La politique de la terreur s’étiole
Lénine aurait un jour déclaré : « Il y a des décennies où rien ne se passe et, parfois, des décennies passent en une semaine. » Cette citation décrit parfaitement la semaine qui vient de s’écouler en Afrique. Sur tout le continent, des événements politiques qui changent la donne se sont succédé rapidement lors de l’une des semaines les plus mouvementées de l’histoire.
En Afrique du Sud, Jacob Zuma a démissionné avant la fin de son mandat présidentiel, marqué par la corruption et l’impunité. Peu après, le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn a démissionné alors que le mouvement de contestation ne cessait de s’amplifier depuis des mois au sein de la population. La même semaine, Morgan Tsvangirai, qui était depuis longtemps l’un des chefs de file de l’opposition au Zimbabwe, est décédé ; il a passé sa vie à dénoncer les violations des droits humains commises sous le régime de l’ancien président Robert Mugabe.
Ces changements se sont enchaînés à un rythme soutenu mais le contexte était troublé depuis un certain temps. L’an dernier, l’Afrique a dit adieu aux trois dirigeants qui étaient au pouvoir depuis le plus longtemps sur le continent : Yahya Jammeh en Gambie (22 ans), José Eduardo dos Santos en Angola (38 ans) et Robert Mugabe au Zimbabwe (37 ans), tous à la tête de régimes connus pour leur répression brutale de la dissidence.
Compte tenu de l’ampleur et de la durée de la répression orchestrée dans ces pays, beaucoup étaient convaincus de ne jamais assister à la chute des régimes en question. En Éthiopie, en Gambie et au Zimbabwe, les récents événements étaient inenvisageables, jusqu’à ce qu’ils se produisent.
Qui aurait pu imaginer que les portes de prisons éthiopiennes tristement célèbres s’ouvriraient si grandes et que des milliers de prisonniers d’opinion en sortiraient libres ? Qu’Eskinder Nega, le courageux journaliste qui a passé sept ans derrière les barreaux pour avoir critiqué le gouvernement, retrouverait enfin sa famille ?
Qui en Gambie aurait cru qu’Ousainou Darboe et Amadou Sanneh, deux anciens prisonniers d’opinion adoptés par Amnistie Internationale qui ont été incarcérés pendant des années pour avoir dénoncé la répression, deviendraient ministres au sein du nouveau gouvernement ?
Qui aurait osé remettre en cause le règne de José Eduardo dos Santos et penser que sa famille n’aurait plus la mainmise sur le secteur pétrolier et les richesses de l’Angola ?
La résistance croissante des personnes qui s’opposent à la répression et réclament le respect des droits humains est une lueur d’espoir dans une période d’incertitude. Elle montre que la politique de la terreur est peut-être en train de s’étioler, enfin.
Depuis 2016, le continent a été le théâtre de manifestations de grande ampleur et de mouvements populaires, souvent structurés et organisés par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
#Oromoprotests et #amaharaprotests en Éthiopie, #ThisFlag au Zimbabwe et #FeesMustFall en Afrique du Sud figuraient parmi les signes les plus forts de cette défiance grandissante. Les manifestations ont souvent été spontanées, virales et lancées par des citoyens ordinaires, en particulier des jeunes qui portent le triple fardeau du chômage, de la pauvreté et de l’inégalité.
Ce mouvement s’est poursuivi en 2017. De Lomé à Freetown, de Khartoum à Kampala et de Kinshasa à Luanda, des personnes sont descendues en grand nombre dans les rues, ignorant les menaces et l’interdiction des manifestations et refusant de céder, même face à la répression brutale.
Ces manifestations avaient des causes diverses. En République démocratique du Congo, c’est le retard accusé par la publication du calendrier électoral qui a fait sortir les gens de chez eux ; au Tchad, la hausse du tarif des emplacements au marché au mil de N’Djamena ; au Togo, la flambée du prix de l’essence ; au Kenya, la frustration engendrée par le processus électoral.
Cependant, on relève plusieurs points communs : la force de défiance et les revendications de changement, d’inclusion et de liberté. Bien que certaines manifestations aient donné lieu à des violences, principalement en réaction à une répression brutale, la majorité était pacifique et découlait d’une volonté d’obtenir le respect des droits fondamentaux et de la dignité.
Il y a toute raison de croire que rien ne pourra arrêter ce mouvement.
Le rapport 2017 d’Amnistie Internationale sur la situation des droits humains dans le monde indique que le droit de manifester pacifiquement a été réprimé de manière arbitraire et brutale dans plus de 20 pays d’Afrique subsaharienne, y compris par des interdictions illégales, un recours excessif à la force, des actes de harcèlement et des arrestations arbitraires.
Toutefois, cela n’a pas réduit les dissidents au silence, malgré les efforts de ceux qui souhaitaient étouffer toute opposition. En réalité, il est de plus en plus évident que les gouvernements qui ne respectent pas les libertés et ne remplissent pas leurs obligations en matière de droits humains courent à leur perte.
Il faudrait que cela serve d’avertissement à tous les États et que ceux-ci comprennent que la clé d’une paix et d’une stabilité durables est l’élargissement des libertés et non de leur restriction. Les changements politiques n’ont aucun sens s’ils n’aboutissent pas à un plus grand respect des droits humains. Pour les personnes qui se soucient de la liberté et de l’égalité, peu importe qui sont les dirigeants à condition qu’ils respectent les droits humains.
Seul le temps nous dira ce que les changements politiques récents signifieront véritablement pour nous, Africains, en particulier pour les personnes pauvres, jeunes, marginalisées, victimes de la répression ou réduites au silence.
Toutefois, une chose est sûre : les populations du continent ne sont pas prêtes à attendre des décennies pour avoir la réponse.