Il faut abandonner toutes les charges à caractère politique retenues contre la sénatrice Leila de Lima et la libérer immédiatement et sans condition
Amnistie internationale demeure très préoccupée par le maintien en détention de la sénatrice Leila de Lima, prisonnière d'opinion détenue pour des accusations à caractère politique basées sur des déclarations sans fondement de personnes condamnées pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Elle considère que les manœuvres des autorités ciblant la sénatrice Leila de Lima témoignent d'une volonté manifeste de réduire au silence l’opposante la plus virulente à la « guerre contre la drogue » et de l'empêcher de participer à la vie publique. À l'occasion du 59e anniversaire de la sénatrice, elle demande aux autorités philippines d'abandonner toutes les charges retenues contre elle et de la libérer immédiatement et sans condition, afin de lui permettre de poursuivre son travail en faveur des droits fondamentaux.
Leila de Lima est détenue de manière arbitraire depuis plus de 18 mois au siège de la police nationale philippine, à Camp Crame, dans la ville de Quezon, pour des charges excluant toute possibilité de libération sous caution en relation avec la Loi de 2002 relative aux drogues dangereuses. Le ministère public a affirmé que Leila de Lima entretenait des liens avec des réseaux de trafic de drogue et permettait la prolifération des stupéfiants dans la prison nationale de Bilibid, en se fondant uniquement sur des déclarations douteuses de personnes condamnées pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, qui ont pu bénéficier d’avantages en prison en échange de leur témoignage. Selon Amnistie internationale, le dossier ne contient pas d'éléments probants permettant d'étayer de telles allégations. Le ministère public a récemment modifié les accusations de trafic illicite de stupéfiants en « collusion » en vue de vendre des stupéfiants, dans le but semble-t-il de retarder la procédure judiciaire en raison de l'absence de preuves venant étayer les accusations initiales. La lecture de l’acte d’accusation a été reportée plusieurs fois, et la sénatrice Leila de Lima a finalement été convoquée au tribunal pour répondre des accusations portées à son encontre le 26 juillet 2018. Elle n'a pas indiqué si elle plaidait coupable ou non, affirmant que ces accusations étaient « forgées de toutes pièces » et fondées sur des « mensonges orchestrés ».
Amnistie internationale rappelle que la sénatrice Leila de Lima est victime d'une persécution politique et que les charges retenues contre elle découlent manifestement de ses critiques de la « guerre contre la drogue » que mène le président Rodrigo Duterte, qui se traduit par l'exécution extrajudiciaire de milliers de trafiquants de drogue présumés et d'autres violations des droits humains. La sénatrice ayant pris les rênes d’une enquête sénatoriale sur les homicides illégaux commis dans le cadre de la campagne de lutte contre la drogue, le président et des représentants de l'État ont déclenché une campagne de diffamation en lançant des accusations personnelles et pénales la ciblant bien souvent en tant que femme.
Amnistie internationale déplore le caractère inique de sa détention, ainsi que les restrictions qui lui sont imposées. Sa correspondance privée est inspectée de manière aléatoire et parfois confisquée, et les visites sont limitées de manière arbitraire. En 2017, la police nationale philippine a rejeté sans justification la demande de plusieurs groupes de dignitaires étrangers, dont des parlementaires européens et de l'ANASE, qui souhaitaient lui rendre visite en détention.
La persécution politique de la sénatrice Leila de Lima s’inscrit dans un contexte des plus dangereux, où les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile sont en butte à des mesures d’intimidation et d’obstruction lorsqu’ils enquêtent sur les atteintes aux droits humains et les dénoncent. Le président Rodrigo Duterte est allé jusqu’à menacer de « décapiter » et de « tuer » les défenseurs des droits humains qui critiquent son gouvernement. Certains, notamment Jose Luis « Chito » Gascon, président actuel de la Commission des droits humains, et Agnès Callamard, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ont été la cible de violentes attaques verbales et de menaces. D'autres défenseurs et militants, dont le rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, ont été inscrits sur une liste de « terroristes » dressée par le gouvernement.
À la lumière de ces éléments, Amnistie internationale demande aux autorités philippines d'abandonner toutes les charges pesant sur la sénatrice Leila de Lima et de garantir sa libération immédiate et sans condition, car il s’agit d’une prisonnière d’opinion détenue seulement pour avoir exercé sans violence ses droits fondamentaux. Dans l'attente de sa libération, elles doivent veiller à ce qu'elle ne soit pas soumise à des restrictions arbitraires, notamment en étant privée de visites.
Elles doivent aussi mener rapidement une enquête indépendante et impartiale sur les menaces, les actes de harcèlement et d'intimidation visant les opposants politiques, les militants, les médias indépendants, les défenseurs des droits humains et ceux qui critiquent la « guerre contre la drogue » que mène le gouvernement, et veiller à ce qu'ils puissent faire leur travail sans crainte de représailles. Enfin, elles doivent renoncer aux politiques punitives pour résoudre les problèmes liés à la drogue et adopter des politiques fondées sur la santé publique et les droits humains. En particulier, elles doivent mettre un terme au recours illégal à la force par la police et mener des investigations rapides, impartiales et efficaces sur les homicides liés au trafic de drogue, notamment lorsque des responsables de l’application des lois sont impliqués.
COMPLÉMENT D’INFORMATION
La sénatrice Leila de Lima a été arrêtée le 24 février 2017 par la police nationale philippine après avoir été inculpée d'infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Depuis, elle est détenue au siège de la police à Camp Crame, dans la ville de Quezon, dans la métropole de Manille. Elle critique haut et fort le gouvernement de Rodrigo Duterte et les violations des droits humains commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue » qu'il mène depuis son arrivée au pouvoir en juin 2016.
Accusée au départ de trois chefs d'inculpation au titre de la Loi de 2002 relative aux drogues dangereuses pour trafic de stupéfiants, infraction excluant toute possibilité de libération sous caution, Leila de Lima a récemment été accusée de « collusion » en vue de monter un trafic de stupéfiants, infraction qui exclut également toute libération sous caution. Si elle est déclarée coupable, elle risque la réclusion à perpétuité. En se fondant sur les déclarations de trafiquants condamnés, le ministère public a affirmé que la sénatrice Leila de Lima entretenait des liens avec les réseaux de trafiquants et permettait la prolifération des drogues dans la prison nationale de Bilibid. Elle a toujours nié ces accusations, les qualifiant de manœuvres du président et de ses alliés politiques visant à la discréditer et à la faire taire.
Depuis sa cellule à Camp Crame, elle rédige chaque jour à la main des dépêches, dans lesquelles elle commente et analyse les problèmes sociaux et politiques aux Philippines et attire l'attention sur les atteintes aux droits humains.
Le 26 juillet, 17 mois après son arrestation, elle a été convoquée devant un tribunal pour la première fois. Elle a refusé de plaider coupable ou non coupable et déclaré : « Je ne reconnais pas la légitimité ni la validité des accusations portées à mon encontre. » Le tribunal a alors décidé de plaider non coupable en son nom, conformément aux règles de procédure. La lecture de son acte d’accusation s'est poursuivie après que le juge du tribunal régional de Muntinlupa a rejeté ses requêtes concernant le réexamen de son dossier et l'abandon des poursuites intentées contre elle.