Le gouvernement doit annuler les modifications de la loi relative à la cybercriminalité en vue d’un examen de l’ONU
Les propositions de modification d’une loi nationale relative à la cybercriminalité porteraient un coup terrible à la liberté d’expression en Jordanie, a prévenu Amnistie internationale à l’approche de l’examen de la situation des droits humains dans ce pays par le Conseil des droits de l’homme, qui aura lieu à Genève jeudi 8 novembre.
Parmi les modifications proposées figure la criminalisation du discours haineux, encadrée par une définition trop large de cette infraction et prévoyant des peines plus sévères, y compris de longues peines d’emprisonnement pour des infractions commises sur Internet. Le vote pour l’adoption de ces modifications peut être programmé à tout moment.
« Les propositions de modification de la loi jordanienne relative à la cybercriminalité, qui comporte déjà des failles, sont extrêmement inquiétantes. Au lieu de prendre des mesures pour protéger les droits des personnes sur Internet, les autorités semblent reculer en introduisant des modifications qui limiteraient davantage la liberté d’expression, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme régional Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnistie internationale.
« Les autorités jordaniennes doivent s’efforcer d’éliminer tous les éléments répressifs de la loi actuelle relative à la cybercriminalité afin de la rendre conforme au droit international, et non les étendre pour restreindre encore plus les activités en ligne des citoyens. »
Les modifications de la loi de 2015 relative à la cybercriminalité ont été proposées par le gouvernement en 2017. En septembre 2018, le Parlement a soumis ces modifications à sa commission juridique en vue d’un examen avant la programmation d’un vote. Le vote pourrait avoir lieu au Parlement à tout moment au cours des prochaines semaines et le gouvernement peut aussi décider de retirer les propositions de modification.
L’une des modifications proposées est la criminalisation du discours haineux, qui deviendrait une infraction passible de trois ans de prison et de 10 000 dinars jordaniens (environ 12 300 euros) d’amende. Cependant, le projet de loi définit le discours haineux de manière vague, comme « toute déclaration ou acte qui inciterait à la discorde, à des dissensions religieuses, sectaires, raciales ou ethniques ou à une discrimination entre des personnes ou des groupes ».
Une définition aussi large pourrait aisément couvrir des actions normalement protégées par le droit à la liberté d’expression, telles que le fait de publier des commentaires qui pourraient être considérés comme très insultants mais ne constituent pas un discours haineux.
Le projet de loi propose en outre de criminaliser la diffusion d’articles comportant des propos diffamatoires. Cela signifierait que des citoyens pourraient être emprisonnés pour avoir simplement partagé sur les réseaux sociaux un article jugé diffamatoire par certaines personnes.
La semaine dernière, le roi Abdallah II a publié un article dans le Jordan Times, où il a insisté sur la nécessité de nouvelles lois visant à « lutter contre les rumeurs et la désinformation, et combattre le discours haineux », semblant manifester son soutien aux modifications proposées. Il a également affirmé : « Toute personne qui insulte un Jordanien – qu’il soit membre de ma grande famille jordanienne ou de ma famille immédiate – m’insulte personnellement. »
L’article 195 du Code pénal de la Jordanie prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour l’« outrage au roi ».
« Les autorités jordaniennes ont la terrible habitude de faire taire les critiques sur Internet et ailleurs. Il faut qu’elles abrogent toutes les lois qui criminalisent l’exercice du droit à la liberté d'expression », a déclaré Heba Morayef.
Dans son rapport sur la Jordanie en vue de l’Examen périodique universel du pays, qui aura lieu le 8 novembre, le Conseil des droits de l’homme a souligné que la liberté d’expression y avait subi une grave régression ces derniers mois.
Complément d’information
Les normes internationales relatives aux droits humains accordent une grande importance à « l’expression sans entraves dans le cadre des débats publics concernant des personnalités du domaine public et politique ». Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a énoncé clairement que le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale. Amnistie internationale s’oppose aux lois qui interdisent les insultes ou le manque de respect à l’égard des chefs d’État ou des personnalités publiques, ainsi qu’à celles qui rendent passible de sanctions pénales la diffamation de personnalités publiques ou de particuliers, car l’organisation estime que la diffamation doit être traitée uniquement au civil.