L’Arabie saoudite doit investir dans les droits humains plutôt que dans des campagnes de relations publiques
Ces derniers mois, des gros titres surprenants, comme « L’Arabie saoudite va autoriser les femmes à conduire », « L’élan anticorruption en Arabie saoudite » ou « L’Arabie saoudite sur la voie de la réforme », sont apparus dans la presse internationale. Dans le même temps, lorsque le prince héritier Mohammed bin Salman Al Saud s’est rendu au Royaume-Uni dernièrement, son arrivée était annoncée par des pleines pages dans des journaux et des panneaux commerciaux installés dans les rues de Londres annonçant « Il apporte le changement en Arabie saoudite ». La visite s’est soldée par la signature d’un protocole d’accord d’une valeur de 10 milliards de livres avec BAE Systems pour la vente d’avions à l’Arabie saoudite. Pendant les premiers jours de la visite du prince héritier aux États-Unis, un protocole d’accord de vente d’armes d’une valeur de plus de 12,5 milliards de dollars aurait été conclu entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
À première vue, on pourrait penser que l’Arabie saoudite est en train d’entreprendre d’importantes réformes. Cependant, depuis la nomination du prince héritier, peu d’éléments laissent à penser que ses ouvertures sont plus qu’un habile exercice de relations publiques. En réalité, le bilan de l’Arabie saoudite en termes de droits humains est désastreux et la situation n’a fait qu’empirer depuis que Mohammed bin Salman Al Saud a été officiellement nommé héritier du trône en juin 2017.
Au lieu de dépenser des millions de dollars pour des campagnes de relations publiques annonçant des mesures qui ne représentent qu’une infime partie de la refonte dont le pays a besoin, voici ce que l’Arabie saoudite devrait faire :
Cesser de réprimer les militants, les journalistes, les universitaires et les dissidents
La répression visant les militants, les journalistes, les universitaires et les dissidents s’est intensifiée ces derniers mois, depuis que Mohammed bin Salman est devenu prince héritier.
En janvier, Mohammad al Otaibi et Abdullah al Attawi sont devenus les premiers défenseurs des droits humains à être condamnés sous la houlette du prince héritier Mohammed bin Salman par le tribunal antiterroriste. Ils ont été condamnés respectivement à 14 et sept ans d’emprisonnement, pour avoir créé une organisation de défense des droits humains et pour tout un éventail de chefs d’accusation, notamment pour avoir « propagé le désordre et provoqué l’opinion publique », « publié des déclarations portant préjudice à la réputation du Royaume et de ses institutions judiciaires et chargées de la sécurité » et « participé à la création d’une organisation et annoncé la création de celle-ci avant d’en avoir obtenu l’autorisation ».
Un mois plus tard, Essam Koshak et Issa al Nukheifi, deux défenseurs des droits humains de premier plan, ont également été condamnés par le tribunal antiterroriste à respectivement quatre et six ans de prison, uniquement en raison de leur travail pacifique de défense des droits humains.
Aucune des accusations portées contre ces militants ne devrait être considérée comme un crime, pas plus que les défenseurs ne devraient être considérés comme des « terroristes ». Les lourdes peines prononcées laissent à penser que la liberté d’expression est exclue de l’« évolution » promise.
Mettre fin à la discrimination systématique à l’encontre des femmes
Les femmes et les jeunes filles sont en butte à une discrimination bien ancrée en Arabie saoudite et dépendent légalement des hommes en ce qui concerne le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage. Sous le régime de tutelle, une femme ne peut pas prendre ses propres décisions, mais un homme de la famille peut tout décider à sa place.
Comment l’Arabie saoudite pourrait-elle prétendre à la réforme de manière crédible tant qu’elle ne résout pas cette inégalité des plus choquantes ?
Cesser de persécuter la minorité chiite
La liberté de religion demeure une utopie en Arabie saoudite, ce qu’illustre tout particulièrement la persécution de la minorité musulmane chiite, qui subit depuis des années une discrimination sociale et économique.
