Lors d’un entretien qui s’est déroulé le mois dernier à Varsovie, leur avocat m’a fait part de son incrédulité devant le fait que non seulement les nationalistes et les fascistes défilaient encore dans une ville autant détruite par ces mouvements pendant la Seconde Guerre mondiale, mais qu’en outre des personnes s’opposant à eux étaient détenues et traînées devant les tribunaux.
« Les lourdes sanctions prononcées contre nous visaient sans aucun doute à adresser un avertissement aux autres qui veulent contester le recul des droits humains, me dit Kryśka, l’une des 14 militantes. Mais cela ne va pas nous décourager ni nous intimider. Nous ne nous battons pas seulement pour obtenir justice pour nous-mêmes ; nous essayons aussi de dénoncer la façon dont les manifestants sont pris pour cible. »
Cette semaine, Amnistie a lancé une campagne de soutien à ces 14 femmes sur https://t.co/X5wTpDO8KJ.