Après la publication du rapport de l’ONU, les habitants touchés par le déversement de déchets toxiques ont besoin de réponses
Onze ans après le déversement de 540 000 litres de déchets toxiques autour d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, les victimes demeurent dans le flou quant aux éventuelles conséquences à long terme sur leur santé, a déclaré Amnistie internationale le 30 janvier 2018, après la publication du rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), attendu de longue date.
Plus de 100 000 personnes ont demandé des soins médicaux, après qu'une société locale engagée par Trafigura, entreprise multinationale de négoce, a déversé des déchets toxiques dans plusieurs endroits autour d'Abidjan en août 2006. Parmi les symptômes signalés, des difficultés respiratoires et des brûlures cutanées. Aujourd'hui encore, certains habitants se plaignent de graves problèmes de santé qui, selon eux, sont liés au déversement, notamment des problèmes cutanés et oculaires.
Pourtant, le gouvernement de la Côte d’Ivoire n'a jamais effectué de suivi médical auprès des victimes afin de contrôler les effets à long terme sur leur santé. Le rapport du PNUE, commandé par le gouvernement, fait suite à un audit environnemental mené sur 17 sites touchés par les déversements. Il recommande vivement au gouvernement ivoirien de mettre en place une étude sanitaire représentative auprès des personnes affectées et d’envisager la nécessité d'un suivi de leur santé sur le long terme.
« Les victimes de cette catastrophe sont condamnées à vivre dans l’ombre de la peur et de l'incertitude depuis plus de 10 ans. Il est inacceptable que, tant d'années après, elles restent dans le doute quant aux répercussions possibles sur leur santé à long terme, a déclaré Lucy Graham, chercheuse au sein de l'équipe Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnistie internationale.
« La recommandation du PNUE en faveur d'une étude sanitaire fait écho aux recours déposés par les communautés locales demandant une action du gouvernement ivoirien. Celui-ci a fait un grand pas en avant en commandant le rapport du PNUE et doit maintenant mettre en œuvre les recommandations formulées dans ce rapport. Les habitants d'Abidjan ont attendu trop longtemps dans la crainte. »
À la demande du gouvernement ivoirien, le PNUE et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) vont organiser une réunion d’experts en santé publique au mois de mars pour analyser les répercussions sanitaires du déversement et examiner la nécessité d’un suivi sanitaire à long terme pour les victimes.
Amnistie internationale réclame depuis plusieurs années un suivi sanitaire et a dressé une liste de recommandations en matière d'études sanitaires et de suivi à destination de ces experts.
Elle invite le gouvernement ivoirien à mener une étude médicale afin d'évaluer les risques à long terme du déversement et à mettre en place un programme de suivi à long terme de la santé des personnes touchées.
Par ailleurs, Amnistie internationale demande au gouvernement des Pays-Bas de financer cette étude car, six semaines avant le déversement des déchets toxiques à Abidjan, les autorités néerlandaises ont autorisé Trafigura à les exporter depuis Amsterdam, sachant qu'ils étaient dangereux et nécessitaient un traitement spécialisé.
Des questions en suspens
Les opérations de nettoyage et de traitement se sont poursuivies sur certains des sites contaminés par le déversement jusque fin 2015 et 2016. Le rapport du PNUE, première évaluation indépendante de ces opérations, a conclu que les niveaux de pollution n'excédaient pas les normes fixées à l'échelon national ou international nécessitant un nettoyage complémentaire. Cependant, le PNUE note que cela n'exclut pas la possibilité que les habitants souffrent encore de répercussions sur leur santé du fait de l'exposition aux déchets toxiques en 2006.
« Ces conclusions sont un soulagement pour ceux qui vivent ou travaillent près des sites de déversement, mais ce n’est que la partie immergée de l'iceberg. Les habitants d'Abidjan attendent depuis 10 ans de savoir si ces zones sont sûres – et ils ignorent encore tant de choses, a déclaré Lucy Graham.
« Si nous saluons les réponses apportées par le rapport du PNUE, de nombreux points d’interrogation demeurent. Que contenaient exactement les déchets toxiques déversés à Abidjan ? Quelles sont les répercussions en termes de santé du déversement et des longues opérations de nettoyage ? Lorsque les habitants touchés auront toutes les réponses, ils pourront enfin reprendre le cours de leurs vies. »
Complément d’information
La multinationale de négoce pétrolier Trafigura a produit les déchets toxiques sur un navire en mer dans le cadre d'un processus de raffinage du pétrole brut. À l'époque, Trafigura avait son siège en Suisse, mais coordonnait ses opérations depuis son bureau au Royaume-Uni.
Ayant tenté en vain de déposer les déchets à Amsterdam et au Nigeria, Trafigura a finalement engagé une entreprise locale à Abidjan afin de les éliminer. Cette entreprise a fini par déverser les déchets dans divers lieux autour d’Abidjan, plongeant la ville dans une odeur nauséabonde et engendrant une panique généralisée. Des opérations de nettoyage et de décontamination de grande ampleur ont été requises dans les sites de déchargement. Trafigura n’a jamais révélé toutes les informations qu’elle possédait concernant la composition des déchets et ses impacts éventuels.
En juin 2012, le gouvernement ivoirien a demandé au PNUE de réaliser un audit environnemental des sites touchés par le déversement. Cet audit s'est principalement attaché à évaluer si les sites impactés continuaient de poser des risques pour l'environnement ou la santé publique, plutôt qu'à établir le lien entre la pollution sur les sites et le déversement de déchets toxiques lui-même.
Ce déversement constituait une violation du droit à la santé des habitants d'Abidjan. Amnistie internationale estime que la Côte d'Ivoire et les Pays-Bas bafouent leur obligation d’accorder des recours effectifs aux victimes au regard de cette violation. Plus précisément, alors que le gouvernement néerlandais s’est montré incapable d’empêcher Trafigura d’exporter les déchets, il n'a pas engagé de coopération avec le gouvernement ivoirien pour soutenir un suivi de la santé des victimes, par exemple en proposant des financements ou une aide technique.
Trafigura nie toute responsabilité dans le déversement et maintient qu'elle pensait que l'entreprise locale évacuerait les déchets toxiques de manière sûre et légale. Elle nie également avec vigueur que le déversement ait pu avoir des conséquences sanitaires graves ou durables.