Du fait de la répression visant les droits humains, il ne reste qu'un seul candidat dans la course au pouvoir au Cambodge
Clare Algar, directrice générale des opérations mondiales au sein d’Amnesty International
Ce week-end, Hun Sen se présentera devant les électeurs pour prolonger son règne en tant que Premier ministre détenant le record mondial de longévité à ce poste. Durant 33 années passées à exercer le pouvoir, Hun Sen a remporté les quatre élections depuis celles organisées par les Nations unies en 1993. Pourtant, pas une seule fois il n'a abordé un scrutin dans une position à la fois aussi forte et aussi faible.
D'une part, le résultat du vote de dimanche [29 juillet] est couru d'avance. Face à une opposition divisée et désorganisée, Hun Sen restera aux manettes, selon toute vraisemblance avec une majorité confortable. Validation éclatante de sa gestion du pays ?
Pour tout dire, pas tout à fait.
Cette position de force est illusoire. Menacé par la progression des opposants politiques et la dissidence croissante au sein de la société civile, le gouvernement de Hun Sen ne se maintient que grâce à une répression menée au niveau national contre les libertés et les droits humains qui n'a épargné que peu de ses détracteurs.
Les bases jetées ces dernières années en préparation de l'élection ont permis de garantir la non-répétition de la situation qui s’est déroulée en Thaïlande au mois de mai. Le leader en place depuis fort longtemps lui aussi semblait avoir une position inattaquable à l'approche du scrutin. Aujourd'hui, Najib Razik, loin de gouverner un pays, est inculpé d'infractions pénales.
L'approche adoptée par le gouvernement cambodgien sous le régime du Parti du peuple cambodgien (PPC) n'a pas laissé prise à un tel scénario. Il a tout d’abord affaibli ses principaux opposants politiques, puis s'est lancé dans une mission visant à faire taire les dissidents, qui s’est traduite par des attaques soutenues contre les médias indépendants et la société civile.
Sorti de décennies de brutalités commises sous le régime des Khmers rouges et de nombreuses violences politiques dans les années 1990, le Cambodge voit ses avancées en termes de droits humains peu à peu démantelées.
La répression actuelle plonge ses racines dans les dernières élections nationales de juillet 2013. Le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC) ayant alors frôlé la victoire, le PPC ne souhaite plus jamais revivre une situation aussi serrée.
Ce qui aurait dû être l’apogée du PSNC fut finalement sa chute. Son leader charismatique Sam Rainsy a été contraint à l'exil sur la base d'accusations de diffamation forgées de toutes pièces et discréditées en novembre 2015. Résidant désormais à Paris, il encourt des années de prison s'il retourne au Cambodge et a reçu pas plus tard que le mois dernier une nouvelle convocation du tribunal – cette fois-ci pour des accusations sans fondement de « diffamation royale ».
L'an dernier, le nombre d'opposants politiques susceptibles de menacer le pouvoir du PPC a diminué de moitié. En septembre 2017, le successeur de Sam Rainsy, Kem Sokha, a été arrêté sur la base d'accusations de « trahison » totalement absurdes. Un mois plus tard, son adjointe Mu Sochua quittait le pays pour éviter de connaître le même sort. Des dizaines d'autres figures de l'opposition ont été arrêtées depuis 2015, et beaucoup sont toujours incarcérées.
Le coup final fut porté au PSNC en novembre 2017, lorsque la Cour suprême – présidée par un juge qui est également l'un des 34 membres du puissant comité permanent du PPC – a ordonné la dissolution du parti et a interdit à 118 de ses membres d'exercer une quelconque activité politique pendant cinq ans. Plus de la moitié des figures clés de l'opposition ont alors fui le Cambodge.
Cette décision, qui rappelle cruellement que le pouvoir judiciaire est de plus en plus utilisé comme une extension du pouvoir exécutif, était un acte de répression politique flagrant et une grave violation des droits à la liberté d'association et d'expression.
Le PSNC n’étant pas autorisé à participer à l'élection, il a appelé au boycott du scrutin de dimanche. En réaction, le gouvernement enquête sur toutes les personnes qui relaient l'appel sur les réseaux sociaux, menace d'infliger des amendes et des mesures de rééducation, assorties d’accusations pénales. Hun Sen a même affirmé dans des discours que le gouvernement peut trianguler la position des personnes qui publient des appels au boycott sur Facebook.
Non content de neutraliser ses ennemis politiques, le gouvernement a également entrepris d’évincer les médias indépendants. En septembre 2017, le Cambodia Daily, journal en langue anglaise, a été brutalement contraint de fermer après s’être vu infliger une taxe arbitraire d'un montant de 5,4 millions d'euros, à régler sous 30 jours.
Puis, en mai 2018, le Phnom Penh Post a été vendu à l'investisseur malaisien Sivakumar G., dont l'entreprise de relations publiques entretient des liens avec Hun Sen. Ce journal avait lui aussi écopé soudainement d’une « amende », une taxe de 3,3 millions d'euros qu'il n’était pas en mesure de régler. Un responsable du PPC, Ly Tayseng, initialement présenté comme l'avocat de l'investisseur a ensuite repris le journal, sans explication, deux mois plus tard.
Les chaînes de télévision du pays appartenant toutes à des responsables du PPC ou à leurs alliés, le seul îlot médiatique indépendant en langue khmère qui restait accessible aux Cambodgiens a également été fermé l'an dernier. Trente-deux stations de radio, qui diffusaient le soir des programmes d'informations locales de Radio Free Asia, Voice of America et Voice of Democracy ont soudainement vu leurs licences annulées.
Deux journalistes de Radio Free Asia qui, selon le gouvernement, continuaient de couvrir des événements, ont par la suite été arrêtés et incarcérés pour des accusations d’« espionnage ». Le jour de l'élection, ils auront passé 258 jours derrière les barreaux, sans procès.
La société civile jadis dynamique au Cambodge est en butte à une pression sans précédent. La législation répressive qui confère aux autorités des pouvoirs étendus pour contrôler le secteur des ONG a permis au gouvernement de fermer l'Institut national démocratique financé par les États-Unis, d'autres organisations de la société civile étant également menacées. Les militants individuels risquent régulièrement d'être harcelés et incarcérés en raison de leur travail.
Cette répression se traduit par un climat de peur. En voyant ce qui arrive aux autres, la plupart des journalistes, des militants politiques et des militants cambodgiens préfèrent se taire – trop effrayés pour dénoncer, s'opposer, s'exprimer.
Hun Sen sera reconduit au pouvoir dimanche, mais au-delà, l'avenir reste incertain. Combien de temps encore les Cambodgiens – dont les deux tiers ont moins de 30 ans – vont-ils tolérer un gouvernement qui choisit de piétiner leurs droits à la liberté d'expression, d'association et à la justice dans le but de diriger le pays d’une main de fer ?