À l’occasion de la journée internationale des droits de l’homme, le pays doit s’engager à prendre ces huit mesures spécifiques en vue de mettre fin à la crise des droits humains
Le 10 décembre 2018, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, l’organisation ALQST a organisé une conférence afin d’évaluer l’état des droits humains en Arabie saoudite. Des représentants d’Amnistie internationale, de la European Saudi Organization for Human Rights (ESOHR), du Centre du Golfe pour les droits humains (GCHR), de Human Rights Watch (HRW), de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), du MENA Rights Group et de Reporters sans frontières (RSF) y ont participé et ont lancé l’appel suivant.
L’universitaire saoudienne Hala al Dosari et un représentant de la Campagne contre le commerce des armes (CAAT), une ONG basée au Royaume-Uni, ont également pris part à l’événement.
Le 10 décembre 2018, des organisations de défense des droits humains travaillant sur l’Arabie saoudite appellent les autorités à prendre huit mesures spécifiques en vue d’améliorer la situation des droits humains dans le pays et dans les pays où elles exercent une influence :
1. S’engager à respecter la liberté d’expression, d’association et de réunion
- Cesser de harceler, d’arrêter, de poursuivre en justice et de condamner des personnes parce qu’elles ont exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association ou de réunion ;
- Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes emprisonnées uniquement pour avoir exercé pacifiquement ces droits, notamment des militant·e·s des droits humains, des défenseur·e·s des droits des femmes ; des avocat·e·s ; des journalistes ; des militant·e·s politiques, des manifestant·e·s pacifiques et des utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux. Leur emprisonnement est considéré comme arbitraire au titre du droit international, les condamnations pour ce motif doivent donc être annulées et toutes les personnes détenues arbitrairement doivent disposer de moyens de recours ;
- Abroger ou modifier considérablement la législation, notamment la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité, afin de veiller à ce que la critique des politiques et des pratiques gouvernementales, ainsi que celle des représentants gouvernementaux, de même que toute autre forme d’expression protégée exprimée par des journalistes, des utilisateurs de réseaux sociaux et toute personne exprimant pacifiquement une opinion ne soient pas érigées en infraction pénale ;
- Abroger la Loi sur les associations et les dispositions législatives connexes ou les modifier en profondeur pour qu’elles soient pleinement conformes au droit international et aux normes internationales, et permettre la création d’organisations indépendantes de défense des droits humains.
2. S’engager à respecter les normes internationales dans l’administration de la justice
- Veiller à ce qu’il existe un fondement pénal et juridique reconnu pour chaque arrestation ; à ce que les personnes arrêtées connaissent le motif de leur arrestation et à ce qu’elles puissent également la contester devant un juge dans les 48 heures suivant l’arrestation ; et à ce que les détenus puissent voir leur famille et bénéficier des services d’un avocat de leur choix dans les 24 heures suivant leur arrestation ;
- Veiller à ce que les procès soient menés dans le respect des normes internationales d’équité, notamment du droit de préparer une défense efficace et de contester les éléments à charge et les témoins d’une affaire donnée ;
- Veiller à une séparation des pouvoirs et donc à l’indépendance de la justice ;
- Libérer les détenu·e·s dont les peines ont expiré et les personnes détenues sans inculpation ;
- Veiller à ce que toutes les personnes soient égales devant la loi, afin qu’aucune personne dans une position de pouvoir ne bénéficie de l’immunité ou de l’impunité.
3. Mettre fin au recours à la torture et aux traitements cruels, inhumains et dégradants
- Mettre en œuvre les recommandations de 2016 du Comité contre la torture, conformément aux obligations de l’Arabie saoudite en tant qu’État partie à la Convention des Nations unies contre la torture et rendre publiques les mesures prises[1] ;
- Mettre un terme à la détention au secret et veiller à ce que tous les détenus puissent voir leur famille et consulter un avocat de leur choix ;
- Veiller à ce que toutes les allégations de torture et d’autres mauvais traitements fassent l’objet d’enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales, et à ce que les responsables présumés de ces infractions pénales soient traduits en justice ;
- Améliorer la gestion et la surveillance des prisons afin que les détenus soient traités humainement et que leurs droits soient respectés. Veiller à ce que tous les lieux de détention soient conformes aux règles Mandela (l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus) ;
- Veiller à ce qu’aucune déclaration obtenue par la contrainte, notamment la torture ou d’autres mauvais traitements, ne soit invoquée en tant qu’élément de preuve dans une procédure, sauf contre une personne accusée de torture afin de prouver que les faits ont eu lieu. Les personnes condamnées sur la base d’« aveux » obtenus sous la torture ou d’autres mauvais traitements doivent être rapidement rejugées devant des juridictions civiles, dans le cadre de procès équitables excluant ces « aveux », ou libérées.
