Une école de médecine de Tokyo truquait les résultats de ses examens d’entrée pour favoriser les hommes. Mais le problème du sexisme au Japon ne s’arrête pas là
Par Hiroka Shoji, spécialiste de l’Asie de l’Est à Amnistie internationale.
« J’ai encore battu ma femme, car elle a donné naissance à une fille. » Ce sont les mots écrits par mon grand-père dans son journal le jour où ma mère est née, en 1958. Il était en colère, parce qu’il avait désormais deux filles, mais toujours aucun fils pour assurer sa descendance. Cette attitude n’était pas rare parmi les hommes japonais de sa génération.
Mon grand-père battait régulièrement ma grand-mère, ma tante et ma mère, mais il n’a jamais levé la main sur mon oncle, né quatre ans après ma mère. En tant que futur héritier de la famille, ce dernier était l’enfant chéri.
Ma mère est née il y a 60 ans. Depuis, le Japon a fait d’énormes progrès économiques, mais l’attitude des Japonais envers les femmes s’est peu améliorée.
Je suis née et j’ai grandi dans la région de Tokyo. Les récentes révélations sur la manipulation des résultats des examens d’entrée de l’école de médecine la plus réputée du Japon ont fait la une des journaux. Mais ces manœuvres visant à limiter le nombre d’étudiantes, qui duraient depuis plus de dix ans, ne m’ont pas surprise. S’il est rare que des preuves aussi évidentes de la discrimination institutionnelle contre les femmes fassent surface au Japon, je me vois constamment rappeler le rôle traditionnel d’une femme dans la société japonaise, que ce soit par les législateurs ou par des connaissances.
On retrouve cette même discrimination fondée sur le genre dans les examens d’entrée de l’enseignement secondaire. Les établissements offrent souvent un même nombre de places aux filles qu’aux garçons à l’issue des examens. Mais comme les filles ont tendance à obtenir de meilleures notes à ces examens, on leur demande de meilleurs résultats que les garçons pour être admises.
Ce qui m’a choqué, c’est que plus de 65 % des médecins japonais ont affirmé dans un sondage qu’il était inévitable de réduire les résultats des examens d’entrée des filles, car le nombre excessif d’heures de travail empêchait les femmes médecins de travailler à plein temps tout en élevant des enfants. La société japonaise considère toujours que le rôle principal des femmes, qu’elles travaillent ou non, est de s’occuper des tâches ménagères et des enfants.
Le même sondage a révélé que de nombreuses femmes médecins se voyaient dire par leurs collègues de ne pas tomber enceinte, car cela augmenterait la charge de travail pour les autres. On retrouve ce même schéma de pensée dans d’autres secteurs en manque de personnel, comme la garde d’enfants.
Pendant trop longtemps, de nombreuses femmes ont intériorisé cette discrimination et l’ont considérée comme allant de soi. Je ne faisais pas exception. Lorsque, encore étudiante, je cherchais du travail auprès des entreprises japonaises, les recruteurs me demandaient souvent si j’avais un petit-ami et si j’envisageais de quitter mon emploi dans le cas où je me marierais ou tomberais enceinte.
Plutôt que de reconnaître dans ces questions un exemple flagrant de discrimination liée au genre, je les considérais comme faisant partie des questions habituelles posées aux étudiantes lors des entretiens d’embauche. Au Japon, faire carrière et fonder une famille sont rarement jugés compatibles.
Quand je demandais conseil à d’anciennes élèves de mon université, elles me disaient qu’elles n’avaient pas beaucoup d’autres choix que d’arrêter de travailler après l’accouchement. Il est en effet encore bien trop courant pour les femmes d’avoir à s’occuper des tâches ménagères et des enfants en plus de leur emploi à temps plein. Nombre de femmes estiment alors impossible de poursuivre leur carrière, parce que leur conjoint ne les aide pas beaucoup, que les garderies publiques manquent de places et que peu de mesures ont été mises en œuvre pour aménager les conditions de travail.
Une fois que les enfants sont assez grands pour rester seuls à la maison après l’école, les femmes reprennent le travail à temps partiel. Leur revenu potentiel et leurs perspectives d’évolution professionnelle sont alors limités, et ce malgré leur niveau d’études et leurs capacités.
De moins en moins de jeunes femmes acceptent de renoncer à leurs aspirations professionnelles pour fonder une famille, ce qui explique en partie qu’au Japon, le nombre de mariages soit en forte baisse et que le taux de natalité soit au plus bas depuis des décennies.
Selon les normes actuelles en matière de genre, donner naissance et élever des enfants est encore considéré comme la principale contribution de la femme à la société japonaise. C’est une conception profondément ancrée au Japon. En 2007, le ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, Hakuo Yanagisawa, a déclaré publiquement que « les femmes sont des machines à faire des enfants. »
Pas plus tard que le mois dernier, Mio Sugita, députée du parti au pouvoir, a attaqué le mariage entre personnes de même sexe avec des stéréotypes de genre liés à la maternité. L’élue a suscité une vague de protestation massive après la publication d’un article dans lequel elle mettait en question l’utilisation de l’argent des contribuables pour soutenir le mariage homosexuel. Selon ses propos, comme les couples de même sexe « ne produisent pas d’enfant […] ils ne sont pas productifs et ne contribuent donc pas à la prospérité de la nation. »