• 11 Sep 2018
  • Inde
  • Communiqué de presse

La liberté de la presse recule dans l’État de Jammu-et-Cachemire

Les manœuvres d’intimidation, les actes de harcèlement et les placements en détention auxquels les autorités procèdent contre des journalistes dans l’État de Jammu-et-Cachemire menacent les normes fondamentales relatives à la liberté d’expression, a déclaré Amnistie internationale Inde ce mardi 11 septembre.

« Nous assistons dans la vallée à une nouvelle forme de censure, des journalistes étant détenus simplement pour avoir fait leur travail. La récente arrestation du journaliste Aasif Sultan, basé au Cachemire, suivie de la suspension du compte Twitter du journal qui l’emploie, le Kashmir Narrator, suscite de vives inquiétudes quant à la détérioration de la liberté de la presse dans l’État de Jammu-et-Cachemire », a déclaré Zahoor Wani, responsable du travail de campagne à Amnistie internationale Inde.

Selon les médias, Aasif Sultan, rédacteur adjoint du Kashmir Narrator, a été appréhendé à son domicile et placé en garde à vue par la police de l’État de Jammu-et-Cachemire dans la nuit du 27 au 28 août 2018. Le 1er septembre, il a été officiellement arrêté pour sa participation présumée à une fusillade qui a opposé les forces gouvernementales à des « militants » dans le quartier de Batamaloo, à Srinagar, le 12 août 2018. Dans les observations écrites qu’elle a déposées auprès du tribunal, la police a affirmé qu’Aasif Sultan, dans ses articles, « évoquait souvent des terroristes du groupe Hizbul Mujahideen, notamment Burhan Wani, afin d’attirer les jeunes vers les organisations terroristes, en particulier vers Hizbul Mujahideen ». La police a inculpé Aasif Sultan d’infractions au Code pénal Ranbir et à la Loi relative à la prévention des activités illégales, notamment de complot, d’hébergement d’un « terroriste » et de « soutien à une organisation terroriste ».

Dans un entretien avec Amnistie internationale Inde, Showkat A. Motta, rédacteur en chef du Kashmir Narrator, a rejeté les allégations de la police. « Nous avons affaire à du harcèlement policier et à une atteinte aux droits d'un journaliste. Aasif est pris pour cible en raison de ses activités de journaliste. Dans l’édition de juillet 2018 de notre mensuel, Aasif a écrit un article intitulé “L’ascension de Burhan”. Le texte a attiré l’attention de la police. Le Département des enquêtes criminelles (CID) nous a envoyé par courriel une liste de questions sur l'article et nous a demandé de répondre dans les deux jours. Le courriel contenait également une liste de termes que la police considérait comme “répréhensibles” », a ajouté Showkat A. Motta.

Showkat A. Motta a également indiqué que la police interrogeait Aasif Sultan au sujet de son travail sur les questions liées au conflit. « On demande à Aasif pourquoi il n’écrit pas sur le développement. Au cours d’une rencontre avec des policiers la semaine dernière, on m'a posé des questions sur les idées politiques d’Aasif », a-t-il déclaré.

Dans l’intervalle, le compte Twitter du Kashmir Narrator a été bloqué. Le motif indiqué sur Twitter est le suivant : « Compte suspendu - Le compte @KashmirNarrator a été suspendu en Inde à la demande de la justice ».

« L’utilisation contre les professionnels des médias d’une loi aussi draconienne que la Loi relative à la prévention des activités illégales vise à museler les journalistes dans l’État de Jammu-et-Cachemire. Ce texte sert souvent à placer arbitrairement en détention des personnes qui ne font qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d'expression. Les personnes que les autorités considèrent comme une menace sont maintenues en détention sans inculpation pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois », a indiqué Zahoor Wani.

Complément d’information

Ce n'est pas la première fois que des journalistes sont pris pour cible au Cachemire. Depuis 1990, 19 journalistes ont été tués dans l’État de Jammu-et-Cachemire par des hommes armés non identifiés, des groupes armés et des membres des forces de sécurité indiennes. Cette année, Shujaat Bukhari, journaliste de renom, a été tué par balle par des tireurs non identifiés devant son bureau à Srinagar.

L'année dernière, un journaliste de presse, Kamran Yousuf, a été arrêté par l’Agence nationale d'investigation (NIA) et inculpé de plusieurs infractions, notamment au titre de la Loi relative à la prévention des activités illégales. Il a été libéré sous caution après avoir été maintenu en détention provisoire durant six mois. Amnistie internationale estime que les charges retenues contre lui sont forgées de toutes pièces et motivées par des considérations politiques, et qu’elles relèvent d'une manœuvre visant à bâillonner la liberté d’expression au Cachemire. En juillet 2018, un autre journaliste, Auqib Javid, collaborateur du quotidien Kashmir Observer, a été convoqué par la NIA et interrogé au sujet d’un entretien qu’il avait réalisé avec Aasiya Andrabi, une dirigeante séparatiste.

En octobre 2016, le gouvernement de l'État de Jammu-et-Cachemire a interdit de parution pour trois mois le Kashmir Reader, un quotidien anglophone, au motif qu'il menaçait la « tranquillité publique ». Les autorités exercent des pressions sur les journalistes et les organes de presse pour qu'ils traitent certains sujets sous un angle qu'elles jugent approprié. En octobre 2017, le ministère de l'Intérieur a adressé une lettre à des hauts responsables du gouvernement de l'État de Jammu-et-Cachemire et de la police de cet État, affirmant : « Il est entendu que certains journaux au Jammu-et-Cachemire publient des contenus fortement radicalisés […] La publication d'articles hostiles à la nation dans les journaux de l'État doit être traitée avec fermeté. En outre, ces journaux ne doivent pas bénéficier d'un quelconque soutien du gouvernement de l'État sous forme de publicités. »

Plusieurs avocats et défenseurs des droits humains ont été victimes de détention arbitraire au titre de textes draconiens tels que la Loi relative à la prévention des activités illégales, principale outil juridique de lutte contre le terrorisme en Inde. Certaines dispositions de cette loi sont contraires aux normes internationales relatives aux droits humains et sont susceptibles de conduire à des violations de ces droits. Par exemple, ce texte limite les éléments de preuve nécessaires pour prononcer une condamnation et donne une définition large des « actes de terrorisme » et de l’« appartenance » à des organisations « illégales ».