4. Faire progresser les droits des femmes
- Mettre en œuvre les recommandations de 2018 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes conformément aux obligations de l’Arabie saoudite en tant qu’État partie à la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;[2]
- Veiller à ce que les femmes puissent participer activement à la société et à ce que les lois et règlementations protègent les femmes de la violence domestique, de l’oppression et de la marginalisation ;
- Abolir le système de la tutelle masculine et lever les restrictions empêchant l’égalité entre les hommes et les femmes devant la loi dans l’exercice de tous les droits humains et veiller à la participation active des femmes dans la société, notamment au respect de leur droit de circuler librement et de leur droit aux libertés d’éducation, de l’emploi, de mariage et de bénéficier de réparations pour les violations subies.
5. Abolir la peine de mort
- Instaurer immédiatement un moratoire officiel sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine de mort ;
- En attendant l’abolition totale de la peine de mort, mettre fin à l’utilisation de ce châtiment et suspendre les condamnations à mort déjà prononcées ;
- Mettre un terme au recours à la peine de mort contre les personnes âgées de moins de 18 ans au moment de l’infraction, conformément aux obligations de l’Arabie saoudite au titre du droit international, notamment en tant qu’État partie à la Convention relative aux droits de l’enfant ; et contre les personnes souffrant d’un handicap mental ou intellectuel ;
- Veiller à ce que les étrangers arrêtés, détenus ou incarcérés bénéficient de services d’interprétation et d’un accès adéquat aux services consulaires.
6. Assurer la protection des droits humains et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
- Supprimer le tribunal pénal spécial car il est fondamentalement injuste et ne respecte pas les normes d’impartialité et d’indépendance judiciaire internationalement reconnues, et abroger ou modifier en profondeur la Loi relative à la lutte contre les crimes terroristes et le financement du terrorisme, ainsi que la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité, afin que leurs dispositions respectent le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales en la matière ;
- Expliquer publiquement à la population saoudienne la façon dont le gouvernement différencie le droit à la liberté d’expression et le terrorisme ;
- Veiller à ce que la définition du terrorisme ne s’applique pas à l’opposition pacifique, aux manifestations pacifiques ou au militantisme citoyen pacifique, et à ce que la lutte contre le terrorisme ne soit pas utilisée comme une excuse pour réprimer les libertés fondamentales.
7. Promouvoir une culture du respect des droits humains, notamment en faisant la promotion des droits à la diversité culturelle
- Mettre en œuvre les recommandations de 2016 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale conformément aux obligations de l’Arabie saoudite en tant qu’État partie à la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et publier les mesures prises ;[3]
- Réviser le contenu de tous les programmes scolaires d’enseignement primaire et secondaire afin de veiller à ce qu’ils n’encouragent pas la discrimination ou qu’ils ne contribuent pas à porter atteinte aux normes en matière de droits humains ;
- Interdire tout appel à la haine constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence fondées sur la couleur de peau, la religion, le genre, la nationalité ou tout autre critère discriminatoire.
8. Concernant le conflit au Yémen
- Se conformer pleinement au droit international humanitaire lors de la préparation et de l’exécution de toute frappe aérienne, notamment en s’assurant que les civils et les biens de caractère civil ne soient pas visés et en mettant fin aux attaques aveugles et disproportionnées faisant des victimes parmi les civils ;
- Prendre toutes les mesures possibles pour limiter le préjudice causé aux civils, notamment en prévenant suffisamment à l’avance les populations civiles vivant dans les zones concernées des attaques imminentes ;
- Veiller à ce que tous les travailleurs humanitaires puissent se déplacer librement, et à ce qu’une aide humanitaire impartiale soit apportée rapidement et sans entrave aux civils qui en ont besoin, et lever les restrictions arbitraires sur les importations de produits de première nécessité ;
- Coopérer pleinement avec l’enquête menée par le groupe d’experts éminents mandaté par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour procéder à un examen approfondi de toutes les violations présumées du droit international relatif aux droits humains ou à tout autre domaine applicable commises par toutes les parties au conflit au Yémen depuis septembre 2014 ;
- Veiller à ce que des enquêtes indépendantes et impartiales soient menées sur les allégations de crimes de guerre et à ce que, lorsqu’il existe suffisamment de preuves recevables, les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité dans ces actes, et notamment celles exerçant des fonctions de commandement, soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables.
[1]Nations unies, Comité contre la torture : Observations finales sur le deuxième rapport périodique de l’Arabie saoudite, 8 juin 2016 ; référence ONU : CAT/C/SAU/CO/2, accessible à la page : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/TreatyBodyExternal/countries.aspx?CountryCode=SAU&Lang=FR (consultée le 6 décembre 2018)
[2] Nations unies, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Observations finales sur les troisième et quatrième rapports périodiques sur l’Arabie saoudite, 14 mars 2018, référence ONU : CEDAW/C/SAU/CO/3-4, accessible à la page : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/TreatyBodyExternal/countries.aspx?CountryCode=SU&Lang=FR (consultée le 6 décembre 2018)
[3] Nations unies, Comité pour l'élimination de la discrimination raciale : Observations finales sur les quatrième à neuvième rapports périodiques de l’Arabie saoudite, 8 juin 2018 ; référence ONU : CERD/C/SAU/CO/4-9, accessible à la page : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/TreatyBodyExternal/countries.aspx?CountryCode=SU&Lang=FR (consultée le 6 décembre 2018)