• 25 Sep 2018
  • Espagne
  • Communiqué de presse

Il faut abroger la loi qui permet de procéder à des expulsions en dehors de toute procédure légale

Les autorités espagnoles doivent abroger de toute urgence une disposition de la « loi du bâillon », qui permet de procéder à des expulsions sans que les personnes concernées n’aient la possibilité de demander l'asile ou une évaluation des risques qu'elles encourent en cas de renvoi depuis Ceuta et Melilla vers le Maroc. Amnesty International lance cet appel alors que le traitement que réserve l'Espagne aux migrants et aux réfugiés fait l'objet d'un nouvel examen devant la Cour européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) commencera le 26 septembre à entendre les parties dans le cadre du recours formé par le gouvernement espagnol contre la décision de la Cour d’octobre 2017, qui avait statué que l'Espagne avait bafoué les droits de deux Africains en les expulsant vers le Maroc, sans respecter les normes internationales.

« La décision de l'Espagne de légaliser les expulsions sommaires en 2015 fait totalement fi du droit international, qui interdit aux États d'expulser des personnes sans prendre en compte leur situation et de les renvoyer vers des pays où elles risquent de subir des actes de torture ou des mauvais traitements, a déclaré Francesca Pizzutelli, chercheuse sur les droits des migrants et des réfugiés à Amnesty International.

« Même si le nouveau gouvernement espagnol s'est engagé à modifier la loi, nous sommes vivement préoccupés par sa décision de demander la révision de l'arrêt de la CEDH. Face à cette décision et aux expulsions collectives vers le Maroc constatées ces derniers mois, on ne peut que s’interroger sur sa volonté de mettre fin à cette pratique illégale. »

Les deux hommes concernés par l’affaire portée devant la CEDH – un Ivoirien et un Malien – traversaient la frontière séparant l'enclave espagnole de Melilla du Maroc en août 2014, lorsqu'ils ont été arrêtés par des membres de la Guardia Civil espagnole et renvoyés sur-le-champ au Maroc.

En violation du droit international, ils ont été privés de la possibilité de demander l'asile et d'obtenir une évaluation des risques encourus s'ils étaient renvoyés au Maroc. Leur rejet automatique les a également privés de la possibilité de faire appel de la décision d’expulsion et d'avoir accès à un recours effectif devant les tribunaux espagnols.

Amnesty International constate une intensification de la répression des autorités marocaines contre les réfugiés et les migrants, qui se traduit par de nombreux raids ciblant des milliers de personnes cette année. Depuis fin juillet, jusqu'à 5 000 personnes ont été appréhendées, entassées dans des bus, victimes d'une disparition forcée et abandonnées dans des zones reculées près de la frontière avec l'Algérie ou dans le sud du pays.

« Le gouvernement espagnol doit abroger la disposition autorisant les rejets à la frontière et mettre fin aux expulsions cruelles et illégales de migrants et de demandeurs d'asile vers le Maroc, où ils ne peuvent s'attendre qu'à une protection minime, voire inexistante, de la part des autorités, a déclaré Francesca Pizzutelli.

« Dans leurs relations avec le Maroc, l'Espagne et l'Union européenne doivent accorder la priorité à la protection des droits humains des personnes en mouvement et à la création d'un système d'asile au Maroc. »

Complément d'information

Le 26 septembre, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) entendra les arguments dans l'affaire N.D. et N.T. c. Espagne. La Cour a été saisie de l’affaire par deux requérants, un Malien et un Ivoirien, qui affirment que les garde-frontières espagnols les ont expulsés de manière sommaire de l’enclave espagnole de Melilla vers le Maroc le 13 août 2014, sans leur laisser la possibilité de demander l’asile et sans évaluer individuellement leur situation et les risques auxquels ils seraient confrontés au Maroc.

Le 3 octobre 2017, la chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt en leur faveur, concluant que l'Espagne avait violé leur droit de ne pas subir d'expulsions collectives (article 4 du Protocole n° 4 de la Convention européenne des droits de l'homme) et leur droit à un recours effectif (article 13 de la Convention). Toutefois, les autorités espagnoles ont décidé de demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour, qui entendra les arguments des parties dès le 26 septembre.

Amnesty International et d'autres organisations ont présenté des interventions à la fois devant la Chambre et la Grande Chambre, offrant à la Cour leur point de vue sur le droit international relatif aux droits humains et la législation européenne concernant l'interdiction des expulsions collectives et le principe de non-refoulement.