Les voitures électriques roulent encore sur les droits humains
Par William Nee, conseiller Responsabilité des entreprises en matière de droits humains
Des milliers d'amateurs de voitures vont se rendre dans le sud de la Californie ce week-end pour le début du Salon de l'auto de Los Angeles. Cependant, le faste des voitures exposées masque une réalité plus sombre.
Les véhicules électriques sont en vedette au salon de cette année, avec des dizaines de modèles exposés. Les constructeurs affichent leurs dernières technologies, mais ne déploient pas les mêmes efforts pour éliminer les abus dans leurs chaînes d'approvisionnement. L'industrie n'arrive toujours pas à s'approvisionner de manière responsable en cobalt, un élément essentiel pour ses batteries.
Plus de la moitié du cobalt – composant essentiel des batteries lithium-ion – extrait à travers le monde provient de la République démocratique du Congo (RDC). En 2016, Amnistie internationale avait dévoilé que le minerai y était extrait à la main, par des enfants et des adultes, dans des conditions dangereuses et abusives, parfois dans des tunnels creusés profondément sous la terre.
Les clients soucieux de l'environnement ont le droit de savoir si leurs nouvelles voitures sont aussi éthiques que le prétendent les publicités.
Daimler, Renault, Volkswagen, General Motors, Tesla, BMW et Fiat-Chrysler sont les six principaux constructeurs qui présenteront des voitures électriques au cours des deux prochaines semaines. Malgré certains progrès en 2018, Amnistie internationale a constaté qu'aucune de ces entreprises n'avait pris les mesures nécessaires pour que leurs clients potentiels puissent s’assurer du caractère éthique de leurs chaînes d'approvisionnement en cobalt.
En novembre 2017, Amnesty avait évalué les pratiques des entreprises en matière d'approvisionnement en cobalt. Nous avions montré que, par rapport à d'autres secteurs, les constructeurs de véhicules électriques tardaient à adopter de bonnes pratiques pour l’élaboration de leurs batteries.
Lors d'une visite récente dans la ville minière de Kolwezi (sud de la RDC), un chercheur d'Amnistie a constaté une augmentation significative de l'exploitation à petite échelle du cobalt l’an passé, alors que les cours du cobalt ont enregistré une forte hausse en réponse à l’augmentation de la demande des consommateurs.
Les abus ne sont pas inévitables dans les mines artisanales et le gouvernement de la RDC a promis de prendre des mesures pour mieux réglementer cette activité et éliminer le travail des enfants d'ici 2025. Cependant, l'expansion rapide du secteur signifie que les entreprises doivent plus que jamais assurer la traçabilité du cobalt qu’elles utilisent, et pouvoir démontrer qu'il n'a pas été extrait dans des conditions dangereuses.
Les géants de l'industrie manquent toujours de transparence
En octobre, nous avons écrit à sept grands constructeurs de véhicules électriques pour demander si leurs contrôles en matière de droits humains étaient adéquats : Daimler, Groupe Renault, Volkswagen, General Motors, Tesla, BMW et Fiat-Chrysler Automobiles NV. Au total, six ont répondu. Tesla n’a fourni aucune réponse.
En vertu des principes directeurs de l’OCDE, les entreprises qui utilisent du cobalt extrait en RDC doivent être en mesure d'identifier les sociétés qui fondent et raffinent leur minerai. Elles doivent ensuite rendre publiques leurs évaluations des pratiques de diligence raisonnable des fonderies et des raffineries. Si elles ne sont pas en mesure de le faire, il n'y a aucun moyen de s'assurer que leur cobalt est éthique.
Seules deux des entreprises sur lesquelles Amnistie a enquêté ont fourni des informations détaillées sur leurs sources de cobalt : BMW a identifié ses fonderies ou raffineries et Renault a désigné ses fournisseurs.
Les entreprises qui ont répondu déclaraient avoir renforcé leurs politiques au sein de leurs chaînes d'approvisionnement, et exigé davantage d'audits, mais aucune n'avait pris la mesure cruciale consistant à publier une évaluation de la diligence requise en matière de respect des droits humains chez les fournisseurs.
Quelques signes de progrès
Volkswagen affirme avoir renforcé ses règles appelant à une « transparence maximale » entre fournisseurs. Daimler s'est efforcé d'améliorer la transparence des chaînes d'approvisionnement lors de l'attribution de nouveaux contrats à des fournisseurs, mais aucune des deux entreprises n'a encore donné les noms de ses fonderies et raffineries.
Plusieurs entreprises ont déclaré avoir rejoint les initiatives de l'industrie pour la coopération sur les chaînes d'approvisionnement en cobalt. Bien que ces efforts soient les bienvenus, ils ne suffisent pas à eux seuls. Les entreprises doivent également assumer la responsabilité individuelle de l’assainissement de leurs chaînes d'approvisionnement.
D'autres entreprises ont déclaré qu'elles finançaient des projets pilotes destinés à collecter des données relatives aux accidents sur le lieu de travail, à la production, au travail des enfants et aux conditions sociales. Il est encore trop tôt pour savoir si ces initiatives auront un impact.
Les initiatives visant à éliminer le travail des enfants et à garantir que tous les travailleurs sont en sécurité et bien payés sont les bienvenues. Cependant, les entreprises peuvent et doivent faire plus. Elles doivent assumer la responsabilité de leurs chaînes d'approvisionnement et prendre les mesures correctives qui s’imposent si des atteintes aux droits humains se sont produites à un moment quelconque. Rien ne saurait excuser qu’elles n’investissent pas du temps et des ressources pour révéler ce qui alimente réellement leurs véhicules.
Au moment où la demande de voitures électriques augmente, les constructeurs du salon de cette année ont tout intérêt à prouver qu'ils ne profitent pas des atteintes aux droits humains. Ils doivent la vérité à leurs clients – et aux mineurs qui souffrent pour fabriquer leurs produits.