Les militants de la communauté minoritaire chiite sont pris pour cible, arrêtés, voire condamnés à mort à l’issue de procès iniques pour avoir participé à des manifestations antigouvernementales et exprimé des opinions dissidentes. En 2017, quatre hommes chiites ont été exécutés pour des infractions liées à leur participation à des manifestations antigouvernementales. Quinze hommes chiites ont été déclarés coupables de crimes en lien avec les manifestations et condamnés à mort à l’issue d’un procès collectif inique en décembre 2016. La condamnation de 12 de ces hommes a été confirmée par la Cour suprême en décembre 2017 et ils pourraient être exécutés à tout moment.
Cesser d’avoir recours à la peine de mort et à la torture
L’Arabie saoudite compte parmi les pays du globe qui exécutent le plus grand nombre de prisonniers et des prisonniers sont souvent condamnés à mort et exécutés à l’issue de procès contraires aux règles d’équité les plus élémentaires.
En juillet 2016, Abdulkareem al Hawaj, 21 ans, a été condamné à mort pour plusieurs infractions liées à sa participation présumée, alors qu’il avait 16 ans, à des manifestations antigouvernementales. Il a affirmé avoir été soumis à des actes de torture destinés à lui faire signer des « aveux » lors de ses interrogatoires, mais le juge n’a pas ouvert d’enquête sur ses allégations et a semble-t-il fondé sa décision sur ces « aveux ». Sa condamnation a été confirmée en juillet 2017 et il risque d’être exécuté de manière imminente.
Le droit international interdit l’utilisation de preuves obtenues sous la torture et l’usage de la peine de mort contre des personnes déclarées coupables d’infractions commises alors qu’elles étaient mineures. Cependant, l’injustice dont est victime Abdulkareem al Hawaj n’est que trop répandue.
Il a été démontré à maintes reprises que la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif sur la criminalité, pourtant l’Arabie saoudite continue de condamner à mort des personnes pour des crimes qui n’étaient accompagnés d’aucune violence, à l’issue de procès manifestement iniques. Ces affaires illustrent le fait que les autorités saoudiennes se servent de la peine de mort comme d’une arme politique contre la minorité chiite pour écraser la dissidence.
Cesser de tuer des civils au Yémen
L’Arabie saoudite vient de lancer une campagne massive destinée à valoriser ses dons au Yémen. Tandis que d’un côté elle donne des fonds, de l’autre elle bombarde allègrement hôpitaux, écoles et habitations civiles. La coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen se livre à des violations du droit international humanitaire, y compris à de possibles crimes de guerre.
Amnistie internationale a recensé des attaques menées sans discrimination et d’autres graves violations imputables à la coalition, qui ont fait des victimes parmi les civils, dont des enfants. Pourtant, des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France continuent de conclure des accords d’armements lucratifs avec l’Arabie saoudite et d’autres membres de la coalition, en dépit du fait que ces armes risquent d’être utilisées pour tuer ou blesser des civils dans des attaques illégales.
En outre, les restrictions imposées à l’aide humanitaire et à l’importation de produits essentiels empêchent ou retardent l’entrée de denrées alimentaires, de médicaments et autres produits vitaux, mettant la vie de millions de Yéménites en péril. L’impact dévastateur de ces restrictions n’est en rien diminué par les coups de pub mettant en avant l’assistance humanitaire que fournit l’Arabie saoudite.
Vous voulez du progrès ? Tournez-vous vers la société civile saoudienne
Les dirigeants saoudiens ont annoncé que le progrès était leur objectif numéro un. Mais bon nombre des meilleurs catalyseurs du progrès sont en exil, en prison ou vivent reclus dans le silence parmi la population.
Les défenseurs des droits humains, les universitaires, les journalistes et les citoyens et habitants engagés ne sont pas des ennemis, ce sont les moteurs d’un changement positif. Leurs contestations, leurs écrits et leur mobilisation pour des réformes sociales et politiques servent le progrès en Arabie saoudite.
Vision 2030, le plan de réforme économique que le gouvernement saoudien a engagé en 2016, évoquait l’importance d’une « société dynamique » pour atteindre les objectifs de la Vision. Pour qu’une société dynamique existe en Arabie saoudite, les autorités doivent mettre fin à leur répression de la société civile et des défenseurs des droits humains et leur permettre de mener leurs activités.
L’Arabie saoudite doit désormais tenir compte des critiques quant à son bilan en termes de droits humains et montrer qu’elle est prête à prendre des mesures audacieuses en faveur du changement.